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Hommage à Raymond Delisle


Michel CREPEL

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Raymond Delisle où l’ivresse des grands espaces !



Longtemps la Normandie et ses autochtones furent affublés d’une réputation peu enviable de girouettes, d’indécis voir d’apôtres de l’ambiguïté. L’histoire de notre grande nation, à l’époque du XVIIème siècle nous révèle qu’aux détours de ses multiples traits de génie un certain Jean de La Fontaine évoque en termes peu flatteurs, certes mais teintés, néanmoins, d’une certaine once de poésie, au sein d’une de ses fables « … Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, ni fade adulateur, ni parleur trop sincère. Et tâchez quelquefois de répondre en Normand … » ou bien encore au cœur d’une revue de Rouen et de la Normandie du début du XIX siècle « … Il s'y fait une grande consommation de mais et de si … », diligentèrent à leur manière cette pensée insidieuse et tenace qui colla longtemps, telle une sangsue, à la peau des héritiers de Guillaume le Conquérant. Le fleuron « P’têt ben que oui, p’têt ben que non » fut, sans l’ombre d’un doute le plus caricatural, le plus désopilant mais également le plus désobligeant des traits infligés aux « martyres de mai-juin 1944 ».



Pourtant, s’il existe bien un ressortissant de cette magnifique région, bordée, par un bras de mer, ballottée entre les métaphores Britanniques et les atermoiements d’un certain Antoine-Augustin Bruzen de La Martinère, Dieppois de son état et accessoirement historien du XVI-XVIIème siècle, finalement baptisée Manche, c’est bien Raymond Delisle. En effet, ce Normand bon teint qui a vu le jour, à l’aurore d’une déconfiture Teutonne, le 11 mars 1943, à Ancteville, en Pays de Coutances à quelques encablures d’où, une petite vingtaine d’années plus tôt, le jeudi 26 juin 1924, le Vichyssois Albert Londres, journaliste au « Petit Parisien » (concurrent du tout puissant journal « l’Auto » organisateur du Tour de France) accompagné de la fratrie des Pélissier Henri et Francis, en l’occurrence, attablés au Café de la Gare de Coutances, publia son inénarrable et devenu culte, recueil, « Les Forçats de la Route », fut un piètre représentant de cette caste d’indécis et de disciples de la tergiversation. Raymond Delisle apparaissait déjà, aux prémices d’une carrière prometteuse, nanti d’un caractère trempé voir acéré qui laissait peu de place aux dérobades et échappatoires de toutes natures.



Le tout jeune Raymond perdit sa mère très tôt et dû sans délais faire face à l’adversité à un moment où généralement les enfants se découvre. Son père, un besogneux comme il en existait partout aux confins des campagnes de France et de Navarre ne put, seul, assumer l’éducation du petit Raymond et c’est dans les bras de sa grand-mère que celui-ci alla se réfugier. C’est sous la houlette de cette femme généreuse et aimante que Raymond entama une scolarité studieuse à défaut d’être brillante. Puis, à regret, il quitta cette dernière afin de tenter sa chance dans la capitale où son oncle lui dénicha un emploi qui lui permit, grâce à des économies chichement acquises et préservées, de se « payer » son premier vélo.



C’est en 1959, que le destin de Raymond Delisle bascula et pris une nouvelle tournure. Nostalgique de l’air iodé et des attentions de sa grand-mère, il revint dans sa région natale et s’enquiert d’un emploi chez un marchand de vélo du nom de René Wild. Il s’avère, en outre, que le dit Wild est le président du club local de cyclisme de Périers. Devant l’insistance et l’abnégation de ce garçon désargenté, chétif mais plein d’entrain, ce philanthrope, dont l’école de cyclisme joui toujours, à l’heure actuelle, d’une réputation sans faille, lui alloua une bécane ainsi qu’une licence en quatrième catégorie au club du village. Employé désormais à Périers comme aide-géomètre chez M. Lhoste, l’Anctevillais peut, dorénavant, à loisir, se consacrer sereinement et ambitieusement à sa nouvelle passion, le cyclisme.



Tout frais émoulu coureur cycliste, Raymond Delisle, alors inconnu des « saute ruisseau » du cru, mit tout en œuvre pour ne pas décevoir son mentor et également pour s’affirmer au sein d’un groupe de coursiers dont il ignorait les tenants et les aboutissants. Ces derniers admiratifs et bluffer voir éberlué par tant d’insolence à appréhender et dompter les raidards et accumuler, souvent après s’être isolé à l’avant de la course, les kilomètres sans le moindre rictus de lassitude ne tarissaient pas d’éloges sur ce nouveau, soudain, devenu la coqueluche du club de Périers. Rapidement, Raymond se révèle très prometteur dans toutes les épreuves Normandes et lors de sa participation au Maillot des jeunes de Paris Normandie, il tapa dans l’œil de Mickey Wiégan alors entraîneur de l’incontournable club de la capitale, l’ACBB. Ce dernier, fin négociateur au demeurant lui fit une proposition qu’il ne put refuser et avec l’accord de son « boss » et ami, René Wild, Raymond Delisle, s’engagea dans le club omnisport de Boulogne-Billancourt, où le jeune Normand côtoiera des « cadors » de la trempe de « Monsieur Jean », Jean Stablinski et un « pays », et non des moindres puisqu’il s’agit de « Maître Jacques », Jacques Anquetil.



