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L'"Enfer 81 (2) du Blaireau"


Michel CREPEL

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« Enfer 1981 » : Le « Blaireau » cloue, une bonne fois pour toute, le bec à ses détracteurs.

 

 

"Cette course est une hérésie !", c'est en des termes peu élogieux teintés de mépris non feint que le "Blaireau" juge la présence de l'"Enfer du Nord", et à un degré moindre du "Ronde Van Vlaanderen", au sein du calendrier international. D'ailleurs, ses précédentes participations ne l'ont pas vraiment conforté dans son for intérieur à changer d'avis. Pourtant, malgré les incidents et aléas inhérents à ce type d'épreuve atypique et qui ont émaillés ses trois dernières apparitions, Bernard Hinault a toujours, à un moment ou à un autre, pesé sur le déroulement de la course. En outre, le Breton s'est amélioré à chaque sortie, treizième en 78, onzième en 79 et enfin au pied du podium en 80. Le paradoxe est saisissant, son aversion tenace et sans doute "indélébile" ne s’avère nullement rédhibitoires pour qui connaissent les volte-face et pirouettes du "Blaireau" dès que l'on titille son amour propre. En effet, le "Menhir d'Yffiniac" abhorre le fait même d'humer l'opprobre à son endroit, cela tend à exhorter une rage dévastatrice. Le granit qui fait office de crâne, chez cet Armoricain enraciné, est imperméable à tous sentiments de complaisance lorsqu'il s'agit de vaincre. Cet état de transe carnassière du "Blaireau" hante encore les chaumières des coursiers qui ont eu affaire à ce prédateur fulminant. C'est ceint du maillot irisé, conquit avec maîtrise et autorité six mois plus tôt, que Bernard Hinault se range donc sous les ordres du directeur de course au départ de Compiègne en ce printemps maussade du 12 avril 1981.

