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Pra loup, hier et aujourd'hui ...


Michel CREPEL

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Voilà, la présentation de la 17ème étape telle qu'elle figure sur Radio51.eu, la radio du vélo !

 

Au sortir d'une journée de repos et surtout la dernière, la reprise est souvent chaotique pour certains et cet état de fait n'épargne, évidemment pas le moins du monde, les favoris à la victoire finale. Lorsque ce retour à la vie active a, en outre, pour théâtre une étape, Digne-les-Bains - Pra-Loup, entrée dans la légende en l'"An75" de la Grande Boucle et qui a, de surcroît, fait déverser énormément d'encre et de salive mêlée, nous sommes en droit de nous attendre à tous les scénarios possibles et imaginaires. Tous les ingrédients, étrangement en étroite similitude, avec ceux du passé sont présents excepté peut être, la nationalité des protagonistes en présence. Sur les 161 kilomètres d'un parcours accidentés et variés mais, somme toute pas non plus gargantuesque, qui empruntera les cols des Lèques, de Toutes Aures, de la Colle-Saint-Michel à défaut de ceux de Saint-Martin, Couillole et Champs, les rescapés aborderont, alors la partie commune aux deux étapes distantes de quarante ans. De l'escalade interminable du Col d'Allos et de sa descente infernale où Eddy Merckx avait, une nouvelle fois démontré et ce malgré une santé chancelante que le bonhomme avait le panache chevillé au corps et la montée vers Pra Loup qui sonna le glas de ses espérances présentes et futures au détriment d'un Bernard Thévenet, alors, à l’apogée de sa gloire naissante, les coureurs du XXIème siècle tenteront de réécrire l'histoire. Seules, disais-je, les nationalités ont changé mais les quolibets et les "coups de poing" intempestifs et intolérables demeurent bien présents à quarante ans d'intervalle.

 

Et voilà, la "Légende de Pra Loup" !

 

 Tour 1975 : Il était une fois Pra Loup.

 

 

"Depuis des années, on attend que je m'effondre. Mais la défaillance n'est jamais venue. Pour être battu, il fallait que je tombe sur plus fort que moi. C'est fait, Bernard Thévenet était plus fort que moi !"

C'est par cette phrase sibylline mais ô combien sincère, quoique empreint d'un soupçon d'équivoque, que le "Cannibale" rendra hommage à son intraitable bourreau, le Bourguignon Bernard Thévenet, au soir de sa terrible désillusion. Dans la bouche d'un "despote" tel que le Bruxellois, cela dénote une certaine intégrité intellectuelle que peu de ses détracteurs semblaient vouloir avaliser. Il est pourtant le seul, des quintuples lauréats de la Grande Boucle, à admettre, en des termes surannés, certes, mais volontiers explicites, la domination d'autrui. Le cheminement de sa "déchéance" a conduit ce monstre d'abnégation et de pugnacité à réviser les réalités dogmatiques du commun des mortels. Outre, le Texan, sextuple vainqueur de la kermesse de juillet, seul à ne pas avoir rencontré son "Père Fouettard", tous ont, un jour ou l'autre, subit l'outrage de l'inexorable fin de règne. Par des chemins diversement empruntés ou suggérer, c'est selon, Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain se sont tous les quatre heurtés, brutalement mais toujours dignement, aux flétrissures des saisons longues et harassantes.

 