Au sein du plus grand club amateur de l’hexagone, Delisle se sentit comme un poisson dans l’eau. Le Normand récita ses gammes aux côtés des meilleurs entraîneurs de l’époque et progressa assez rapidement. Ses déboires passés, les difficultés financières rencontrées tout au long de son enfance et de son adolescence engendreront chez le gamin d’Ancteville un désir d’apprendre et de se surpasser dans un environnement propice à l’émulation au sein duquel s’escrimait une grande partie de l’élite amateur Française. Atteindre le plus haut niveau du cyclisme devint alors son cheval de bataille, son leitmotiv, à l’amorce des années 60. Coureur complet, Raymond démontrera, dès les amateurs à l’ACBB, ses qualités dans l’effort solitaire en s’adjugeant, le titre honorifique de Champion de France du contre-la-montre par équipes (1964) en compagnie de coursiers de grands talents tels Jean Jourden ou Christian Raymond, ce dernier devenant, une saison plus tard un de ses compagnons de randonnée chez Peugeot durant une grande partie de leur carrière respective. Raymond Delisle profitera, en outre, de son passage au sein du groupe de Mickey Wiégan pour tester sa propension à amadouer puis à bien figurer à l’occasion des épreuves par étapes. Ainsi, troisième de la 3ème édition du Tour de l’Avenir 1963, remportée par l’Alsacien André Zimmermann, le Normand fit étalage d’une régularité de bon aloi eu égard à ses prestations futures. Lors de cette exercice périlleux, il devança des coureurs qui plus tard connaîtront des destins plus ou moins heureux comme Lucien Aimar, que l’on ne présente plus, le finisseur Vénitien Dino Zandegu, le facétieux Britannique Barry Hoban, le rouleur Méridional Georges, « Jojo » Chappe ou les Ibères Ramon Mendiburu et José Antonio Momene ainsi que le Champion Olympique de Rome en 1960, le Russe Viktor Kapitonov, par ailleurs emblématique capitaine de la formidable armada de l’URSS amateur et accessoirement grand artisan de la coexistence pacifique de l’Est et Ouest prôné par Khrouchtchev. Quelques succès tels le Tour du Lac Léman ou le Tour d’Eure et Loir viendront agrémenter un palmarès qui n’en est, bien évidemment, qu’à ses premiers balbutiements.



Pourtant à seulement 21 printemps, Raymond Delisle aura déjà roulé sa bosse et fréquenté tout ce que La France du vélo compte en coursiers à la notoriété déjà largement établie, aguerris ou bien en devenir. De Jacques Anquetil à Jean Jourden en passant par André Darrigade, Jean Stablinski, Jean Forestier ou Christina Raymond, Raymond Delisle se devait, désormais, de franchir le « Rubicon », synonyme de passage à l’échelon supérieur à savoir, les professionnels. Ce sera Peugeot-BP-Michelin et son mythique maillot blanc à damiers. Cette entreprise qui a vu le jour à l’aube du XIXème siècle (1810) et qui dès 1858 s’orienta vers la confection de bicyclettes parviendra à créer sa première formation cycliste deux ans avant la naissance du Tour de France, soit en 1901. Soixante saisons plus tard, le groupe Peugeot fait partie intégrante du patrimoine du cyclisme mondial et son palmarès n’est plus à louer. C’est au sein de cette infrastructure en pleine expansion, que le jeune Normand va user ses fonds de cuissards. Raymond, débarque, l’année (1965) où la « star » de l’époque, le Britannique Tom Simpson devient Champion du Monde à San Sebastian en Espagne. Au terme des quelques 267 bornes du parcours, le « Major » dispose du Teuton Rudi Altig à la faveur d’un sprint à deux, 3’40’’ devant le peloton réglé par le Belge Roger Swerts. Simpson récidivera deux mois plus tard en remportant le Tour de Lombardie.



Lors de cette entrée en matière palpitante, Raymond Delisle se contentera de se tester, se classant second du Tour du Morbihan remporté par le Tourangeau Guy Ignolin et cinquième d’un Tour de Romandie où la triplette Transalpine, Vittorio Adorni, Felice Gimondi et Michèle Dancelli fit merveille en monopolisant l’attention et en installant le « Showman » à la première place. En fin de saison Raymond, grimpera sur la seconde marche du podium de la Promotion Pernod, récompensant les meilleurs coureurs Français de moins de 25 ans, derrière le Marseillais Georges Chappe du groupe Mercier. 1966, verra l’intégration du futur géant de ce sport, Eddy Merckx au sein d’une formation Peugeot où cohabitent désormais, outre le Bruxellois, Ferdinand Bracke, Charly Grosskost, Désiré Letort, Roger Pingeon, Christian Raymond, Tom Simpson, ou Georges Vanconingsloo. Dans un groupe homogène malgré la présence de Merckx, Bracke ou Simpson, Raymond parvient à tirer son épingle du jeu en remportant, par exemple, la course de côte du Mont Faron ou bien en comptabilisant les accessits lors d’épreuves aussi hétéroclites que le Tour de Romandie (2ème), le GP du Midi Libre (2ème), le Tour du Morbihan (2ème) ou Bordeaux-Saintes (2ème) voir le Circuit d’Auvergne (3ème). Pour la seconde fois sur le podium de la Promotion Pernod octroyée au Varois Lucien Aimar, Raymond Delisle poursuit son petit bonhomme de chemin tout en remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier. Le Normand a appris de ses racines terriennes la ténacité et l’abnégation deux rouages essentiels au métier de coureur cycliste.



