Michel CREPEL Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 « Sallanches 80 » : Jamais, sans doute, un coursier n’avait autant surclassé partenaires et adversaires, lors d’un Championnat du Monde, que le « Blaireau » ce jour-là. Il était une fois, dans une contrée lointaine du royaume de France, une province à nulle autre pareille. Déjà, cette terre à l'appendice proéminent et qui semble, malgré toutes les lois de dame nature, pourfendre ainsi les éléments contre vents et marées génère un sentiment profond d'irrationnelle et de mystère. Cette Armorique ancestrale trône depuis la nuit des temps revêche et rebelle à toute invasion non consentie. Elle s'hérisse souvent, plie parfois mais ne rompt jamais. Le caractère de ses indigènes a été de tout temps imprégné des blessures et des meurtrissures nées de leur volonté farouche à exister en conservant jalousement leur entité. Elles ne sont plus nombreuses dans ce cas aujourd'hui. Bretagne, terre et mer, deux identités mêlées pour un même amour fusionnel. De la côte d'Emeraudes à la côte des Mégalithes, en passant par celles du Goêlo, du Granit Rose, des Légendes, des Cornouailles, au-delà de la Mer d'Iroise et des phares austères mais salvateurs de Seins, de Ouessant ou de l'archipel des Glénan à l'île de Groix ou Belle Ile en Mer, tout ici transpire le sacrifice, le courage et inspire la volonté et la solidarité. Ce kaléidoscope génétique et topographique par nature, se fond et se confond pour ériger à terme un individu, un roc, un menhir imperméable aux rigueurs et à l'adversité insidieuse, un Breton. Les clichés et autres images d'Epinal ne sauraient à elles seules orienter et axer nos consciences de candides invétérés concernant les us et coutumes ancestrales de la patrie de Merlin. La Bretagne, microcosme et kolkhoze auréolée d'un patrimoine culturel et sportif rare a, de tout temps, engendré l'exception. L'exception de ses traditions, bien évidemment, mais aussi et surtout l'acuité physiologique de la plupart de ses enfants. Qui, n'a pas le souvenir d'un champion engendré et issu du pays de ces emblématiques Korrigans des grottes de la vallée verdoyante des Traouïero. Qui ne s'est jamais enthousiasmé, enflammé, extasié devant le courage, l'abnégation et le jusqu'au-boutisme, parfois, de ces descendants d'Anatole le Braz, lui-même, digne dépositaire du Yeun Ellez, de sinistre mémoire. Ce n'est faire injure à quiconque, ici, que d'affirmer sans trop risquer de se fourvoyer que nul ne s'est autant identifié à sa terre que le résidant des Monts d'Arrée, d'Huelgoat, de Bréhat, Roscoff, Paimpol, des forêts de Brocéliande ou de Paimpont. C'est au sein de ce pantagruélique, ce gargantuesque réservoir de besogneux, d'hommes providentiels que va éclore le joyau qui allait éclabousser de sa classe une génération de "sautes ruisseau" et émerveiller une caste d'aficionados en mal de héros. Issu du septentrion de cette Armorique éternelle, royaume privilégié des Fest Noz et Pardon échevelés, Yffiniac, plus précisément, Bernard Hinault va générer un engouement, susciter une admiration que seuls nos aïeux peuvent se targuer, se vanter même, d'avoir éprouvé. Le but, aujourd'hui, n'est nullement de narrer sa carrière légendaire, ni même de conter la maestria et l'insolence dont fit preuve l'Yffiniacais lors de ses triomphes les plus emblématiques telles la « Doyenne 80 », le « Lombardie 79 », l' « Enfer 81 » ou bien à l'occasion de ses cinq Grande Boucle, de ses trois Giro voir de ses deux Vuelta, non, ma démarche, et elle n'en est que plus atypique, est de m'attacher à la course, le chef d'œuvre qui demeure et demeurera à jamais dans la mémoire collective à savoir, le Championnat du Monde sur route de Sallanches en 1980. Il s'avère rare, très rare dans l'histoire de ce sport qu'une course ait été autant maîtrisée, techniquement et tactiquement, qu'elle ait été, en outre, à ce point accomplie, aboutie. Ce fut une sorte de perfection linéaire au gré de son entière circonvolution. L'adaptation aux conditions