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Le « Blaireau » et la « Doyenne 80 »


Michel CREPEL

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20 avril 1980, le « Blaireau » se joue de l’apocalypse lors de la 66ème « Doyenne »

De tous temps les divers récits qui nourrissent les légendes les plus extraordinaires, les plus sensationnelles voir les plus épiques sont, pour la plupart, issues de l'imagination fertile et à fleur de peau de leurs auteurs respectifs. Elles vagabondent dans les esprits les plus réceptifs et viennent s'enraciner aux confins de l'imaginaire de chacun. Rares sont celles qui ne côtoient pas le virtuel. L'essence même de ces contes pour tous étant le rêve, il serait ardu voir vain de tenter de réaliser ou même de téléporter pareille épopée, quelle qu'elle soit, dans la réalité. Pourtant, il arrive parfois, au gré des époques traversées, des situations rocambolesques ou abracadabrantesques qui défient toutes logiques d'entendement et de compréhension. Ces faits irrationnels confèrent des environnements susceptibles de les générer avec des hommes hors du commun dont seul le sport, en général, et le cyclisme en particulier peut réellement y souscrire sans pour cela paraître suspecte aux yeux du commun des mortels.
A l'instar des milliers de passionnés de la « Petite Reine » tétanisés, abasourdis, médusés et pantois (tous les superlatifs ne sauraient infléchir cette tendance à l‘extase) par le spectacle auquel ils venaient d’assister en ce dimanche 20 avril 1980, il m’a fallu un temps diablement long pour extérioriser tout le ressenti de pareil ensorcellement du à l’exploit, que dis je à la prouesse d’anthologie perpétrée par un seul être. J’insiste sur le terme « être » car il ne faut, bien évidemment, pas être grand clerc pour affirmer que « celui » qui a conjuré de la sorte l’apocalypse dans tout ce qu’elle a de plus épouvantable voir de plus eschatologique était tout sauf humain. Mais que diable était-il venu faire dans cette galère ! A l’image d’un « Vieux Gaulois » arcbouté sur sa monture luttant tel un démon acariâtre dans une joute homérique et sans merci face à un Turchino majestueux, blanc, immaculé telle la ouate avant de se muer en linceul mortuaire, exactement sept décennie auparavant lors d‘une « Primavera » « stratosphérique ». Le « Blaireau » émergeant tout juste de l’état d’hibernation dont il s’était affublée les trois à quatre mois précédents cette échéance, fut confronté ce jour là à un cataclysme identique, inouï et invraisemblable dont tous, coureurs, suiveurs, journalistes et passionnés se souviendraient des lustres après les faits.
A l’aube d’un printemps encore frileux, la neige, depuis un moment déjà, errait un soupçon hostile et menaçante au sein d’un ciel gris inquiétant, chargé de rancœur. Celle-ci rôdait et vagabondait insidieusement dans le nord de la « Vieille Europe » en ce mois d’avril polaire. Liège, « La Rebelle » commençait à s’affubler de blanc lorsque le directeur de course de cette 66ème édition de la « Doyenne » rameuta ses troupes afin de lâcher enfin la bride aux cent soixante quatorze héros de cette effroyable journée. Dès les premiers kilomètres, le peloton subit les foudres de « Chioné » sous la forme de denses averses de neige et de pluie mêlée puis de neige annonciatrice d’un blizzard gourmet et dévastateur. Un froid glacial s’installa peu à peu au sein d’un paysage d'une austérité alarmante et d'une désolation hallucinante. Puis le blizzard, à nouveau, redoubla d'effroi et la température avoisina bientôt l'insupportable. Le mercure enregistra, alors, une descente vertigineuse vers le néant, ce même néant qui transpire parcimonieusement dans le subconscient, fragilisé à l'extrême, de ces « Gladiateurs de l'apocalypse ».
Le peloton, ou ce qu’il en reste progresse laborieusement, emberlificoté et emmitouflé tels des Inuits groggy. Peu avant midi, la neige cesse enfin de choir. L'atmosphère se réchauffe insensiblement. La pellicule encore vierge de toutes impuretés commence doucettement à fondre puis à se muer en d‘anonymes rus. En début d'après-midi, les routes, gorgées de neige en cours de liquéfaction, redeviennent presque praticables. À 140 bornes de l'arrivée, sur le plateau de Bastogne, balayé par le blizzard, la chaussée empruntée par la « Doyenne » est toujours à la limite du carrossable et les concurrents bâchent par dizaines. Pendant ce temps, la neige continue à s'accumuler sur les sommets de Wanne, Stockeu et Haute-Levée. Les « saute ruisseau » qui composent cette macabre procession, sorte d’enchevêtrement de corps désarticulés sont frigorifiés, les pieds deviennent insensibles, les muscles des jambes sont raidies et durcies par le froid enfin les mains sont crispées et épousent fiévreusement les cocottes de freins comme rarement. La course enregistre un retard abyssal sur l'horaire le moins rapide. À Stavelot, vers 15 ou 16 heures, sous des averses de neige fondue et de pluie capricieuse, moins de trente rescapés de la « Bataille des Ardennes » revue et corrigée , se présentent toujours affublés et empêtrés de leurs accoutrements polaires au pied du monstre représenté par le redoutable et redouté « Mur » de Stockeu.
