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Les "Trois Cimes de Lavaredo" Merckx Giro 68 !


Michel CREPEL

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Eddy Merckx impérial : « Giro » 1968.

 

 

Pour bien appréhender ce qui va suivre, il est nécessaire d'imaginer, objectivement, la foi qui anime, à cette époque, le nouveau dépositaire à la gérance du peloton international. A 22 printemps, ce fils d'épicier de Woluwe-Saint-Pierre, dans la banlieue de Bruxelles, semble nanti de tous les ingrédients de l'athlète hors norme. Ses prédispositions iconoclastes concernant les fluctuations météorologiques sont tout bonnement stupéfiantes. Cet atout, non négligeable, et pour cause, le sublime, aussi bien, lors des froids polaires des classiques printanières que pour le franchissement des massifs montagneux, en été, par des journées caniculaires. Despote, avant l'heure, dans la catégorie amateur, ce superbe athlète de 181 centimètres pour soixante quinze kilogrammes, fut, tout d'abord, couvé par un certain Rik Van Looy, dès son passage au sein des rangs professionnels. L'''Empereur d'Herentals'', alors, grand ordonnancier, de la modeste formation Sollo Superia, lui dispensa les premiers rudiments aptes à canaliser la débauche d'énergie du jeune belliqueux. ''Monsieur'' Gaston Plaud, inénarrable et incontournable garant de la suprématie Peugeot dans l'hexagone, fignola, cisela et tenta d'arrondir les angles encore abruptes et saillants de ce diamant à l'état brut. En vain, néanmoins, car l'impatient est désireux de mettre en oeuvre, sans attendre, son trop plein d'explosivité. Passés maîtres dans l'art de la prémonition, les Transalpins de la Faema, puis plus tard de la Molteni, plus altruistes et moins mégalomanes que leurs consoeurs, lui offriront, avec délectations et sans contrepartie aucune, les clés de la boutique. La suite, comme vous le savez, leur donnera raison.


Nous étions à l'orée de la douzième étape, de ce Giro 68, et ce premier jour de juin annonçait une rencontre mémorable et inoubliable avec l'apocalypse, le rationnel, celui qui engendre l'effroi, la frayeur et l'innommable pour l'éternité. Peu de coursier, même aujourd'hui, ne subodore combien ces hommes, qui ont vécu cette journée dantesque, gardent, à jamais, enfoui au plus profond de leurs entrailles, les stigmates, encore à vifs, de cette étape démentielle. Cortina d'Empezzo, la haute, la rebelle, cité Olympique, douze années auparavant, va revivre les angoisses et les liesses de sa grandeur passée. Juin, en hiver, même notre ''grandguignolesque'' Voltaire, n’aurait pas osé s'affubler d'un pareil bonnet d'âne. Le blizzard balaie la vallée, chemine et serpente, tel un anaconda aviné, enrobant, au passage, tout être et objet gisant, inconsidérément, dans les infractuosités de sa quête mortuaire. Edouard-Eddy Merckx, lui, est seul, tel un éclaireur en proie à ses frasques suicidaires. Casquette vissée au crâne et gants polaires, frisants le dérisoire, tentant d'épouser une fourche au touchée improbable, ce Rasmussen des temps modernes, tranche la route, fend le froid, rompt la glace, dompte la neige et ''caramélise'' ses adversaires. Au delà de la tempête rageuse et furieuse qui paralyse membres et cerveau, au comble de la déraison, le Wallon a, de par cette chevauchée hors du temps, ébranlé voir soumis l'adversité. Ce raid insensé aux travers de ces routes inviolées, car immaculées de poudre blanche, et de ces pentes monstrueusement fantomatiques, car dénués d'arbres et de végétations, a engendré, chez les suiveurs et les coureurs, l'incompréhension, l'aberration et, enfin, l'admiration. En Italie, comme ailleurs, les légendes vont bon train et certaines, tenaces, laissent entendre que jamais, de mémoire d'homme, on avait vu un coursier escaladé un col à une vitesse telle. Le ''Bergamasque'', dont l'avenir de sempiternel dauphin s'ébauche cet après midi là, tel un automate s'extirpe de sa monture le visage ravagé par les meurtrissures et les larmes. Les autres, tous les autres franchissent la ligne, tels des zombies transis, gelés et écoeurés par tant d'insolence faîte homme. Plus que les écarts enregistrés aux ''Trois-Cîmes'' de Lavaredo, c'est la chappe de plomb majestueuse et implacable, que le tout jeune Eddy Merckx a poser, promptement et inexorablement, sur le peloton, qui interpelle suiveurs et tifosis. Les adversaires du ''présomptueux'', eux, n'ont pas encore évalué, les dégâts insidieux, causés à leurs ambitions initiales et légitimes, par le scénario irréel vécu et imposé, contre toute attente, ce premier jour de juin.