climatiques déplorables, du début de course, fut également appréhendée à la fois sereinement et façonnée d'une manière frisant l'anecdotique. Si j'use d'une ébauche en règle de l'épreuve qui va suivre c'est uniquement pour avaliser la limpidité du cheminement de son évolution dans le temps. Les péripéties qui vont suivre, la stratégie mise en place, concoctée, mitonnée et réalisée tel un art sont l'œuvre d'un seul et même homme. En effet, je ne suis pas loin de subodorer que seul le « Blaireau » possède l'ingéniosité d'esprit et de caractère, la volonté pour concrétiser dans les faits tout un plan de bataille savamment organisé en préambule de la course. Ajoutons que de mémoire de suiveurs, journalistes, inconditionnels de tous bords et champions de toutes générations, jamais peut être, un Championnat du Monde sur route n'avait et n'a, jusqu'alors, présenté un parcours aussi difficultueux, sélectif et piégeux que le parcours Haut Savoyard. La participation s'avère être à la hauteur du challenge à relever à savoir, royale. Egratigné, bafoué voir humilié par nombre de journaleux amnésiques, Bernard Hinault, dont le genou, en juillet du côté de Pau, s'est révélé être aussi médiatique et universel que le nez de Cléopâtre, ronge son frein depuis cette date et rumine en silence une vengeance qu'il subodore et espère secrètement éclatante et implacable. Lorsque l'on connaît un tant soit peu le bonhomme, confronté qu'il est à l'adversité et à l'injustice, nul doute que l'on est en droit de s'attendre de sa part à un spectacle à la hauteur du préjudice subit à savoir, cauchemardesque pour ses détracteurs et adversaires. Le Colonel Richard Marillier n'en a pas pour autant opter pour une hégémonie Renault pourtant chère à Cyril Guimard, se contentant simplement d'adjoindre au « Blaireau » ses plus fidèles lieutenants tels Jean René Bernaudeau, André Chalmel et Pierre Raymond Villemiane. La Redoute Motobécane avec Robert Alban, Mariano Martinez et Bernard Vallet ainsi que les Miko Mercier de Raymond Martin et Christian Seznec seront les autres formations représentées en nombre au sein du groupe tricolore. Bernard Bourreau de Peugeot, Régis Ovion de Puch et Bernard Thévenet de Teka complèteront ce commando résolument tourné vers l'épreuve de force en haute altitude. Pour tenter de contrer cette armada avinée de revanche salvatrice les Italiens apparaissent alors comme les plus aptes à tirer leur épingle du jeu et ainsi contrecarrer les desseins de conquête du Breton et ses sbires. Giambattista GB Baronchelli omniprésent depuis le début de saison, Giovanni Battaglin troisième du dernier Giro remporté par Bernard Hinault, Mario Beccia lauréat du Tour de Suisse, Silvano Contini malheureux sur le Giro mais revanchard, Vladimiro Panizza dauphin du Breton en Italie, Giuseppe « Beppe » Saronni vainqueur au sommet d'Huy, Roberto Visentini, le play boy argenté et Francesco Moser auteur du triptyque lors de Paris Roubaix, seront à n'en pas douter à la hauteur de l'évènement. Les sélectionnés d'Outre Quiévrain présenteront une formation complète autour du vainqueur du « Ronde », Michel Pollentier. Claudy Criquelion, troisième de la Vuelta et toujours placé lors des « Ardennaises »et Johan de Muynck au pied du podium de la Grande Boucle et montagnard émérite qu'épauleront efficacement les jeunes loups Fons de Wolf et Daniel Willems devraient être d'une grande aide au coureur le moins esthétique du peloton depuis notre « Biquet » national, Jean Robic. Côté Espagnol, Faustino Ruperez grand triomphateur de la Vuelta, Marino Lejarreta lauréat du Tour de Catalogne, Alberto Fernandez vainqueur, lui, du Tour du Pays Basque ainsi que son homonyme Juan ne manqueront pas, en excellents escaladeurs qu'ils sont, de s'immiscer au sein des échappées qui ne manqueront pas de se développer tout au long de ce tracé tumultueux. Enfin, les Pays Bas offriront une belle brochette de candidats potentiels au maillot irisé. A tout seigneur, tout honneur, Joop Zoetemelk, le tout frais