Son apprentissage se poursuivra en 1967, à 24 ans, le Normand poursuit sa quête d’accessits Au Tour du Luxembourg (3ème), sur le Critérium National (3ème), à l’occasion du GP d’Orchies puis lors de la « Classique des Feuilles Mortes » où il prendra une honorable 9ème place, son premier « Top 10 » dans une classique de légende. En 1968, après une seconde place, riche d’espoir, au Tour de Romandie dans l’aspiration de son ex-coéquipier Eddy Merckx, dorénavant chez Faema, Raymond se préparera minutieusement afin de participer au « Derby ». Au terme des quelques 555 bornes (554,5 km) que comptait ce Bordeaux – Paris, 67ème du nom, le gamin d’Ancteville, terminera second à moins de trois minutes (2’42’’) du représentant d’outre Quiévrain, le Namurois Emile Bodart mais devant des « cadors » de la discipline tels l’Allemand Rolf Wolfshohl ou le Belge Noël Foré. Il y aura finalement quatre classé. A défaut du Tour de France, Raymond Delisle s’alignera à Campione d’Italia, lieu de départ de son seul et unique Tour d’Italie. 39ème à Naples, terme de l’épreuve, il assistera, de loin mais muet d’admiration, à l’exploit réalisé par un coureur auquel il sera confronté de près lors des prochaines saisons, Eddy Merckx, sur les pentes fouettées par le blizzard de l’ascension vers les Trois Cimes de Lavaredo.



Concernant le Tour de France, Raymond Delisle y participera de 1965 à 67 sans interruption. Si le premier se termina par un bâchage dès la 11ème étape, les deux suivant s’avérèrent encourageant puisqu’il enregistrera une 23ème puis une 26ème place. Lors du premier millésime, le Normand épaulera, nanti d’une fidélité jamais démentie, son leader d’alors, le Bugiste Roger Pingeon, qui terminera à une enviable huitième place. Le second sera couru par équipes Nationales et en la circonstance, Raymond Delisle sera rejeté dans la formation des Coqs de France avec des coursiers de la qualité de l’Alsacien Henri Anglade, du Breton Georges Groussard ou du Gersois Raymond Mastrotto, tout excepté du petit bois. Jacques Goddet et Félix Lévitan, lors d’une crise de paranoïa dont ils avaient le secret, seront les premiers responsables de la frustration éprouvée, dûment, par Raymond Delisle lorsqu’il assista, dépité et nanti d’une pointe d’agacement, au triomphe de son leader chez Peugeot, Roger Pingeon, membre occasionnel de l’équipe de France de Marcel Bidot lors du final au Parc des Princes de cette 54ème édition. Après avoir assisté incrédule et impuissant, une dizaine de jours plus tôt, au drame de la 13ème étape sur les pentes surchauffés du « Géant de Provence » au décès de son compagnon et ami chez les « Damiers », Tom Simpson, le Normand venait de passer un mois de juillet pour le moins sombre et amer.



L’année 1969 sera, pour Raymond Delisle, celle de la consécration ainsi que sa meilleure saison. A 26 ans le Normand est, enfin parvenu à maturité et le temps est venu, pour cet ancien apprenti boulanger, plombier et vendeur de rideaux (et j’en passe et des tout aussi respectables) de laisser libre cours à un tempérament de feu et à son inclination pour les échappées fleuves, en solitaire autant que possible. Adepte du contre-la-montre, Raymond préfère élaborer son tempo propre aux sensations éprouvées et ainsi se préserver d’un hypothétique mais réel surrégime. Le Normand, en étant confronté au « Bergamasque » Felice Gimondi, dès sa prime jeunesse de « saute ruisseau », à l’occasion du Tour de l’Avenir 1963 à tout juste 20 ans et, en outre, ayant débuté chez Peugeot avec le coureur qui deviendra la « légende » de ce sport à savoir, Eddy Merckx, le « Cannibale », Raymond, s’était, depuis belle lurette, fait à l’idée qu’il demeurerait à jamais dans l’ombre par trop encombrante de ces « Fuoriclasses ». On ne raconte pas des balivernes à cet homme de la terre rigoureux et sage.



Maintenant, Raymond se connaissait parfaitement, sa lucidité et sa clairvoyance sont devenues, entre autres, au fil du temps deux de ses marques de fabrique tout au long de ses années d’apprentissage du haut niveau. Au sein même de la formation de l’incontournable Viennois Gaston Plaud, Delisle devait allégeance à ses leaders successifs, Eddy Merckx, Roger Pingeon, Tom Simpson, Ferdinand Bracke, Jean Pierre Danguillaume ou Bernard Thévenet, toutefois de par ses qualités hors norme de coureur hybride, le Normand était en mesure de suppléer ces derniers sans que la « patrie ne soit en danger » pour autant. Mais surtout, Raymond Delisle appartenait à une race, en voie de disparition, celle des francs-tireurs. Electron libre, sa science ajoutée à son intelligence de course lui dictait tous les caprices même les plus suicidaires. Ainsi, il exploitait toutes les circonstances propices ou parfois tangentes avec un certain brio, il faut bien en convenir pour faire exploser le peloton et s’en aller en goguette au gré de son humeur. C’était pour ainsi dire, un puncheur à l’ancienne.



Raymond Delisle entame cette « année érotique » par le bon bout, si je puis m’exprimer ainsi. D’entrée il s’offre le GP d’Antibes devant le Brestois Jean Pierre Genet, de la maison d’en face, Mercier-BP-Hutchinson. Son printemps s’avérera de bonne facture avec des succès significatifs lors de la Polymultipliée ou le Tour de l’Hérault. Une cinquième place à l’issue de la « Course au Soleil » assoit un peu plus, s’il en était encore nécessaire, sa notoriété. Sa traditionnelle incursion aux pays des Helvètes à l’occasion du Tour de Romandie remporté par Felice Gimondi lui permet d’affiner sa condition à l’abri des regards tout en se mesurant à certains de ses futurs adversaires de l’été. Il obtiendra une cinquième place au général. Deuxième du Critérium National derrière le Grassois de Bic, Gilbert Bellone, il clôturera son printemps par une neuvième place à l’issue d’un GP du Midi Libre dans lequel, pour sa seconde année chez les professionnels un jeune et talentueux Espagnol de 24 ans se distingua de la meilleur des manières à savoir, en remportant l’épreuve chère à Jean René Bernaudeau, lauréat à quatre reprises consécutivement de 1983 à 84, j’ai nommé Luis Ocana.