C’est au sein de ce décor et de cet atmosphère d’« Ere Glaciaire » post apocalyptique que le « Menhir d’Yffiniac » déambule tel le « Yéti ». Plus tôt dans la journée, aux abords du plateau de Sprimont dans ce brouillamini de crêtes et de tiges condruziennes, les abandons pleuvent et parmi celles-ci, des éminents flahutes pourtant rompus à ce genre de phénomène météorologique tels le besogneux grégario, accessoirement incontournable lieutenant de peu ou prou toutes les  « campagnes » du « Cannibale », Joseph De Schoenmaecker, le « Lilliputien », lauréat de la « kermesse de Juillet 1976 », Lucien Van Impe, le puissant rouleur-poursuiteur Norvégien Knut Knudsen ou le tout frais émoulu vainqueur de la « Primavera », le Bresciani Pierino Gavazzi. D’autres, moins avares de leurs efforts bâchent quelques bornes plus avant comme le récent « Voltigeur du Mur d’Huy », le Novaresi Giuseppe « Beppe » Saronni vainqueur de la Flèche Wallonne, accompagné pour l’occasion par le porteur de la tunique de Champion de Belgique, Gery Verlinden voir le « renégat de l’Alpe d’Huez » Michel Pollentier et bien d‘autres encore. Les contreforts de la Côte de la Roche-en-Ardenne sont le théâtre d’une capitulation en règle d’une pléiade de « cadors » dont le Suédois Sven Ake Nilsson, intenable trois jours plus tôt sur la « Flèche », Giambatista « GB » Baronchelli, moins balbutiant cinq mois plus tard du côté de Domancy, ou le « Chamois Varesini » Wladimiro Panizza plus à son aise du côté de Maddalena ou confronté aux « labourés » ou enfin l‘éternel espoir d‘Herentals, Daniel Willems ceint de sa cohorte de légionnaires en pleine déconfiture. Au terme des deux premières heures d’errance « zombiesque », on notait déjà plus d’une centaine de redditions. A leur décharge, il faut vraiment avoir été à la place de ces « voltigeur du macadam » en ce dimanche 20 avril 1980 pour se rendre vraiment compte du calvaire enduré par ces « Forçats de la Route ».
Personne sur le moment et encore moins après coup n'osera jeter la pierre à tous ceux qui se sont retirés ce jour là. Le « Blaireau » en tête, après avoir été protégé, calfeutré un long moment, tel l’enfant qui vient de naître par le fidèle des fidèles Briochin Maurice Le Guilloux, fut tout prêt de jeter l'éponge à quelques encablures du ravitaillement. A ce propos, Bernard Hinault l'aurait volontiers fait si d'aventure il avait neigé de plus belle à ce moment là, or cette dernière avait cessé de tourmenter ce qu’il restait de la meute en déroute et le soleil malicieux et somnolent clignait de l’œil insidieusement à l’attention des rescapés de l’enfer. Enfin débarrassé de son par trop encombrant imperméable, l’Yffiniacais put de nouveau respirer à pleins poumons et reprendre in extenso sa chevauchée héroïque en direction du redoutable « Mur » de Stockeu et des autres raidars de l‘épreuve. Le peloton est décimé au pied de ce dernier. Pas plus de trente silhouettes errantes zigzaguent à l’amorce des premiers pourcentages de la pente. Le Grammontois Rudy Pevenage, à deux pas de chez lui, caracole alors en tête avec près de trois minutes d’avance sur Bernard Hinault, reconnaissable à son bonnet de laine rouge et quelques autres coureurs dont Henk Lubberding (Ti-Raleigh), Silvano Contini (Bianchi) et « Didi » Thurau (Puch-Campagnolo-Sem) . A la bascule, le natif de Moerbeke a « égaré » les deux tiers de son pécule. Une minute après le « Blaireau », le rude Batave de Noord Deumingen, Hennie Kuiper, s’offre une randonnée pédestre du plus bel effet. Victime d’une chute dans les pourcentages les plus abruptes (21%), le pourtant Champion des « Labourés » de son pays cinq ans plus tôt, ne parviendra jamais à relancer la machine.