émoulu lauréat de la Grande Boucle semble avoir retrouvé une seconde jeunesse sur les routes de juillet. Le résidant de Germigny l'Evêque sera entouré de belle manière par le vainqueur de Gand Wevelgem, le bouillonnant Henk Lubberding aidé, pour la circonstance, de son frère siamois Johan Van Der Velde impressionnant en juin lors du Dauphiné qu'il s'adjugea de toute sa classe. Ajouter au crédit des Néerlandais, l'expérience de baroudeurs tels Hennie Kuiper, véritable 4x4 de service, et de l'incontournable et inénarrable Jan Raas et vous aurez un aperçu des chances réelles des « Oranges Mécaniques ». Demeurent les individualités des nations moins pourvues en nombre de coureurs compétitifs sur des terrains aussi escarpés et à ce petit jeu de chaises musicales d'un autre âge, certains possèdent de réelles chances de chambouler l'ordre établi. En vrac je citerai le teigneux et accrocheur Australien Phil Anderson, la « ballerine des cimes » l'Ecossais Robert MIllar, les Vikings rugueux et besogneux mais pétris de talent tels les Danois Kim Andersen et Jorgen Marcussen, le Suédois Sven Ake Nilsson ou le Norvégien Josten Wilmann et enfin les Helvètes Stefan Mutter, dauphin de « Gibus » sur la « Course au Soleil » et Ueli Sutter. Le plafond est bas, en ce dimanche 30 août au matin, le déluge s'est abattu toute la nuit et les séquelles de ces pluies diluviennes demeurent tenaces et ses effets insidieux augurent une entame de course des plus hasardeuses. La fraîcheur matinale ajoutée à l'atmosphère humide génère chez les coureurs une appréhension légitime et une prudence extrême dans l'optique et la manière d'appréhender la descente tourmentée et technique de Domancy. Les coureurs scrutent de leurs regards déjà aiguisés l'horizon encore passablement embrumé et aux contours toujours incertains. Toutefois, la météorologie s'annonce optimiste et les risques inhérents aux ondées de la nuit devraient s'estomper et s'évaporer définitivement à mesure de l'évolution de la course. Ce sont donc cent sept courageux qui s'élancent ce matin- là pour ce qui sera l'un des, si ce n'est le, plus terrible et cruel Championnat du Monde sur route de l'histoire de la « Petite Reine ». De par sa configuration, l'épouvantail Domancy effraie les hommes les plus rompus aux us et coutumes des dénivellations les plus insensées et la répétition de son ascension hante les esprits des plus aguerris. Il sera nécessaire d'être bougrement costaud pour parvenir sur la ligne d'arrivée sans encombre, soyons en certains. Les premiers tours sont le théâtre d'une attaque franche quoique hasardeuse à ce moment de la course de l’énigmatique Johan De Muynck. Cette accélération intempestive et présomptueuse suggère alors au Breton de revenir sur le vétéran d'Outre Quiévrain afin de tester opportunément un des favoris de ce Mondial. En outre, le froid ajouté à la chaussée trempée pouvait très bien, et pour cause, s'avérer piégeuse lors de la descente de Domancy. Aussi, n'hésitera t'il pas un seul instant lorsque la possibilité lui sera donné à très peu de frais de se familiariser avec cette descente, seul à l'avant, afin de reconnaître sereinement la fiabilité ainsi que la dangerosité de celle-ci. Un peu plus d'une trentaine de secondes d'avance permettra au duo de s'aérer l'esprit en mémorisant les courbes sinueuses avant d'être repris vers le vingtième kilomètre. A l'entame du troisième tour, trois hommes prenaient soudain la poudre d'escampette. Figuraient désormais à l'avant, le rugueux Suisse Ueli Sutter, le jeune espoir Danois Kim Andersen et bien évidemment le Français de service en la personne du fidèle parmi les fidèles, Mariano Martinez, l'éminent mouflon de La Redoute. Au huitième tout, les choses demeurent en l'état et les trois fuyards caracolent toujours devant. La montée de Domancy devient, cependant, de plus en plus compliquée à appréhender pour le trio de tête et lors de cette antépénultième ascensions, l'Helvète Ueli Sutter, éreinté, est inexorablement décramponné pour le compte par