Une semaine avant le départ du prologue de Roubaix, théâtre du grand départ de la 56ème « Kermesse de Juillet », Raymond Delisle s’offrira un, sinon le plus beau fleuron de sa carrière. En effet, sur le circuit tourmenté et sélective de Soissons dans l’Aisne, le Normand obtiendra la consécration qu’il méritait depuis l’aube de son passage chez les grands, un titre de Champion de France. Les liserés bleu-blanc-rouge, Raymond, ira les chercher à la force du jarret. Ce dimanche 22 juin 1969, dans le Nord-Pas de Calais, le Normand avait des fourmis dans les jambes et des velléités offensives pour le moins exacerbées. Comme de coutume, me direz-vous. Certes, mais Raymond Delisle dès l’entame de la course, affirma ses prétentions comme rarement en attaquant d’entrée et en réitérant ces tentatives acérées, de manières récurrentes, jusqu’à ce que la corde tendue à l’extrême se rompe. A dix bornes de la banderole d’arrivée située dans l’ancienne capitale des Francs-Saliens, la « Cité du Vase », Soissons, Raymond faussa alors compagnie à ses petits camarades de jeux pour s’en aller quérir, en solitaire, le divin « Graal » synonyme d’un titre de Champion de France 1969. Au terme, de la course, le Normand passera la ligne, 17’’ devant le premier groupe de poursuivants, dont le Drômois du « Vicomte » chez Frimatic, Maurice Izier et l’Essonnien de Sonolor, Bernard Guyot, second et troisième respectivement à l’arrivée, ces deux derniers rejoignant le natif d’Ancteville sur le podium protocolaire. Affublé de son superbe paletot tricolore, Raymond Delisle, n’était pas peu fier de pouvoir l’arborer dès le week-end suivant au départ de Roubaix, à l’occasion du Tour de France, au sein d’une formation à damiers motivée et ambitieuse à souhait.



Le cyclisme en 1969 allait basculer, dès cette 56ème Grande Boucle dans ce que l’on pourrait nommer l’ « Ere Merckxienne » ou bien « Révolution Merckxienne », au choix. Toujours est-il, que ce premier Tour de France auquel le Brabançon participait va très vite se circonscrire en une insolente voir impudente et écrasante démonstration d’Eddy Merckx. Le Belge n’abandonnera à la concurrence que la portion congrue à savoir les accessits et quelques étapes que le nouveau « Cannibale » aura jugé bon de ne pas s’offrir. Bref, un véritable ouragan venu d’outre Quiévrain venait de traverser la France en ce mois de juillet 1969 et plus rien, désormais, ne serait comme avant. Pourtant, au cœur même de cette quête orgiaque perpétrée par ce nouveau et boulimique prédateur, quelques artificiers et non des moindres, parvinrent, non sans mal, à tirer leur épingle du jeu tels les finisseurs Rik Van Looy, qui tirait là ses dernières cartouches, Guido Reybrouck, Barry Hoban ou Michèle Dancelli, ainsi que les montagnards et baroudeurs, Roger Pingeon, Joaquim Agostinho, Felice Gimondi ou Herman Van Springel. Au sein de cette confrérie de résistants, Raymond Delisle décida alors que l’heure était venue d’intégrer, lui aussi, les rangs de cette caste vengeresse.



Une chose était certaine, c’est que le Normand ne déparerait pas au tableau, loin s’en faut. Cependant, certains, parmi la composante Peugeot, ne voyait pas d’un bon œil l’émancipation du rebelle. Au premier rang desquels, son leader Roger Pingeon. Aspirant à la notoriété et ceint de la tunique tricolore, son tempérament combatif allait créer un camouflet des plus spectaculaire au sein du groupe de Gaston Plaud. Au matin de l’étape qui conduisait les rescapés de cette 56ème édition, de La Grande Motte à Revel et qui empruntait un tracé accidenté et piégeux à travers les Causses, un conciliabule instigué par « Pinpin » qui, suite au succès de Felice Gimondi, son principal rival, à Aubagne, deux jours plus tôt, s’était ostensiblement rapproché au classement général, intima à ses équipiers de ne rien faire qui pût animer la course. Au cours de ce conseil des sages, de préférence à guerre, Raymond Delisle reçu la consigne de demeurer au côté de son leader.



Il est nécessaire que vous sachiez que Raymond, un sanguin comme dit plus avant, éprouvait une certaine admiration pour les Espagnols au tempérament impulsif. D’ailleurs, n’avait-il pas comme ami, le Basque d’Ibarruri de la formation emblématique Kas, Andrés Gandarias ? Surnommé « Mamilla » en vertu d’une anomalie de langage, les deux hommes parcouraient ensemble, dans le même véhicule, le pays lors de la tournée lucrative des critériums. Aussi personne ne porta ombrage et trouva matière à épiloguer, lorsqu’Andrés pris la poudre d’escampette, à ce que son pote Raymond lui emboîta le pas, dans la foulée. Personne, excepté Eddy Merckx qui, subodorant que cette journée de transition s’avèrerait … de transition n’ébauchait pas le moins du monde devoir remettre de l’ordre dans la maison et jouer les sapeurs-pompiers de circonstance. Ce qui l’irrita fortement et il le fit savoir sans attendre en déclenchant en réaction, une attaque tranchante et violente qui fit réagir Gimondi et donc Pingeon, obligé à son tour de fournir un effort total afin de colmater l’hémorragie instiguée par les deux copains de randonnée en goguette. Furax, et le mot est faible, le Bugiste, la jonction effectuée, vint à hauteur du Normand et lui administra une gifle monumentale dont les Pyrénées se souviennent toujours près d’un demi-siècle, plus tard.