Eddy Merckx, demeure, néanmoins, l'unique légende du Tour à avoir dompté un orgueil, mainte fois encensé, mais aujourd'hui passablement écorné voir bafoué. La singularité et l'âpreté de l'aveu s'avère être un des exploits les plus retentissant que le "Cannibale" ait eut à réaliser. Pourtant, dieu sait si le teigneux Bruxellois aura tout tenté, en vain toutefois, pour retarder la fatale et implacable échéance. Sa boulimie invraisemblable de victoires depuis la catégorie des débutants en 1962 ne s'est jamais démentie. Cette tension, née de sa répulsion à l'échec, entamera inéluctablement et prématurément un potentiel physique même hors du commun. L'outrecuidance avec laquelle Eddy Merckx aura dominé partenaires et adversaires confine à l'extraordinaire, et ce n'est pas le moindre des euphémismes. Son insolente supériorité physiologique mêlée à une capacité innée à repousser le seuil de la souffrance confère au Bruxellois un avantage à nulle autre pareille. Sportif dans l'âme, le jeune Eddy a usé ses fonds de culottes sur toutes les aires de jeu d'Outre Quiévrain bien avant ne serait-ce que de subodorer enfourcher un vélocipède. Cette probité sportive l'aura indéniablement servi dans sa quête d'absolu et de reconnaissance mais inexorablement trahi lors du crépuscule de son existence d'athlète. Cette relative régression, quoiqu’imperceptible, apparaîtra à l'aube des années 70.

 

 Les prémices mueront, par exemple, un escaladeur génial et virevoltant en montagnard besogneux et emprunté. Paradoxalement, en revanche, ce "balbutiement décadent" n'aura aucun effet sur son emprise à se rassasier à satiété sur les épreuves dites d'un jour. Comme en témoigne sa campagne printanière à l'aube de 1975, le "Cannibale" demeure l'exemple type du prédateur "gargantuesque". Une "Primavera", une "Gold Race", un "Ronde" et une "Doyenne" tendent à démontrer, si besoin était, la voracité du "bonhomme". Cela dénote, en outre, un appétit toujours plus affirmé et dont la frugalité n'a d'égale que la portion congrue abandonnée à ses adversaires. Sa préparation stakhanoviste aux grands "Tour" n'a jamais engendré chez lui une obligation de résultats lors des épreuves d'une semaine. Il ne porte pas, loin de là, une affection débordante pour ces courses hybrides. Il se contente, d'ailleurs, d'y participer avec parcimonie privilégiant les secteurs physiologiques, apparemment, les plus vulnérables de sa personne. Ainsi s'autorisera t'il le premier accessit de la "Course au Soleil" et au Tour de Suisse. C'est, donc, nanti d'un baguage des plus conséquents que le leader des Molteni se présentera, chez lui, à Charleroi, hôte de départ de cette Grande Boucle 1975.

 

Bien que dominé lors du prologue par un "Cecco" de feu, Eddy Merckx assoit sa domination sur ce Tour en s'adjugeant les deux chronos suivant. Et c'est le plus naturellement du monde que l'on retrouve le Belge, ceint de la tunique jaune tant convoité, à la veille d'aborder le massif Pyrénéen. A ce moment-là de la course, ses adversaires les plus crédibles se positionnent déjà au-delà des deux minutes. Soudain, aux yeux des suiveurs et inconditionnels de tous poils, la onzième étape, Pau - St Lary Soulan, apparaît comme le maître étalon, le test grandeur nature, de toutes les interrogations engendrées depuis des mois, concernant la soit disant "atrophie grimpante" d'Eddy Merckx. Depuis 1974, cependant, nous avions constaté, plus qu'avalisé, une certaine léthargie chronique du Belge en haute altitude, il subissait, en fait, plus qu'il n'imposait. C'était insuffisant, toutefois, pour ne pas se liquéfier et compromettre ses chances de succès. En outre, il semblait beaucoup plus affûté et volubile qu'un an auparavant.

Au pied du Pla d'Adet, les ascensions du Tourmalet et d'Aspin ont déjà égratigné passablement un peloton éparpillé et décimé. Six hommes ouvrent la route. Merckx, Ocana, Thévenet, Delisle, Gimondi et Van Impe, que du beau linge, assurent un train soutenu dissuasif pour tous ceux qui ambitionneraient un retour intempestif.