le protégé du « Gicleur aux damiers » Jean Pierre Danguillaume, Kim Andersen et par son compagnon d'échappée, le plus Français des Ibères, Mariano Martinez. Les deux hommes de tête sont à bloc, vautrés sur leur monture et marqués par la violence de l’effort. Devant, le Danois file grand train assis bien calé sur sa selle, tout en puissance. Dans sa roue, le Français, averti de la stratégie mise en place par son leader en personne, ne prend aucun relais et dans son style si particulier arpente la chaussée en danseuse, balançant son buste désarticulé de gauche à droite, donnant l'impression bizarre mais néanmoins angoissante de pouvoir choir à tout moment. Lors des prémisses de ce Mondial, au cours des premières révolutions de ce terrible circuit, les abandons prématurés du roublard Jan Raas, du Brestois Christian Seznec et du Bourguignon Bernard Thévenet démontrèrent, si besoin était, que pour aborder ce type de circuit démoniaque, il était nécessaire d'être à cent pour cent de ses capacités. Apparemment aucun de ces trois ô combien talentueux coursiers n’affichaient une condition irréprochable, loin s’en faut. En outre, les excédents de poids ainsi que les coursiers à la morphologie par trop charpentée ne trouvèrent guère, à mesure que la sélection s’opérait, loisir à échafauder des plans de conquête. Un petit rappel pour nous montrer que Sallanches est bien une terre de champions puisque qu'en 1964, sur un parcours beaucoup moins capricieux qu'aujourd'hui, le Batave à lunettes Jan Janssen était devenu Champion du Monde des professionnels tandis que l'ogre Eddy Merckx débutait, par une titre amateur, sa moisson apocalyptique de victoires. Au sommet de Domancy Andersen passe devant Martinez dans la roue. Plus rien n'interviendra avant le douzième passage si ce n'est l'absorption des trois fuyards par un peloton glouton. A cent sept bornes de la banderole d'arrivée, l’esthète Francesco Moser et le plus Français des Néerlandais Joop Zoetemelk ont, à leur tour, jeté l'éponge. Le « Cecco » pas vraiment à son aise sur des pourcentages aussi abruptes et répétitifs sombre corps et âme tout comme le vainqueur « usurpateur » de la Grande Boucle qui, pourtant, faisait figure de légitime épouvantail ce matin encore. A l'avant de la course, une trentaine de coursiers se sont isolés. Tous les clients ou presque à la victoire finale figurent, bien évidemment, en son sein. Pèle mêle, les Transalpins Giovanni Battaglin, Wladimiro Panizza, Roberto Visentini et « GB » Baronchelli, les Français Bernard Hinault, André Chalmel, Bernard Vallet et Jean René Bernaudeau, les Belges Michel Pollentier, Johan Van Der Velde et Johan de Muynck, le Suédois Sven Ake Nilsson, le Norvégien Josten Wilmann ou encore l'Ecossais Robert Millar. Le « Blaireau » emmène ce groupe à vive allure sans même quémander un seul instant une aide bienfaitrice à défaut d'être salvatrice, tant le Breton apparaît impressionnant et virevoltant. Dans les premiers lacets de Domancy Bernard Hinault, plus acariâtre que jamais, toujours en pôle, imprime un rythme endiablé. En danseuse, comme à son habitude lorsqu'il impose son tempo, Hinault déploie son énorme puissance à une cadence infernale. L'écrémage du groupe s'effectue alors avec une régularité chirurgicale et une densité invraisemblable. Le Breton insolent de facilité impose son autorité implacable sur l'ensemble du peloton tel un despote des temps anciens. Au deux tiers de la pente, le Breton n'est plus suivi que des seuls Pollentier, Baronchelli et Van Der Velde. Tous ses adversaires sont éparpillés. C'est l'hallali ! Alors que nous apprenons l'abandon du « Beppe », Hinault poursuit son travail de sape, ne déléguant aucun relais à ses compagnons de route, sans doute bien trop heureux de, ne serait-ce, que demeurer dans son sillage. A l'approche du sommet, le Breton relance encore l'allure et derrière tous sont à l'agonie. Exceptionnel, inouï ce que réalise Bernard Hinault lors de cette montée. Au sommet de ce treizième passage le Français