Au bord des larmes, Raymond prendra sur lui et ravalera sa colère du moment et fit profil bas mais nul doute qu’il ruminait sa revanche. Le lendemain, malade, le « Bergamasque » fut rejeté aux calendes grecques ce qui permit à Roger Pingeon de retrouver des couleurs et un semblant de sérénité. Malgré la domination outrageante d’Eddy Merckx, Roger Pingeon entretenait le secret espoir de pouvoir désarçonner le Belge. Pas si secret que cela, d’ailleurs puisqu’il avait minimisé les succès de ce dernier à l’image de sa victoire au Ballon d’Alsace. En effet, à l’époque, le Bugiste clamait haut et fort à qui voulait l’entendre que rien n’était joué et que la domination du Bruxellois était plus apparente que réelle. L’argumentation était un peu spécieuse et Eddy Merckx, pragmatique et consciencieux jusqu’aux bouts des cale-pieds se fit un devoir de mettre les points sur les i du côté de Divonne les Bains. Il en fit de même en remettant le couvert du côté de Revel en laissant le Bugiste à près d’une minute sur les 18 bornes du chrono inscrivant pour la circonstance une cinquième victoires à son compte personnel.



L’étape Revel – Luchon, précédant l’étape reine des Pyrénées avec ses quatre cols de légende, Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque apparaissait comme un hors d’œuvre, certes mais un amuse-gueule des plus musclés à n’en pas douter. Portet d’Aspet, Mente et le Portillon allait être le théâtre de la vengeance du flagellé. Quelle journée ! Voici comment les choses se passèrent ce lundi 14 juillet 1969. Avisant un gamin sur le bord de la route, Raymond Delisle lui demande : « Tu es du pays ? » — « Oui, Monsieur. » — « À la sortie de Castelnaudary, la route monte-t-elle ? » — « Oui, Monsieur. » — « Il y a une bonne côte ? » — « Oui, Monsieur, elle est dure. ». Cette dernière affirmation lui fit changer son fusil d’épaule et au lieu de différer ses projets de révolution, le Normand se fit un devoir de mettre à profit les connaissances du gamin pour déclencher les hostilités et ainsi de précipiter son attaque dès l’amorce de l’étape. S’ensuivit un raid solitaire de six heures aux cours desquelles Raymond éprouvera un bonheur innommable et ressentira les plus vives émotions de sa carrière. Seul au monde, il pouvait enfin donner libre cours à ce tempérament, trop souvent bridé et tant de fois réprimé. Acclamé dans les villes et villages traversés vêtu du sésame cocardier, les radio-reporters de l’époque ne tarissaient pas d’éloges à propos de ce geste de rébellion un jour de Fête Nationale, qui plus est et conséquence d’une humiliation.



Tout y était, manquait plus que les lampions pour que la fête soit complète. Cabochard le Normand n’en restera pas là. A qui l’interrogeait sur ses sentiments à l’issue de cette journée, somme toute harassante, Raymond se fendit d’un « Si Pingeon me redonne une gifle, je regagne demain ! ». Raymond Delisle achèvera ce Tour de France 1969 au 37ème rang à plus de deux heures du « Cannibale », ce qui démontre, plus que les mots, combien le Normand avait soutenu et protégé son leader, finalement dauphin à près de 18’ de Merckx, tout au long des trois semaines que dura l’épreuve chère à Henri Desgrange. De nouveau dans le « Top 10 » du Tour de Lombardie remporté par le très regretté Jean Pierre Monséré, tout juste 21ans, à la 8ème place, Raymond Delisle terminera second du Prestige Pernod, dernière le Limougeaud Raymond Poulidor mais devant son leader charismatique, Roger Pingeon, troisième. Un sacré pied de nez à l’histoire.



Les saisons 1970 et 1971 ne seront pas du même acabit que celle qu’il venait de vivre et qui avait établi le Normand au rang de coursier sur qui il faudrait compter à l’avenir. Il faut avouer, pour sa décharge, que rééditer une telle prestation plusieurs saisons de suite est l’apanage des seuls « Fuoriclasses » et Raymond, hélas, n’appartient pas à cette catégorie et sa lucidité, sa sagacité ne l’a jamais poussée à prétendre le contraire. Aucune victoire de grand standing recensée durant ces deux exercices si ce n’est des succès lors des critériums d’après Tour et un une victoire significative, tout de même, lors du prologue du Dauphiné Libéré devant Ocana, vainqueur de l’épreuve, Pingeon, Van Springel et Aimar, s’il vous plaît ainsi que quelques accessits de haute volée à l’image d’une cinquième au terme de ce même Dauphiné, une troisième place au GP de Plouay remporté par son équipier Jean Pierre Danguillaume et un nouveau « Top 10 », à l’occasion d’une « légende » avec une huitième place sur Liège Bastogne Liège adjugé à Eddy Merckx. Cette 57ème édition de la « Doyenne » sera de la même trempe que celle remportée par le « Blaireau » en 1980. Comme lors de la course où Bernard Hinault souffrit le martyre, l’épreuve de 1971 se déroula dans des conditions apocalyptiques. Neige et froid glaciale firent de cette édition l’une des plus épouvantables de l’histoire, vingt-sept courageux, dont le Normand, parvinrent à destination sur 122 partants. Ses Tour de France seront, contrairement au crépuscule des sixties, plus en rapport avec son rôle d’équipier de Roger Pingeon puis de Bernard Thévenet. 11ème en 70 et 77ème l’année suivante le Normand s’acquitta merveilleusement bien de sa mission tout en demeurant un sacré client pour les épreuves de trois semaines.