 

La liste non exhaustive des battus du jour est éloquente à plus d'un titre. Poulidor, Battaglin, Kuiper et Lopez Carril, entres autres, figurent, en effet, au ban des laisser pour compte et végètent, déjà, à près d'une minute des "éclaireurs" de tête. L'attaque initiale de Bernard Thévenet est ahurissante de spontanéité et de soudaineté. C'est l'imbroglio et la stupeur au sein du groupe. Le "Bergamasque", visage blême et cuisses noueuses à l'excès, en est la première victime. D'autres ne tardent pas à chanceler puis à être engloutis par la "Sorcière aux dents vertes" qui errait par-delà des hautes cimes. Jos De Shoenmaecker, le "Sherpa" de Merckx et Francisco Galdos, l'héritier du "Picador" sont les premiers "amuse-gueule" de l'emblématique fléau des "sans grades" et des faibles. Devant, le Bourguignon s'est repositionné sur sa selle et attend, sagement, le retour de Merckx, Ocana, Van Impe et de Zoetemelk, revenu, lui, du "Diable Vauvert". Ce dernier, contre aussitôt. Le Batave de Germiny l'Evêque, dans son déhanchement saccadé coutumier, s'envole, imperturbable. Les muscles saillants, le Néerlandais, n'osant aucun regard vers ses proies, poursuit son effort majestueux. Eddy Merckx, un instant, en difficulté s'est ressaisi et grimpe dès lors à son rythme, Thévenet, Van Impe et Ocana dans sa roue. Un nouveau démarrage de "Nanard" aura pourtant raison de la résistance du Belge.

 

Pendant que le Français se lance héroïquement à la poursuite du Hollandais volant, Merckx, dans un sursaut d'orgueil a réussi à décramponner, sans le vouloir vraiment, l'"Espagnol de Mont de Marsan". Par trop respectueux, le "Lilliputien" Belge Lucien Van Impe accompagnera son illustre compatriote jusqu’à la banderole d'arrivée où il se permettra, néanmoins, de le devancer. Devant, Bernard Thévenot échouera à six secondes de Joos Zoetemelk pour la victoire d'étape. Mais l'important était ailleurs. En effet, le Français reprenait une cinquantaine de secondes au Belge sur les ultimes rampes d'une unique montée et cela suffisait amplement à son bonheur et à ses prétentions. Thévenet, Bourguignon de son état, est tout excepté un extraverti. Les plans présomptueux, les effusions prématurés, l'enthousiasme exacerbé et anticipé, il les a en horreur et les abandonnent volontiers à ses chefs de clan. Mature, "Nanard" reste convaincu que la "bête" blessé et meurtri dans ses chairs n'en est que plus assoiffé de revanche. Combien de victimes expiatoires n'a-t-il pas vu offertes ainsi en oboles à l'appétit toujours en éveil de la "Sorcière" récalcitrante, par un "Cannibale" furibond, au lendemain d'une déconvenue.

 

Pourtant, et malgré une grosse défaillance admirablement bien masquée par le Bourguignon lors de l'étape de Super Lioran, l’hallali semble proche, néanmoins, pour le Belge. Dans l'ascension du Puy de Dôme, le lendemain, Bernard Thévenet place une mine diabolique et irradiante à cinq bornes du but. Scotché sur la pente surchauffée du monstre Auvergnat, le maillot jaune encaisse alors un véritable uppercut. Seul Van Impe, habile à user du "saut de puce" parvient assez aisément à prendre la roue du Français. Zoetemelk, quant à lui, est demeuré au chevet d'un Merckx tétanisé, crispé à l'extrême mais ô combien courageux et volontaire. Littéralement attelé à son porte baguage le Batave ne lui est d'aucun réel secours mais le pouvait-il seulement ? Thévenet grimpe allègrement vite, comme de coutume, le torse, dont la sueur suintante grisaille les damiers, en guise de balancier au-dessus de la potence de son destrier. Comme pour rythmer son ascension, il imprime chaque coup de pédale de tout le poids de son corps déjà passablement meurtri par l'effort. Pas très académique, ni très esthétique, le Bourguignon, mais diablement efficace. A environ un kilomètre du sommet le "Tom pouce" Belge, Lucien Van Impe, dépose le natif de Saint Julien de Civry écarlate, plus que jamais ramassé et recroquevillé sur son cadre blanc immaculé. Van Impe s'envole alors, léger et aérien, vers une victoire auréolé d'un certain panache et conforte, par la même occasion, un maillot à pois qui, par ailleurs, lui sied à ravir.