Ils ne s'en remettront, jamais ! Le néophyte d'Outre Quiévrain a ouvert un gouffre immuable entre lui et ses adversaires. Le ''Showman'', le ''Messie''* et le ''Bergamasque'', respectivement second, troisième et sixième, sont, désormais, à des années lumières de celui qui allait devenir, en remportant ce Giro 68, le cinquième étrangers, après Koblet, Clerici, Gaul et Anquetil, a figurer au palmarès de l'épreuve reine des tifosis et, surtout, le premier Belge. Ceint, en outre, du maillot de meilleur grimpeur, gageure en forme de clin d'oeil pour un représentant du plat pays, Il n'offrira pas, pour l'heure, sa toute nouvelle notoriété, à tord, sans aucun doute, à la face du royaume des Francs, lors du Tour de France de cette année là. On sait ce qu'il en advint.
Son triomphe de 68 aura des répercussions malheureuses de l'autre côté des Alpes. Las de tant d'impudence et d'insolence mêlée, de la part d'un tout jeune freluquet, même pétri de talent, des gens malintentionnés et sans scrupule, aucun, s'ingénieront à lui ''pourrir'' sa marche triomphale et inexorable vers un second sacre d'affilé lors du Tour d'Italie 1969 . A Savone, la bien nommée, étape sans réel difficulté le jeune Eddy a rendez vous avec son destin. Brutus a fait des émules, en ces lieux chargés d'histoire, et la mort du toréador ne bouleverse, en aucune manière, les états d'âmes lorsque celui-ci n'est pas un autochtone. Mis hors course pour une sombre histoire de dopage ''abracadabrantesque'', c'est en pleurs que le ''Cannibale'', incrédule et meurtri, s'enfermera, seul, dans sa chambre d'hôtel au soir de cette rocambolesque journée. Finalement, hissé par tout un peuple, auréolé du sobriquet révélateur de ''dieu vivant'' par nombres de tifosis dissidents, peu avares de superlatifs, et surtout, soutenu, contre vent et marée, par des instances Internationales, irréprochables, en la circonstance, pour qui la duperie ne faisait aucun doute, Eddy Merckx verra sa peine commuée en ''travail d'intérêt général'' à savoir, participer à sa première Grande Boucle !

Et là, mes amis, la rage au ventre, blessé au plus profond de ses entrailles, le ''Cannibales'' entamera, alors et pour toujours, sans plus aucune once de sentiments vis à vis de ses adversaires, sa boulimique vengeance ! Le palmarès invraisemblable de ce Tour de France 1969 est édifiant à ce sujet.


* ''Messie'', pseudo ''donné'', par votre serviteur à Michèle Dancelli pour avoir redonné la ''vie'' aux tifosis un jour le mars 1970. En effet, ce jour là, le Brescian a mis fin a 17 années d'austérité (victoire de Loretto Petrucci en 1953) en remportant la ''Primavera'' !

 

 

Michel Crepel

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