Déambulant plus que ne courant à côté de sa « bécane », le futur lauréat du « Ronde 1981 » parviendra tout de même à rejoindre le sommet, fourbu. Ereinté certes mais pas désespéré, le bougre. A l’avant, Rudy Pevenage poursuit sa progression même si celle-ci semble désormais sous la menace pressante de ses poursuivants. En effet, le trio composé d’Hinault, Lubberding et Contini reformé lors de la descente vers Stavelot, s’entend comme larron en foire et récupère même un Thurau en indélicatesse avec les changements de rythme sur la glace et un instant décramponné dans les derniers hectomètres de Stockeu. Pas le temps de conter fleurette que déjà se profilent les premiers contreforts de la Haute-Levée, rendant ainsi obsolète et vaine tout espoir de récupération. Au pied de la bosse, Pevenage fait toujours illusion trente secondes devant le quatuor lancé plein pot à ses trousses. Les premières dénivellations lui seront néfastes et à court terme fatales puisqu’il sera repris dans la foulée. A cet instant précis, la légende est en marche. Sans vraiment démarrer, sans vraiment donner le sentiment de vouloir asséner un uppercut assassin à ses compagnons de galère, le « Blaireau » abandonne, fort courtoisement d’ailleurs, un à un ces derniers. Inexorablement, Lubberding, Contini et Thurau lâchent prise sans pouvoir ne serait ce qu’esquisser la moindre réaction de défense, encore moins de rébellion. Le Breton ne procèdera, d’ailleurs, pas autrement quelques six mois plus tard, mais avec un peloton des plus conséquents, néanmoins,, sur les hauteurs de Domancy lors d’un autre chef d’œuvre du « bonhomme ». Dorénavant seul en tête s’échinant plus que virevoltant sur les pentes de « Haute-Levée », à quatre vingt bornes de Liège, crapahutant dans un blizzard Sibérien ahurissant, Bernard Hinault ne distingue guère que des silhouettes ou formes fugaces, éthérées et suit tel un automate blasé la frêle trace laissée par les véhicules ouvreurs le précédant.
Frisant l’hypothermie à tout instant le Costarmoricain bardé de givre n’en poursuit pas moins sa route infernale vers le néant. Imaginez, qu’à ce moment de la course, le « Blaireau » doit encore se coltiner les côtes du Rosier, de la Vecquée, de La Redoute, de Sprimont, de la Roche-aux-Faucon et enfin de Saint-Nicolas, excusez du peu. C’est nanti d’une totale béatitude hypnotique que le « naufragé de l‘apocalypse» appréhendera les ultimes difficultés du parcours. Il en conservera à jamais les séquelles. Gelé, c’est l’état de Bernard Hinault lorsqu’il parviendra enfin à Liège. Peu avant la ligne d'arrivée, cependant, le Breton, tel « César » saluant ses légions et ses centurions, aura un geste de gratitude envers ses équipiers regroupés derrières les baies vitrées de l'hôtel Ramada, dans lequel ils séjournaient. Frigorifié, l’une de ses phalanges bloquée par le froid et la glace accumulée sur un de ses doigts, Bernard Hinault ne dira mot. Le « Menhir d’Yffiniac » est un homme de terroir rompu, depuis sa plus tendre enfance, à l’absence chronique de plaintes futiles émanant de conditions atmosphériques exécrables voir abominables rencontrées ici et là. Pourtant, s’il n’est plus vraiment lui-même à l’arrivée, Bernard Hinault a tout de même fait du « Blaireau » sur sa « bécane ». C’est son label ce genre d’extravagante épopée. Le Batave Hennie Kuiper, que nous avions abandonné à Stockeu en proie à un destrier récalcitrant, coupera la ligne plus de neuf minutes (9’24’’) après le lauréat du jour, bien avant ceux, néanmoins, qui l’avaient précédé au sommet à savoir, Silvano Contini (12ème à 12'35") et Henk Lubberding (13ème à 16'03").
Pour la petite histoire, le Norvégien Jostein Willman sera le dernier classé…à la 21ème place à 27 minutes du Breton. Ce jour-là, Bernard Hinault est définitivement devenu « Grand », et entrera de plein pied dans la légende de son sport. Néanmoins, il serait quelque peu mesquin voir vil de ne pas associer à cet exploit hors norme les vingt et un « forçats de la route » qui sont parvenus tant bien que mal à négocier cette 66ème édition de Liège Bastogne Liège. C’est pourquoi je me permettrai de tous les citer : Bernard Hinault, Hennie Kuiper, Ronny Claes, Fons de Wolf, Pierre Bazzo, Ludo Peeters, Herman Van Springel, Guido Van Calster, Johan Vandevelde, Eddy Shepers, Gilbert « Gibus » Duclos Lassalle, Silvano Contini, Henk Lubberding, Stefan Muller, Pascal Simon, Jan Jonkers, Bert Oosterbosch, Paul Wellens, Frits Pirard, Jean Toso et Jostein Wilmann. En effet, si pour Bernard Hinault, le jeu en valait finalement la chandelle, pour les « saute ruisseau » arrivés à des années lumières, dans l’anonymat le plus complet voire le plus indécent, que pouvaient ils réellement espérer et retirer de pareille mésaventure. A l’instar, sans aucun doute des grognards de la « Grande Armée » fierté non feinte de Napoléon Bonaparte, en personne, au soir de la victoire d’Austerlitz, les vingt et un rescapés pourront alors s’exclamer à qui voudra bien les entendre, « Ce 20 avril 1980, j’y étais ! ».
Quelques semaines plus tard, Bernard Hinault décrochera la première de ses trois victoires sur le Tour d’Italie. Mais une douleur au genou l’empêchera de remporter sa troisième « Kermesse de Juillet » d’affilée au cours de l’été. Revanchard, le Breton deviendra pour la première fois Champion du Monde, à Sallanches, réalisant à nouveau un sacré numéro sur les pentes monstrueuses de Domancy.