passe en tête devant Pollentier, seul coursier à parcourir plus de kilomètres que ses camarades, et Baronchelli. Van der Velde est à une cinquantaine de mètres derrière et Battaglin puis Panizza passent avec un débours d'une quinzaine de secondes. Suivent Nilsson à vingt secondes précédant Wilmann et Millar de cinq secondes. Le peloton emmené par un Visentini inénarrable « Adonis » de ses dames et où l'on reconnaît entres autres De Muinck et Kuiper basculent avec un retard de quarante-cinq secondes. Le Français Bernard Vallet accompagné de l'Américain Jonathan Boyer, chercheur de serpent en Californie, à ses heures, membre de US Créteil, à l’occasion, passent au sommet à près d'une minute. Au bas de la descente les quatre hommes de tête, Hinault, Pollentier, Baronchelli et Van Der Velde se sont regroupés. Derrière la paire Battaglin et Panizza entame un véritable Baracchi pour tenter de rejoindre de quatuor de tête. Les deux Transalpins, profitant du relâchement coupable des fuyards rentrent au passage sur la ligne annonçant le quatorzième tour. Il y a, désormais, trois Italiens devant. Ce nouveau groupe de six unités passe sur la ligne nantis de dix secondes d'avance sur le groupe Visentini, Ruperez, Marcussen, Nilsson et Millar revenus comme des avions dans les faubourgs de Sallanches. Un autre groupe comprenant Kuiper, Criquelion, De Muynck, « Monsieur Paris – Roubaix » Roger De Vlaeminck, Vallet et Boyer passe avec une quarantaine de secondes de retard. Jean René Bernaudeau pour sa part franchit seul la ligne d'arrivée une minute pile après son leader. Les six hommes de tête se sont relevés un instant pour se ravitailler avant de se présenter pour la énième fois au pied du mur. Ce petit contre temps frugal permettra au groupe Visentini de recoller, mais pour combien de temps, au groupe Hinault. Onze hommes à l'avant de la course désormais. Dans la foulée on apprend l'abandon de Mariano Martinez tout simplement héroïque et fantastique en début de course. A moins de trois tours de l'arrivée, HInault remet le couvert. Marcussen est le premier largué dès les premiers lacets. Puis c'est l'explosion, le groupe subit le souffle, les radiations des bielles du « Blaireau ». Seuls Baronchelli à l'ouvrage et Millar au casse-croûte parviennent difficilement à s'agripper au porte baguage du prédateur Armoricain en goguette. Vingt-deux « saute ruisseau » demeurent encore en course à cet instant de la course. Plus haut, Robert Millar a irrémédiablement dégoupillé et s'écroule en vue du sommet. Derrière, Van de Velde victime d'une chute abandonne enfumé et asphyxié par le rythme imprimé par le Breton. Millar, jeune teigneux de vingt-deux printemps, recolle, néanmoins, au début de la descente. Ils sont désormais trois en tête. Dans la roue du Français « GB » apparaît facile. Le contraste est d'ailleurs saisissant entre les deux champions, tout en puissance pour le Français, coulé et en souplesse pour l'Italien. Le groupe des poursuivants comprenant Fernandez, De Vlaeminck, Boyer, Nilsson, Pronk, Panizza et Marcussen se retrouvent à présent à plus d'une minute et quarante secondes. A deux tours de l'épilogue aucun changement n'intervient dans Domancy, Hinault, « GB » et Millar dans cet ordre montent au train, roue dans roue, sans à coup. Baronchelli donne l'impression de tricoter, de faire de la patinette dans l'essieu huilé du monstrueux menhir Breton. C'est ahurissant le labeur qu'effectue le « Blaireau » depuis le départ. Pourtant, on ne peut s'interdire d'imaginer l'Italien placer une mine aux entournures. Millar est largué, cette fois ci pour le compte, à mi-pente sous une antépénultième accélération de Bernard Hinault. Baronchelli, lui, est en danseuse un peu moins pimpant que quelques kilomètres plus tôt. Au sommet le Français simule une attaque pour jauger son adversaire, en vain. Pas un seul relais n'est effectué par le Transalpin, bien calé dans la roue de l'homme qui ouvre la route depuis des bornes et des bornes. Le Français esquisse un clin d'oeil, aux