L’année 1972 sera l’objet d’un printemps abouti au cours duquel Raymond Delisle réalisera un festival de place d’honneur à l’occasion des épreuves par étapes d’une semaine. Qu’on en juge. 4ème de Paris - Nice, 3ème à la Semaine Catalane agrémenté d’une victoire d’étape, 3ème du Tour de Romandie assortie d’une étape, également et une nouvelle fois dans le « Top 10 » de la « Doyenne », 7ème à bonne distance, néanmoins, du « Cannibale » récidiviste. Raymond achèvera sa saison par une septième place au « Lombardie », épreuve qu’il affectionnait particulièrement et au terme de laquelle, Eddy Merckx, insatiable réalisera un nouveau numéro dont il avait seul le secret. En juillet, il accrochera une nouvelle 11ème place à La Cipale en clôture de la 59ème édition de la Grande Boucle. La saison 1973 sera dans la lignée de celle du début des seventies avec un succès d’étape à la Semaine Catalane, une 9ème place à l’occasion de la « Course au Soleil », une seconde place au Trophée des Grimpeurs et une 9ème place sur le Dauphiné Libéré précédant un nouvel 11ème accessit à l’issue d’une « Kermesse de Juillet » remportée, en l’absence du « Cannibale » retenue sur le Giro, par Luis Ocana.



En 1974, Raymond Delisle est âgé de 31 printemps. Deux jours après une 7ème place au terme d’un Liège Bastogne Liège remporté par Georges Pintens et un déclassement, au même titre que les Belges Ronald Dewitte (3ème) et Wilfried David (5ème) pour contrôle anti-dopage positif, Raymond se présentera au départ de son premier et seul Tour d’Espagne avec l’étiquette de capitaine de route et premier lieutenant de Bernard Thévenet. Une belle formation, ma foi, articulée autour du « Bourguignon » avec des garçons aussi talentueux que Jean Pierre Danguillaume, Régis Ovion, Bernard Bourreau ou Guy Sibille. La formation toujours dirigée par l’inusable Gaston Plaud, se classera seconde du classement par équipes derrière l’imprenable Kas. Delisle remportera le court contre-la-montre de 5km de Los Angeles, support de la 10ème (a) étape. En compagnie de Thévenet et Danguillaume, Delisle figurera longtemps au sommet de la hiérarchie de l’épreuve avant de céder du terrain lorsque la météo exécrable à souhait s’invita au rendez-vous dès la 10ème étape (b) qui conduisait le peloton du côté d’Avila. Finalement, Raymond Delisle, dépité et malade bâchera à San Sebastian, veille de l’arrivée à Anoeta.



L’année 1975 débutera en fanfare avec une victoire au Tour du Haut Var et un second succès à l’occasion de la semi-classique Gènes-Nice. A son aise dans le Midi de la France, le Normand en profitera pour s’adjuger la course de côte du Mont Chauve en réalisant le carton plein, course en ligne et chrono. Toujours dans le sud, Raymond participera à Paris-Nice qu’il terminera en 20ème position d’une course remportée par Joop Zoetemelk, non sans s’être imposé à deux reprises du côté de Draguignan puis de Nice, dans la foulée, les deux fois en solitaire. Une septième place au Dauphiné Libéré et place au Tour de France au terme duquel le « Cannibale » a bien l’intention de battre le record de Jacques Anquetil, établi en 1965 avec cinq victoires. Pourtant, le Belge n’est plus aussi serein qu’autrefois, surtout en montagne. Eddy Merckx, en effet, a énormément donné à son sport, sur la brèche de janvier à décembre, il n’a eu de cesse d’empiler les succès, en outre, les séquelles de son tragique accident sur la piste en bois de Blois, en septembre 1969, qui a eu pour conséquence irréparable, la mort de son entraîneur et ami, Fernand Wambst apparaissent de plus en plus présentent au sein d’un corps passablement meurtri. Bref, même si la tâche sera rude, les adversaires du « Cannibale » semblent moins résignés qu’auparavant. Nous ne nous attarderons pas sur Pra Loup et l’exploit de Bernard Thévenet, ni sur le Puy de Dôme et l’agression sur le Belge voir sur Avoriaz et la fracture du maxillaire de ce dernier mais sur la prestation de Raymond Delisle qui, malgré, un dévouement corps et âme pour son leader bourguignon, Bernard Thévenet, est parvenu à accrocher une très honorable et symbolique 16ème place au classement général, en bonne place sise entre des garçons de la trempe du Lusitanien Joaquim Agostinho et de la mascotte nationale du cyclisme Français, Raymond Poulidor. Symbolique car dans un avenir lointain, la Grande Boucle 1975 résonnera, encore et toujours, comme l’édition qui sonna le glas du « Cannibale ».