 

Eddy Merckx épuisé, toujours flanqué du gluant mais opiniâtre Néerlandais, abandonne plus de trente secondes dans l'affaire à un Thévenet plus que jamais en passe d'entrer, de plein pied, dans la légende du Tour.

La journée de repos salvatrice, sur les bords de la Méditerranée, arrive à point nommé, pensait-on, pour apporter au Maillot jaune un soupçon de la sérénité égarée aux détours des lacets Pyrénéens et Auvergnats. Mais une journée est-ce suffisant pour conserver la misérable minute qu'il dispose sur un Français décomplexé et déchaîné. Rien n'est moins sûr, les Alpes qui se profilent semblent, en effet, annoncer le glas des espérances du Belge.

Journalistes et suiveurs, sans omettre un public des plus versatile quoique "franchouillard" par essence, épient, guettent et espèrent la "mort" du "Cannibale". La "mort en direct" de l'implacable et intraitable despote a quelque chose d'obscène et d'indécent. En fins psychologues, qu'ils ne sont nullement, heureusement, ces "bonimenteurs de kermesses", pour le moins avinés, suggèrent et revendiquent même une corrida sur les pentes en amont de Pra Loup. C'est peu ou prou la réalité des faits, historiquement parlant, excepté toutefois que cette réalité fut dépourvue de tout sens morale envers un homme "blessé" et dénuée, ne serait-ce, que d'une once de respect à l'égard du plus grand "saute ruisseau" de tous les temps.

 

Prime à la stratégie devait être le mot d'ordre de cette journée particulière. La configuration du parcours prédisposait à merveille à ce type de réflexion. Les passages aux sommets des cols de Saint Martin, de la Couillole, des Champs, d'Allos et la montée finale vers Pra Loup présentaient plus les symptômes du coupe gorge que d'une loyale randonnée.

L'éveil des hostilités aura pour théâtre l'interminable ascension du col des Champs. Le décor est planté sublime et austère à la fois et le duel qui va s'y dérouler, sous les yeux écarquillés et ahuris de millions de convives dignes de "Macbeth", sera à l'image des combats de gladiateurs très prisé en des temps immémoriaux. Il est à noter cependant, que la journée de repos a donné lieu, en outre, à de sirupeux conciliabules adipeux aujourd'hui surannés concernant l'élaboration et la mise en place de stratégies des plus glauques, frisant le guet-apens. Pourtant, le Bourguignon apparaît métamorphosé, en ce 11 juillet, il délivre alors une demi-douzaine de coups de poignard d'une violence inouïe, les impacts, tels des balles, font fondre la chaussée et rempli d'effroi partenaires et adversaires. Immédiatement, Merckx dans un élan de générosité insoupçonné place un contre exceptionnel qui ébranle mais ne tétanise aucunement le leader des Peugeot. Dans la descente, Thévenet perce et doit laisser le Belge s'enfuir à tombeaux ouverts dans la vallée en direction du col d'Allos. Dépanné assez rapidement, le Français est maintenant contraint à une poursuite drastique et alarmante, car soumis à des efforts superflus pouvant porter préjudice lors d'un final aussi musclé que la montée d'Allos et de Pra Loup. Sur les pentes de l'avant dernière difficulté de la journée, Eddy Merckx subodorant que sa sérénité en haute montagne est devenue, depuis peu, rédhibitoire pour espérer, ne serait que, suivre un "mouflon" tel que le Bourguignon, va tenter son ultime coup de bluff.