Au départ de Compiègne, l'attention de tous se porte essentiellement et consensuellement sur le "maillot irisé". Un rictus, un regard du "Blaireau" permettrait, en effet, de déceler ses intentions, ses ambitions. Pourtant, le roublard Breton ô combien malicieux ne laisse rien transparaître. Marris de tant de sentiments déférents à leurs égards, ses adversaires feront acte, bon gré malgré, d'une défiance des plus acérées. Tout le Gotha du "Bouffeurs de pavés" s'est donné rendez-vous en ce dimanche 12 avril. Les inamovibles et incontournables "funambules des ornières" à savoir, le "Gitan" et le "Cecco" demeurent toujours mais néanmoins à juste titre en pôle lorsqu'il s'agit de ressortir un favori du lot. Derrière, ces deux monstres sacrés de l'"Enfer", une pléiade d'outsiders piaffent d'impatiente et rêvent en silence de détrôner leurs idoles devenues par trop encombrantes. Les plus présomptueux, à s'approprier in extenso et de facto le sceptre, se nomment Hennie Kuiper, Batave pur et dur et coursier ô combien complet, Gilbert Duclos Lassalle le jovial entêté, obnubilé par le défi nordiste, Marc Demeyer le puissant et imposant Flamand protecteur, en son temps, du bouillant Freddy Maertens et enfin l'acariâtre et belliqueux Néerlandais Jan Raas. D'autres, plus attachés aux sacro saintes lois du milieu ambiant apparaissent, apparemment, moins concernés, mais pas nécessairement complexés, par cette haute lutte de pouvoir. Au premier rang de ses jeunes loups figurent, tout d'abord, l'"Ange de Willebroeck", véritable archétype du champion de demain. Fons de Wolf, qui vient de s'adjuger la "Primavera"en solitaire devant son compatriote et "maître" Roger De Vlaeminck, possède, en effet, toutes qualités requises pour, à court ou moyen terme, succéder au "Gitan", à défaut de postuler "irrévérencieusement" au trône du "Cannibale". En outre, sa frimousse d'archange tombé des cieux un soir de Noël enneigé, fait se pâmer toute une génération de jeunes "damoiselles" de bonne famille d'Anvers, de Gand, de Bruges et d'ailleurs. Outre ce bourreau des coeurs, le Yankee Greg Lemond, tout droit débarqué de son Minnesota natal, le cadet de la très respectée fratrie Planckaert, Eddy, le jeune Irlandais, lauréat chez les amateurs, Stephen Roche et les Français Marc Madiot, également récompensé dans la catégorie inférieure et Alain Bondue voir René Bittinger ou encore Jean René Bernaudeau peuvent raisonnablement espérer profiter d'un hypothétique, mais nullement utopique, marquage draconien et impitoyable entre les costauds. Le début de course est traditionnellement le théâtre d'une procession en direction des premiers secteurs pavés. Cette édition n'échappant, évidemment, pas à la règle, c'est peu ou prou un peloton groupé qui aborde les faubourgs d'Atres, situés à une centaine de bornes de Roubaix. A partir de ce lieu prédestiné au nom prémonitoire, la course va prendre une tournure offensive où tour à tour les coursiers vont mettre le feu. Quatre hommes, Jean René Bernaudeau accompagné de son compatriote Frédéric Vichot, du Belge Gery Verlinden et de l'Italien Marco Cattanéo prennent la poudre d'escampette et creusent, immédiatement, un écart conséquent par rapport à un peloton piégé, certes, mais bigrement vigilant comme en atteste le tempo imposé par celui-ci.  A Valenciennes, lieu de ravitaillement immuable, l'avance du quatuor s'est stabilisée à la minute. La progression du groupe de tête est désormais laborieuse. Les aspérités saillantes du macadam, le pavé glissant et les ornières gorgées d'eau freinent les ardeurs des plus intrépides. A l'arrière, les chutes et crevaisons, véritables fléaux inhérents à l'"Enfer du Nord", commencent à faire son office et opèrent parcimonieusement mais impitoyablement la sélection. Le Néerlandais à lunettes et favori patenté de nombre de suiveurs est un des premiers à en avoir fait l'amère expérience. Le tout frais émoulu lauréat du "Volk", victime d'une chute malencontreuse, bien avant les premières escarmouches pourtant, a été contraint à l'abandon.  A soixante bornes de l'arrivée, le peloton est alors sujet à des soubresauts intempestifs, dont Roger de Vlaeminck et Gilbert Duclos Lassalle profitent pour s'extraire. "Gibus" et le "Gitan", tandem de choc, s'il en est, volent sur ces pavés d'un autre âge. Les deux hommes, maculés de boue de la tête aux pieds ont le masque. Le visage hagard, de l'homme faisant fi de ses réticences et de ses angoisses, ces deux gladiateurs des temps modernes roulent et roulent encore, virevoltant et aériens. Passés maîtres dans l'art de dompter et domestiquer les pièges, nasses et rets de tous genres, ils ne tardent pas à coller aux basques des quatre présomptueux, fourbus et crottés, à les rejoindre puis à les déposer, là, sans autre forme de procès. Durant vingt longs et fastidieux kilomètres le duo Franco-Belge s'escrime et progresse de concert avec panache et unité et font montre d'une parfaite harmonie, malgré les conditions exécrables. A ce moment là, "Monsieur Paris Roubaix" est victime d'un incident mécanique récalcitrant qui à pour effet de propulser seul le Français à l'avant de la course une minute devant la meute en chasse. Le Béarnais, débarrassé de cette chape de plomb que représentait le "Gitan", continue de résister, malgré tout, à des poursuivants de plus en plus velléitaires. Son avance fond à une cadence régulière mais inexorable. "Gibus" dépité doit rendre les armes à l'entrée du secteur pavé de Wannehain où, pas plus heureux que le "Gitan", il perce à son tour. Le Français parvient, néanmoins, tant bien que mal à prendre les roues d'une dizaine de coursiers lancés à vive allure vers Roubaix. Comble de malheur, le valeureux Béarnais chute du côté de Gruson et rend définitivement les armes. A ce moment là de la course, ils ne sont plus que six au commandement. Que du beau linge. La sélection a été impitoyable et drastique. Seuls les costauds sont parvenus à s'ériger en maîtres en ces lieux maudits et hais de tous. L'énumération des acteurs de ce final laisse augurer un final du "feu de dieu" ! En effet, sont présent, le Champion du Monde, notre "Blaireau" national, le "Baron des pavés" Roger de Vlaeminck, le "Cecco" Francesco Moser lauréat des trois dernières éditions, Marc Demeyer toujours placés jamais gagnant, Hennie Kuiper qui connaîtra son heure de gloire deux ans plus tard et enfin l'"intrus" de la bande le Belge Guido Van Calster rompu, toutefois, à ce genre combats douteux. Vous imaginez bien que nantie d'une telle représentation, cette échappée peut être qualifiée, sans trop de risque de se fourvoyer, de décisive. Toujours du côté de Gruson, la "maudite", un coup de Trafalgar se produit sous la forme d'une chute de Bernard Hinault. Le Breton, concentré plus que de raison, sans doute, sur son final est soudain victime d'un caniche qui, apeuré et laissé libre par "Mémère", plonge sous la roue avant de la malheureuse victime. Résultat, une chute sur le pavé, une vive douleur ressentie et une rage décuplée. La "bave aux lèvres", le rictus vengeur, le "Roc Breton" enfourche alors sa monture, fait sauter les pignons avec déraison et écrase les pédales avec force et conviction. Son regard de "killer" en dit long sur son désappointement. Le "Blaireau" ne mettra finalement que quelques centaines de mètres pour recoller au quatuor sur orbite terminale. Mais suite à ce coup du sort, les "mouches avait changé d'âne". En effet, si avant le "drame" tous semblaient se convaincre que la décision finale se circonscrirait autour du duel "Gitan" - "Cecco", les évènements subit par le "Blaireau", quelques instants plus tôt, firent que les affirmations et convictions précédentes s'avérèrent soudain moins catégoriques et plus nuancées quant aux chances des uns et des autres. Pour qui connaît le "Blaireau" nanti de cet état de transe innommable, la prudence tient lieu de raison. Depuis sa malencontreuse chute, le Breton s'est résolument installé en tête de colonne et imprime un train d'enfer à ses cinq acolytes. Sans un regard pour quiconque il martyrise sa machine tout en absorbant les difficultés de la chaussée avec délectation et jouissance.  Même si le "Gitan" a perdu de sa verve d'autrefois, il demeure toujours bien présent dans la roue du Français. Le "Cecco", lui, contrairement à son habitude, attend et toise l'adversaire avec parcimonie puis d'un oeil inquisiteur scrute chaque faits et gestes du petit groupe. Hennie Kuiper pour sa part a pris, bien évidemment, fait et cause pour son leader de Daf-Trucks, le "Gitan" qui l'a fait sacrer "Empereur des Flandres", une semaine plus tôt lors du "Ronde Van Vlaanderen". Le puissant Marc Demeyer apparaît toujours aussi impressionnant sur les secteurs difficultueux et ne montre, comme de coutume, aucun signe de lassitude si ce n'est de l'impatience à en découdre. Enfin, Guido Van Calster se satisfait amplement de faire partie de pareille équipée et trône invariablement en queue d'alignement. Depuis longtemps déjà, tous subodorent bien volontiers que personne ne parviendra à s'extirper de celle toile d'araignée. La pression, le "Gitan" en est investie dès son entrée sur le vélodrome dans la roue de Kuiper. Un cinquième titre, ici, le hisserait sans doute à jamais "Roi de l'Enfer". Le Batave a, tout juste, le temps d'humer le parfum particulier des clameurs de la foule du "tourniquet" infernal que Bernard Hinault, avec sa hargne légendaire, s'est installé en tête du groupe. Nous sommes alors à quatre cent mètres de la ligne et nul doute que le "Blaireau" à l'intention de faire parler la puissance à défaut de la vélocité, apanage du "Gitan", par exemple. Dans sa tête, il s'imagine refaire le coup de la "Gold Race", dix jours auparavant, où lançant l'emballage de loin, personne n'était parvenu à le remonter totalement, pas même Roger De Vlaeminck, son dauphin ce jour là. Muni d'un 53x13, le "Blaireau" accélère progressivement alternant danseuse et bec de sel. Dans la ligne opposée, aux deux cent cinquante mètres il annihile une tentative du colosse de service, Marc Demeyer puis poursuit sans se désunir un seul instant son accélération régulière et meurtrière. A la sortie du dernier virage, à la corde puis pleine piste, il apparaît irrésistible et inabordable tant la puissance phénoménale qu'il dégage pour enrouler son braquet de mammouth est inouï et maîtrisée à la perfection. Seul, le "Gitan", placé à l'extérieur, parvient à faire illusion dans les derniers mètres en tentant, en vain, une remontée de la dernière chance. Trop tard en tous les cas pour déborder un homme orgueilleux et fier d'avoir cloué le bec à tous ceux qui lui reprochaient de ne pas aimer l'"Enfer" pour la seule et unique raison à savoir, son " incapacité à gagner une telle course". Ce monstre d'abnégation et de certitudes a, une nouvelle fois, prouvé que la vérité du terrain est la seule entité recevable du sport en général et du cyclisme en particulier.

 

 

Michel Crepel

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