L’année suivante, le Normand franchira allègrement le cap des dix saisons au sein du giron des professionnels. Dix années riches en émotions, drames, joies, succès ou déceptions, tous les ingrédients propres à une carrière bien remplie qui, malgré toute l’adrénaline et la vigueur encore présente, touche à sa fin. Raymond Delisle, à l’image de nombre de sportifs de haut niveau, souhaiterait marquer les esprits une dernière fois avant le baisser de rideau. Si les occasions ne manquent pas, si le tempérament et le mental sont toujours irrigués par la même sève de compétiteur des premières heures, les jambes, elles n’ont plus la même efficacité que jadis. Les bielles ont énormément œuvrées et les rouages sont quelques peu défaillants. Certes, une dernière révision pour un ultime assaut pourrait être envisageable, il faudra cependant, afin que cela soit réalisable, dénicher le moment propice et idéal à un tel feu d’artifice. La 63ème édition du Tour de France pourrait s’avérer être le théâtre exemplaire et rêvé à pareille entreprise. En l’absence du « Cannibale » l’épreuve n’a rarement été aussi ouverte. Bernard Thévenet semble le favori patenté à sa propre succession mais aura-t-il les reins assez solides pour supporter ce rôle ingrat tout au long de l’épreuve alors que, lors de l’exercice précédent, dans l’euphorie qui l’habitait après Par Loup, il n’a pu, dans un contexte extrêmement favorable, mesurer l’aspect de cette énorme pression. L’avenir proche nous le dira. Pour le Normand, cela ne perturbera pas le moins du monde, son approche de l’évènement. Grégario, il était, grégario, il demeure. Comme dans un rêve, les circonstances de course vont, en ce mois de juillet 1976, se montrer d’une bienveillance biblique envers le gamin d’Ancteville. Après une dizaine de jours d’une course pour le moins grégaire où personne ne se déclare, excepté le Belge Freddy Maertens dont la voracité dans les aires d’arrivée fait des ravages, l’ascension des 21 lacets de l’Alpe d’Huez allait-elle enfin nous gratifier de, ne serait-ce, que d’une tendance propice à toutes les supputations ? Une attaque prématurée de Raymond Delisle allait déclencher les hostilités et placer sur orbite Joop Zoetemelk et Lucien Van Impe, qui, tous deux, couperont, dans cet ordre la ligne d’arrivée, le Belge, en revanche, précédant le Batave au classement général pour moins de 10’’.



En la circonstance, le Normand avait semble-t-il retrouvé de belles sensations et en même temps avait eu le loisir de constater que son leader, Thévenet éprouvait quelques difficultés à suivre les meilleurs lorsque la bagarre faisait rage. Malgré l’Izoard, les Alpes n’auront pas, cette année-là, leur vocation originelle de fossoyeur. Par contre, le massif Pyrénéens présentait lors de cette édition trois jours de galère pour les abonnés au gruppetto. C’est au cours de l’étape initiale de cet ardu triptyque que Raymond Delisle l’orgueilleux allait rédiger le second acte de sa légende. De Port-Barcarès à Pyrénées 2000 les rescapés de cette 63ème édition devront emprunter les cols d’Aussières et de Jau. Coutumier des lieux, le Normand secoue alors l’avant-garde du peloton en plaçant une banderille dont il a le secret. Le belligérant ne constatant qu’aucune réaction belliqueuse ni représailles assassines ne semblaient ourdir à son encontre, il s’en alla. En facteur serait un brin présomptueux, quoique. L’indifférence du peloton à son égard aurait pu le désappointer quelque peu mais il n’en fut rien. L’occasion fait le larron et l’aubaine si près de la fin était un cadeau du ciel. Alors que les favoris à la victoire finale, Van Impe, Zoetemelk, Poulidor se toisaient à l’arrière, victimes de la frilosité contagieuse de leur directeur sportif respectif, Cyrille Guimard et Louis Caput, Raymond eut l’agréable satisfaction de s’apercevoir que ses partenaires se gardaient bien de prendre l’initiative en tête de gondole. Si bien qu’il put exaucer son rêve de s’adjuger une seconde étape sur l’épreuve qu’il vénérait tant et surtout d’entrer de plein pied dans la légende de son sport en endossant le sacro-saint paletot jaune immaculé synonyme de patron et leader du Tour de France. Une étape et un maillot qui demeureront à jamais dans la mémoire collective.



La suite de la Grande Boucle est anecdotique mais pour la petite histoire, sachez que Raymond traversera la région qu’il chérie le plus, en dehors de sa Normandie natale, ceint de la tunique jaune. Il abandonnera celle-ci au sortir du massif Pyrénéen au Belge Lucien Van Impe, vainqueur à Paris, dix jours plus tard. Devenu leader par défaut, le Normand assumera parfaitement son rôle jusqu’aux Champs Elysées où il terminera au pied du podium. Pour neuf misérables secondes, il sera privé d’une vitrine représentative d’une carrière exemplaire qu’il aurait amplement mérité. Les joutes acharnées que se livrèrent les deux Raymond « vétérans », toute la dernière semaine sur fond de « guerre des clans », n’aboutira pas à l’effet escompté de faire de ses deux superbes champions des ennemis irréductibles : « Le jour où j'ai perdu le maillot jaune en 1976, je me suis retrouvé avec lui dans un groupe. On souffrait ensemble. Cela m'a marqué. Poulidor, c'était un type droit et qui venait de la terre. Je suis fier d'avoir couru contre lui. ». Seul, peut-être mais sa pudeur monacale nous priva de cette confession, la coalition fomentée par Luis Ocana et Lucien Van Impe du côté de St Lary Soulan, alors qu’il pouvait espérer ramener le « Graal » à Paname, aurait pu hanter ses jours et ses nuits.