 

A quelques encablures du sommet d'Allos, le maillot jaune porte une attaque foudroyante et assassine. Superbe de panache, le Bruxellois bascule seul au sommet et plonge tel un aliéné, flirtant avec le ravin abrupt. Sa vertigineuse entreprise suicidaire mais ô combien pensée et réfléchie se déroule à une vitesse jamais encore atteinte. Le macadam dans un état pitoyable jouait avec les boyaux du Belge. Le goudron fondu, les graviers représentaient autant de pièges que Merckx négociait avec maestria et insolence. Son insouciance avait fait des émules. A l'arrière, le véhicule de l'inénarrable Giancarlo Ferretti fit une pige quatre-vingt mètres en contrebas de la route. Plus de peur que de mal. Derrière l'"obus" c'était "Hollywood", tous voulaient assister à la vertigineuse escapade du "Cannibale" héroïque et dantesque. Robert Lelangue qui désirait un strapontin se fit alors vertement interpeller et réprimander par Jacques Goddet en personne : " Non, vous ne passez pas ! C'est une course cycliste, pas une course à la mort !". La mort, Eddy Merckx la côtoie, pourtant, à chaque virage, à chaque anfractuosité de la route caillouteuse à l'extrême. Il la repousse, d'un revers de guidon, avec violence mais conviction. Nous vivons un moment hallucinant et mémorable.

 

Finalement, même si l'échelle des probabilités en avait fait un perdant au soir du Puy de Dôme, n'était-il pas, à l'inverse, tout simplement en train de tisser la trame d'un sixième succès ? N'a-t-il pas rivalisé, maîtrisé puis débordé ses plus dangereux adversaires sur son terrain de prédilection ? Toutes ces pensées positives car légitimes doivent nécessairement lui tarauder l'esprit au moment même où l'ardoisier lui dévoile l'avance qu'il possède sur le Bourguignon : une minute et dix secondes. Les chances du Français, de colmater la minute de débours, s'avéraient alors proche du néant. La montée vers Pra Loup s'annonce palpitante et engagée à défaut de décisive. Le soleil caniculaire plombe les crânes chauffés à blanc. Eddy Merckx ne semble pas se ressentir de son "one man show" tonitruant et éprouvant. Tout se passe merveilleusement bien pour le Belge jusqu'à quatre bornes du but. Quatre bornes pour la légende. A ce moment précis, Eddy Merckx se désunit soudainement. Alors que rien ne le laissait présager soixante secondes plus tôt, le maillot jaune est saisit de vertiges. Sa pédalée, de coutume heurtée mais cadencée, devient chaloupée puis syncopée. Le souffle d'ordinaire posé et calme devient brutalement saccadé et rauque. D'habitude, friand des changements de rythmes félins, il reste prostré sur sa selle dodelinant de la tête et du torse à la limite de la culbute.

 

C'est la défaillance la plus dramatique, la plus déchirante aussi, de l'ère "Merckxienne". La jubilation et l'espoir à changer de camp. Le "Bergamasque" eut, le premier, l'honneur, si j'ose dire, de constater les dégâts. L'Italien demeurera un instant en compagnie de son "pire ennemi" puis s'en fut, sans autre forme de procès, vers une éventuelle victoire d'étape. Thévenet rapplique alors à son tour, l'œil ravagé par la fureur. Indisposé par la "correction" infligé par le "maître" à l'"élève" dans les derniers lacets d'Allos puis dans la descente de celui-ci, le Bourguignon tire, rapidement, l'avantage que peut générer un Merckx en perdition. C'était maintenant ou ce ne serait jamais. Debout sur les pédales, sans un regard pour le "chancelant" Thévenet s'envole alors vers sa destinée. Tout en moulinant, tel un damné, il réalisait subitement tout le parti qu'une telle situation lui offrait, à lui, fils et petit-fils de Morvandiaux. Cette nouvelle énergie, émanant de ce retournement de situation épique, mue le Français de mouton docile en "loup des Carpates". Au diable la prudence lorsque le nirvana est à portée de fusil. Felice Gimondi, devant, le faciès enjôleur, la tenue bien mise s'apprête alors à cueillir un bouquet historique. C'était sans compter avec l'énorme et invraisemblable motivation qui habitait notre Bourguignon depuis trois bornes. Celui-ci, en effet, ne désirait en aucun cas qu'autrui vienne lui ôter la pérennité de ce jour béni.