cameramen qui accompagnent la course, qui en dit long sur sa motivation, ses certitudes et son assurance. Outre Millar en chasse patate mais en perdition, le groupe des derniers poursuivants regroupant Boyer, De Vlaeminck, Pronk, Panizza, Nilsson et Fernandez se trouve maintenant à plus de trois minutes des deux coursiers qui s'apprêtent, sans aucun doute bientôt, à se jouer le titre de Champion du Monde. Marcussen, pour sa part, se situe encore un peu plus loin. Avant dernier tour, Hinault et GB passe roue dans roue. Le Français mène depuis le départ ou presque de la course près de deux cent cinquante bornes et vingt ascensions en tête sans presque avoir aperçu le fessier d'un adversaire, c'est absolument phénoménal ! "Domancy mon Amour" pour l'avant dernière ascension. Bernard Hinault devant toujours en danseuse, toujours en puissance, toujours devant tel un métronome têtu et viscéralement teigneux progresse toujours courageusement, inlassablement dans sa quête de revanche, « GB » inexorablement et imperturbablement dans la roue. Jamais, le « Blaireau » n'est apparu en difficulté, jamais, il n'a éprouvé le besoin pourtant légitime de souffler, jamais, il n'a, ne serait-ce, que quémander un relais, jamais enfin, il n'est apparu aussi extraordinairement fort qu'aujourd'hui. Pas un regard du Français à l'arrière. Tout en puissance Bernard poursuit son one man show, Baronchelli toujours dans son sillage mais relativement moins seigneur, moins aérien, moins tout, que précédemment. Alors que suiveurs et médias commencent à étaler leurs supputations à deux sous marocains et à ébaucher des plans foireux sur une explication finale à l'emballage, nous, les passionnés, nous nous intéressons aux sensations des deux hommes à leurs coups de pédales révélateurs. A ce petit jeu, on en arrive à soupçonner l'Italien au bout du rouleau. Malgré son port altier et sa pédalée « oint » à l'extrême, les hochements intempestifs de son crâne suggèrent une lassitude inattendue bien que toutefois compréhensive. Le Transalpin tente pourtant de cacher, de terrer son désarroi en feignant des grimaces de circonstance et des rictus de souffrance digne de la Commedia Del Arte. Mais comme on n’apprend pas à un « Blaireau » à faire la grimace .... L’Italien en sera pour une bonne séance d'acuponcture sitôt sa course, son chemin de croix achevée. Le faciès des deux hommes démontre, néanmoins, la souffrance endurée depuis le matin. La difficulté du parcours ajouté aux conditions climatiques déplorables a tôt fait de ravager les visages les plus burinés. La dernière montée de l'abominable raidard se présente, maintenant, sous les boyaux de nos deux héros. Seul le plus costaud brisera son adversaire et s’en ira quérir le « Graal ». Comme de coutume, Bernard Hinault décolle dès les premiers pourcentages et imprime une cadence de damné à GB Baronchelli. Le Breton toute hargne dehors, le visage déformé par la rage de vaincre se met en danseuse et appuie, appuie, appuie encore et encore et toujours sur les pédales sans aucun regard pour son adversaire. La foule en transe hurle et vocifère des « Hinault, Hinault ! » qui accompagnent et portent littéralement le Français vers le sommet de Domancy. L'Italien fait encore illusion mais on subodore la saturation tant son aisance s'effrite. Changement soudain de braquet du « Blaireau » qui tombe deux dents pour une attaque tranchante mais feinte. Surpris, « GB » sursaute puis recolle. C'est à ce moment-là, sans aucun doute, que Bernard Hinault a pris la décision d'en finir et d'achever le gibier. Pourtant, dans un dernier zeste de survie et d'orgueil, le Transalpin parvient à se hisser à la hauteur du Breton comme pour lui suggérer « Tu vois, je suis encore et toujours là ! ». Vexé, fouetté dans son amour propre, le « Menhir d’Yffiniac » pose alors une mine incandescente et séismique du feu de dieu qui arrache littéralement le macadam. Ahuri, l'Italien est sur les fesses, dépité, cassé, planté sur place. Les yeux hagards fixés sur les