1977 sera la saison des adieux à plus de dix ans entièrement consacrés à la « Petite Reine ». Pourtant respectueux de ce que le vélo lui a apporté, il ne l’appréhendera pas de la même manière qu’une tournée de critériums. Professionnel jusqu’à la pointe de ses orteils, le Normand ambitionne d’achever son périple en beauté. Pour se faire, le Normand, fidèle parmi les fidèles à la maison aux damiers a décidé de changer d’air pour sa dernière représentation. Le flou demeurera sur le pourquoi de cette fuite même si la venue de Maurice de Muer, la saison précédente et la semi-retraite de son directeur sportif de toujours ne semble pas étrangère à cet état de fait. Ou alors, estimait t’il tout simplement qu’il ne serait pas négligeable, à quelques mois seulement de sa retraite sportive, d’aller voir, comme le dit si bien l’adage, si l’herbe était plus verte ailleurs. Toujours est-il, que Raymond Delisle s’est engagé sous les couleurs des Miko-Mercier du truculent et affable Louis Caput. Sa victoire dans la Polymultipliée, huit ans après son premier succès en 1969, soit la saison au cours de laquelle, Raymond a réellement pris conscience de ses aptitudes à lutter à armes égales avec les ténors de l’époque, pourrait très bien être interprété comme un clin d’œil à un pan de son existence qui est en train de se refermer. Sixième du Tour de Romandie, épreuve à laquelle il est resté fidèle tout au long de sa carrière, remporté par la relève, à l’image de l’Italien Giambattista « GB » Baronchelli, mais devant Eddy Merckx et Lucien Van Impe, démontrera, une fois encore, son implication à la tâche et sa force de caractère peu commune.



Second du Critérium National derrière Jean Chassang, Raymond Delisle se présentera au départ de son ultime Grande Boucle avec la sérénité du devoir déjà accompli. D’ailleurs son leader, Bernard Thévenet, abordera celle-ci de manière plus volontaire que l’édition précédente. Le contre coup de son succès sur Merckx digéré, le Bourguignon pouvait dès à présent reprendre les affaires courantes. Raymond Delisle comme à son habitude sera d’une grande aide lorsque son leader sera en difficulté face aux assauts conjoints et réitérés de Lucien Van Impe et Hennie Kuper, dans l’Alpe d’Huez, notamment où il terminera épuisé. Eddy Merckx, quant à lui, diminué pour son dernier Tour ne sera que l’ombre de l’incommensurable champion qu’il fut et qu’il demeurera jusqu’à la nuit des temps. Huit secondes séparaient alors le lauréat de 1975 et le Néerlandais Hennie Kuiper au matin du contre-la-montre de Dijon. Bernard Thévenet n’en menait pas large et ce n’est pas Raymond Delisle, hormis ses sincères encouragements, qui aurait pu lui venir en aide. Finalement tout ce passa comme dans un rêve pour le Bourguignon qui, non seulement remportera l’étape mais s’adjugera son second Tour de France, trois jours plus tard, nanti d’un écart de 48’’, le plus faible depuis les 38’’ entre Jan Janssen et Herman Van Springel en 1968. Raymond Delisle achèvera son dernier Tour une nouvelle et dernière fois au sein de la formation victorieuse, le tout agrémenté d’un nouveau « Top 10 » (neuvième).



La reconversion de cet homme de devoir sera un modèle du genre, exemplaire comme le « bonhomme ». Je ne l’ai pas suivi personnellement, seul son parcours professionnel a dicté mon désir de l’associer à tous ceux dont j’ai déjà « balayé » succinctement, ceci-dit, la carrière. L’acceptation de sa disparition, ajoutée à une forme physique précaire de votre serviteur a seulement retardé l’échéance de cette envie de retracer le parcours vélocipédique de ce « baroudeur » hors norme.




Michel Crepel

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je te remercie de ce bon moment que tu nous as fait partager

mon ami qui courait avec lui m'en parle souvent (il etait dans la même équipe amateur )

Raymond lui avait dit un jour pourquoi as tu arrêté ?

j'avais peut être les jambes pour aller plus loin mais pas la tête et pourtant il venait de gagner le tour de la Réunion de plus c'était l'époque des frères Guyot aux entraînements fallait envoyer......

une petite anecdote il y a dans les cartons de l'A2 un reportage pour les GOGOS sur Sainz qui courait en 1er a Corbeil mon copain me parle souvent de son adresse en vélo (il arrivait au faire les ronds points en posant ses pieds sur le cintre) je doute fort que cela soit mentionné dans ce reportage a scandale....

demain gros championnat celui qui gagnera sera un costaud j'aimerais bien que le petit galopin l'emporte la famille cycliste de l'Essonne serait a l'honneur.......

amicalement

 

 

 

 

 

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Merci Michel pour ces pages de lecture qui nous replongent dans les mémoires du cyclisme des années 1970,c'est toujours intéressant de lire l'histoire des champions qu'on a appréciés ou qui nous ont fait rever à l'époque où on était encore gamin..  actuellement,vient de sortir un livre sur les mémoires de Lucien Aimar qui doit être également très interressant.. 

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Raymond Delisle c'est toute une époque,je me souviens de sa belle victoire dans une étape de montagne sur le tour------🙄 Il avait un style particulier en ascension,pas forcément un pur styliste mais diablement courageux et efficace.Il a porté le maillot jaune,sais plus l'année--------les vieux souvenirs remontent 😇

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Je m'en suis aperçu après relecture mais le mal était fait ! En Moselle plus exactement à Thionville. désormais dans la région Alsace champagne Ardenne Lorraine, c'est le lot désormais de l'assemblage régionale mais je rectifierai pour ses inconditionnels toujours nombreux en Thionvillois !

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A l'époque, à Paris intramuros ou en banlieue, tous les lundi soir, à l'occasion de FR3 Ile de France, les journalistes autopsiaient toutes les disciplines du sport amateur et, il faut bien l'avouer, dans les années 60 le vélo était alors incontournable. Nous suivions, alors, la progression de la fratrie Guyot, Bernard et Claude avec le papa et la maman, impliqués comme rarement dans la quête de leurs gamins. Désormais images d'archives, ils avaient fait l'objet d'un reportage dans l'émission phare des prémices de la télévision, "Les Coulisses de l'Exploit", de Raymond Marcillac et l'ami Jacques Goddet. La "Saga des Guyot" j'appréciais évidemment mieux que celle des "Ewing" dix années plus tard !😉

 

http://www.ina.fr/video/CPF04006782

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