 

Thévenet auteur d'un ultime rush rageur, le visage déformé par l'effort, les muscles bandés et les veines saillantes de l'homme en forme "pulvérisa" littéralement un "Bergamasque", surpris, incrédule puis marri et s'écroulera sur la ligne épuisé, inconscient, encore, de l'extraordinaire page qu'il venait de rédiger. Happé par Zoetemelk puis par Van Impe, Eddy Merckx franchira le sommet au bord de l'évanouissement. Le Belge venait d'abandonner dans l'affaire le double du crédit qu'il possédait le matin. En outre, il cédait le précieux sésame jaune, à son bourreau du jour, pour cinquante-huit secondes. Bon prince, le Wallon félicitera chaleureusement son adversaire et omettra, volontairement, d'admettre une forte douleur à la colonne vertébrale, fruit d'une chute sur le vélodrome de Blois, qui le handicapera fortement dès les premiers pourcentages du col des Champs. Le panache allié à la classe, le vaincu du jour possède, en outre, les vertus de l'humilité et de la sagesse. En tentant le diable tout au long de la journée, le Belge n'était pourtant pas parvenu à rééditer ce qui avait fait sa suprématie, il n'y a pas si longtemps. Un page se tournait, irrémédiable et inexorable. Il l'assimilait âprement mais sereinement sachant que ce jour n'était plus une utopie lointaine mais une réalité cinglante.

 

Se connaissant parfaitement, il se rangeait au côté de l'immuable loi du milieu en se projetant, déjà, au-delà de cette deuxième place qu'il acquerra à Paris, sur les Champs Elysées. Une première pour une première, ce n'est pas banal.

Le lendemain Bernard Thévenet soucieux de s'éviter des lendemains qui déchantent s'estime plus que jamais en droit d'enfoncer le clou fermement et définitivement. Imprégné du syndrome du vainqueur depuis la veille, l'enthousiasme à fleur de peau, certes, mais la concentration comme unique conseillère, le Bourguignon ajoutera à sa gloire naissante le panache nécessaire à sa reconnaissance. Malgré quelques bribes, mais désuètes velléités offensives du "Cannibales", lors de la descente de Vars notamment, le Bourguignon paraphera et transformera sa victoire en triomphe en sortant seul et en ramassant tous les "morts", dont Zoetemelk, échappés depuis le matin, pour clore sa chevauchée fantastique, en solitaire, à Serre Chevalier plus de deux minutes avant Eddy Merckx et tous les autres. Bernard Thévenet, le bienheureux, remportera le premier de ses deux Tour de France, six jours plus tard. Tel un symbole, l'arrivée, de cette Grande Boucle de grand cru, se déroulera pour la première fois sur ce qui est coutume de nommer la plus "grande avenue du monde", comme si les organisateurs avaient anticipé voir rêvé pareil scénario rocambolesque.

 

Cette édition ô combien spectaculaire et captivante à plus d'un titre restera dans les annales pour le suspense et les drames humains qu'elle a engendré mais surtout, l'étape décisive de Pra Loup demeurera, pour l'éternité, comme l'acte de reddition du plus extraordinaire champion de notre discipline. Celle qui a rendu Eddy Merckx aux communs des mortels.

 

 

Michel Crepel

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Petit rappel pour tout le monde, car je pense beaucoup ont oublié ! Le beau Eddy, aujourd'hui adulé et vénéré , était à l'époque aussi aimé qu'un certain Froome aujourd'hui,...et pour les mêmes raisons d'ailleurs ! Et par ailleurs, voici ce qu'en disait encore Guimard en 2012! Bon, ce n'est que l'avis de Guimard, mais quand même.

http://larouetournehuma.blogspot.fr/2012/07/guimard-voila-pourquoi-merckx-na-jamais.html

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Je le suggère dans ma présentation de la 17ème étape où, malgré tout, il faut savoir se monter bref et concis ! Quant à Guimard, il surnageait à ses déboires passés (72) ! Néanmoins c'est un avis tout à fait respectable ! J'ai éprouvé de l'amertume et de la compassion lorsque le "Cannibale" a refermé ses puissantes et pantagruéliques mâchoires et j'ai, en outre, éprouvé une grande joie lorsqu'à l'approche de la remise de sa monture au "clou", il a remporté nanti d'un panache retrouvé, la der de der, sa septième "Pimavera" !!😉

Il est vrai que les Pélissier, Coppi, Bartali, Anquetil auraient très bien pu être des héros de "BD" où des sujets du 7ème art pour réalisateur empreint de romantisme !