hauteurs de l'horrible montagne, il aperçoit plus qu'il ne voit l'ombre du vautour géant qui s'envole irrésistiblement et définitivement vers les sommets de la gloire irisée. Bernard HInault pugnace et volontaire poursuit son travail de démolition en appuyant encore un peu plus fort sur les pédales. L'écart est impressionnant en si peu d'hectomètres. Au sommet, trente-trois secondes séparent le Français de l'Italien qui s'est, tout de même, refait une petite mais vaine santé. La descente vertigineuse, appréhendée avec prudence et sérénité n'est plus qu'une formalité pour un funambule de la trempe du « Blaireau ». La chevauchée triomphale du Breton en direction de Sallanches et de l'arrivée sera rythmée par l'enthousiasme communicatif d'une foule en délire scandant le patronyme du héros de tout un peuple à l'unisson. Tous ceux présents sur le parcours ce jour-là, conservent à n'en pas douter l'émotion à fleur de peau dès qu'on leur remémore ces instants d'anthologie. L’émotion affichée par un Bernard Vallet en sanglots, qui abandonnera lors du dernier tour à seul fin de suivre l’arrivée triomphale de son leader, commentant l’arrivée du « Blaireau » en direct restera une image forte de cette journée unique pour tous les amoureux du cyclisme de l’hexagone. De mémoire de passionné, je n'ai jamais assisté, à ce jour, à pareille démonstration de puissance, de persévérance et de sérénité. Jamais, non plus, je n'ai connu un coureur armé d'autant de certitudes et de confiance en soi, en son potentiel physique et mentale, que le « Blaireau ». En une année, entre la « Doyenne 80 » et l' « Enfer 81 », Bernard Hinault aura montré toutes les facettes d'un talent à nul autre pareil. J'ajouterai les « Nations 84 » pour clore le chapitre des succès du « Blaireau » qui, pour moi, demeureront à jamais gravés dans ma mémoire. Pour la petite histoire, Giambattista Baronchelli terminera second à un peu plus d’une minute du Breton, l’Espagnol Juan Fernandez s’adjugeant, pour sa part, la médaille de bronze à plus de quatre minutes du nouveau Champion du Monde. Quinze rescapés franchiront, finalement, la ligne d’arrivée, exténués mais heureux et fiers d’avoir eu l’opportunité de dompter un tel circuit. Michel Crepel Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Didier SALEMBIER Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 OUI Michel,un grand moment de cyclisme que je ne n'oublierai jamais.Un monstre Hinault ce jour là.Sans oublier sa victoire sur L-B-L que la météo a transformé en enfer,un moment d'anthologie 😇 Merci de me faire encore rêver 😉 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Serge MASSELOT Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 bonsoir,+1a+ Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Philippe BOCHU Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 oh la la quelle journée j étais a l armée cette année la et j y étais aller avec 5 copains, on était au sommet de la cote de Domancy, un temps de chienca rajeunit pas tout ca Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Luc BELLONI Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 A noter que le réalisateur télé avait réussi à louper le démarrage final qui isolait BH définitivement, alors que ça se sentait de manière évidente. Ce que j'ai pu râler devant ma télé! Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Bernard PIGUET Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 OUI Michel, très bien résumé, et ce fut un championnat sacrant un "vrai" champion du monde !j'étais téléspectateur, et ce que j'avais retenu c'est l'aisance et le style de GB B, qui restait assis en toutes circonstances. je m'étais dit il pourrait encore faire 3 tours comme cela, alors que pour BH c'était vraiment le dernier, et il avait fait l'écart.A noter que c'est l'année de l'abandon de BH au TDF en abordant les Pyrénées, cela l'a t-il servi ?De toutes façons de beaux souvenirs. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Michel CREPEL Posté le 8 octobre 2016 Auteur Share Posté le 8 octobre 2016 Tu as raison, Luc, le seul ralenti, ces cons, ils le passent au moment M de ces presque 8h de course ! Le gâchis du siècle car pas d'autres caméras, pas de portables ! Imagine le gus qui, avec sa Super 8 des familles filme cet instant, résumant à lui seul la supériorité du "Blaireau", je te dis pas la montée des enchères, de la presse écrite ét télévisuelle, pour la possession de sa pellicule !😉 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Michel CREPEL Posté le 8 octobre 2016 Auteur Share Posté le 8 octobre 2016 C'est vrai, Bernard, mais lorsque le Blaireau est parti, « GB » s'est levé sur ses ergots mais s'est rassis, in extenso, incapable de réagir ! Je ne pense pas que cela l'ait réellement aidé, il récupérait mieux que ses adversaires, c'était un de ses atouts ainsi que sa capacité de réaction, après un « échec », due à son tempérament « acariâtre » ! Après son opération au genou en 1983, le début de l'année 1984 ne s'était pas déroulée comme il l'aurait souhaité (Changement d'équipe, d'équipiers, d'environnement, de méthode ajoutés à sa « rééducation » toujours problématique lorsqu’il s’agit du genou, le Tour est venu un poil trop tôt)). De la même façon que quatre ans auparavant, il avait soif de revanche et sa fin de saison fut un modèle de renouveau, de retour aux affaires ! Un Grand Prix des Nations record où il atomise la concurrence, Fignon, lauréat de la Grande Boucle, rejeté au-delà des deux minutes ! Un « Barrachi » parfaitement négocié en compagnie de son « pote » Moser et un « Lombardie » maîtrisé et dominé de la tête et des jarrets ! « Je suis redevenu un grand coureur » dit-il en conclusion de cette saison 1984 (Qui en doutait !) !! Ainsi était Bernard Hinault !😉 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Claude CARRIES Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 Le plus beau championnat du monde de l histoire du vélo.mais après le Qatar spécial sprinter.a mourir de rire.ce sera le cdm des sprinters Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Jean-Luc SALVI Posté le 8 octobre 2016 Share Posté le 8 octobre 2016 18 ans en 1980, j étais aux championnats à sallanches et je crois avoir vu le plus beau championnat du monde de tous les temps sur un circuit terrible avec un Bernard hinault invincible ce jour là! La côte de domancy , faut la grimper, et 21 fois!!! Souvenirs merveilleux. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Vivien POITE Posté le 9 octobre 2016 Share Posté le 9 octobre 2016 Ah du coup je viens de Regarder cette course, étant né 2 ans plus tard, j'ai pas connu, quelle ambiance ! On se serait cru dans un stade de fort lors du dernier tour lorsqu'une équipe marque un but décisif à domicile ! Que j'aimerais voir Ca un jour pour un champion cycliste français ! Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Serge DELESALLE Posté le 9 octobre 2016 Share Posté le 9 octobre 2016 MERCI mon Michou ....Hinault a vengé mon Poupou de Montréal et d'un Altig plus ou moins aidé par Anquetil Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Georges MAILLET Posté le 14 octobre 2016 Share Posté le 14 octobre 2016 "Hinault a vengé mon Poupou de Montréal et d'un Altig plus ou moins aidé par Anquetil"Plutôt "plus" que "moins", évidemment ... et même "beaucoup" plus ... 😆 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Georges IGOR Posté le 14 octobre 2016 Share Posté le 14 octobre 2016 J'y étais aussi. Dans la cote de Domancy. Une ambiance extraordinaire!La course est parti tranquillement. Toute l'équipe de France était derrière Hinault. Mariano Martinez s'est trouvé dans la 1ère échappée et a travaillé en équipier dévoué.Puis on a entendu une clameur qui montait "HI-NAULT, HI-NAULT, HI-NAULT,..." Cela prenait aux tripes. On aurait cru qu'il n'y avait que des français dans le public alors que les italiens étaient aussi présent en masse.De la Folie😆 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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