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je m y revois

mais une question me tarrode l esprit depuis ce jour là.Que s est il passé chez E MERCKX.?

Il attaque au sommet d allos et lache B Thévenet,il se lance dans la descente a tombeau ouvert pour arriver en bas avec 1 minute d avance sur thevenet,un scenario ecrit d avance et qui s est repeté tant de fois dans la carriere d'Eddy

iL attaque la montée finale tambour battant,et au bout d'un km,il se retrouve quasi a pied,impossible d avancer,thevenet fond sur lui mais aussi gimondi (que tout le monde oublie aujourd hui )

Merckx FIni epuisé,tout le monde pense a une fringale et qu il gagnera le lendemain ou surlendemain le clm;mais là idem,il se fera battre;mais alors ce n est pas la fringale?et bien non,c est la fin programmee du grand seigneur du cyclisme;il ne gagnera plus le tour de France,ne dominera plus le cyclisme aussi outrageusement,il devient un coureur normal

Que s 'est il passé?le corps meurtri de lui offrir toujours plus de panache s est revolté,il a dit non et c était sans appel

Comment un coureur qui était si haut,si loin des autres a t il pu dans l'affaire de 10 minutes ne plus exister tel qu il était,ce seigneur imperial inegallé?

Si quelqu un a un debut d'explication?

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Grand souvenir pour moi que ce TDF 1975, étant né la même année et dans le même coin que B. Thévenet; on a donc usé nos premiers boyaux sur les mêmes routes dans les mêmes pelotons, sauf que lui est monté très vite dans les catégories, pas moi. Il avait déjà montré ses qualités de grimpeurs lors de sa victoire à la Mongie en 1970 

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Il l'a expliqué lui-même, il me semble. C'est son tempérament de battant, son orgueil, son habitude d'endurer la souffrance qui l'empêchaient de renoncer et de se soigner correctement quand il était malade.

Il ne voulait pas abandonner. Il reprenait le départ sans être guéri.

Un jour, son corps a dit "stop". Merckx n'était plus le même. Au caractère, oui, mais au physique, non. Il s'est épuisé à trop vouloir en faire.

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"Merckx n’a jamais fait rêver."  (Guimard)

Normal. Il lui a plutôt occasionné des cauchemars.

"Et si je ne m’en tiens qu’aux coureurs que j’ai côtoyés de près, donc dans le cyclisme contemporain, j’en vois au moins deux qui disposaient de qualités supérieures à celles de Merckx : Anquetil et Hinault." (Guimard)

Normal. Il est Belge, ils sont Français.

"Merckx n’a jamais rien dit d’autre que des banalités." (Guimard)

Il était coureur cycliste, pas philosophe ni ingénieur.

Il n'a pas non plus écrit certaines choses juste pour essayer de se rendre intéressant.

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Bien que bon coureur, Guimard n'est qu'un frustré, autant avec Merckx qu'avec d'autres vainqueurs du TdF. Ce qu'il oublie de relater dans l'article que j'ai lu, c'est l'esprit chevaleresque de Merckx quand celui-ci lui remet le maillot vert qu'il avait perdu suite à son abandon. Il en a pleuré sur le podium. Quant à dire des choses banales, s'il est un des exercices où il excellait le moins c'était bien les interviews.

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Guimard passe son temps a critiquer son milieu et les champions.S il n a pas vu que MERCKX est au dessus des autres c est qu il a de la merde au yeuxJ ai meme entendu Hinault dire que MERCKX est le numero 1 et il l a dit en presence de MERCKX;Guimard est un aigris et surtout un jaloux,autant je l aimais au debut autant il me degoutte aujoud hui,tres imbu de sa personne le monsieur et de plus suceptible;iL se prend pour CHAPATTE ,mais ne lui arrive pas a la cheville

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