Michel Crepel

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je me souvient de ce jour là et me le rappeler me donne les frissons.Quel sacré champion,je crois que seul le vélo peut faire vivre des instants pareils,quand a la fatigue de l effort du sportif se melent des conditions atmosphériques cataclysmiques.Il faut avoir fait du vélo pour savoir ce que c est.Sacré champion le blaireau:5 tdf dont 1 arreté alorsq u il était en jaune et une fois second et 3 giro sans compter une vuleta ou 2 et sans compter le reste;un sacré mec

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D'autres photos de la doyenne. Images de qualité moyenne car je les ai numérisées à partir de mes diapositives de l'époque.

- Doyenne 1976 (Haute Levée):

http://www.cyclo-ardennaise.net/LBL76-diapo/pages/01-LBL76.htm

- Doyenne 1977 (Stockeu):

http://www.cyclo-ardennaise.net/LBL77-diapo/pages/01-LBL77.htm

- Doyenne 1978 (Stockeu):

http://www.cyclo-ardennaise.net/LBL78-diapo/index.htm

- Doyenne 1982 (Stockeu): photos qualité médiocres

http://www.cyclo-ardennaise.net/LBL82-diapo/pages/01-LBL82.htm

 

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Voilà Igor

« Sallanches 80 » : Jamais, sans doute, un coursier n’avait autant surclassé partenaires et adversaires, lors d’un Championnat du Monde, que le « Blaireau » ce jour là.


Il était une fois, dans une contrée lointaine du royaume de France, une province à nulle autre pareille. Déjà, cette terre à l'appendice proéminent et qui semble, malgré toute les lois de dame nature, pourfendre ainsi les éléments contre vents et marées génère un sentiment profond d'irrationnelle et de mystère. Cette Armorique ancestrale trône depuis la nuit des temps revêche et rebelle à toute invasion non consentie. Elle s'hérisse souvent, plie parfois mais ne rompt jamais. Le caractère de ses indigènes a été de tout temps imprégné des blessures et des meurtrissures nées de leur volonté farouche à exister en conservant jalousement leur entité. Elles ne sont plus nombreuses dans ce cas aujourd'hui. Bretagne, terre et mer, deux identités mêlées pour un même amour fusionnel. De la côte d'Emeraudes à la côte des Mégalithes, en passant par celles du Goêlo, du Granit Rose, des Légendes, des Cornouailles, au delà de la Mer d'Iroise et des phares austères mais salvateurs de Seins, de Ouessant ou de l'archipel des Guenan à l'île de Groix ou Belle Ile en Mer, tout ici transpire le sacrifice, le courage et inspire la volonté et la solidarité. Ce kaléidoscope génétique et topographique par nature, se fond et se confond pour ériger à terme un individu, un roc, un menhir imperméable aux rigueurs et à l'adversité insidieuse, un Breton. Les clichés et autres images d'Epinal ne sauraient à elles seules orienter et axer nos consciences de candides invétérés concernant les us et coutumes ancestrales de la patrie de "Merlin". La Bretagne, microcosme et kolkhoze auréolée d'un patrimoine culturel et sportif rare a, de tout temps, engendré l'exception. L'exception de ses traditions, bien évidemment, mais aussi et surtout l'acuité physiologique de la plupart de ses enfants. Qui, n'a pas le souvenir d'un champion engendré et issu du "pays" de ces emblématiques Korrigans des grottes de la vallée verdoyante des Traouïero. Qui ne s'est jamais enthousiasmé, enflammé, extasié devant le courage, l'abnégation et le "Jusqu'au boutiste", parfois, de ces descendants d'Anatole le Braz, lui-même, digne dépositaire du "Yeun Ellez", de sinistre mémoire. Ce n'est faire injure à quiconque, ici, que d'affirmer sans trop risquer de se fourvoyer que nul ne s'est autant identifié à sa terre que le résidant des Monts d'Arrée, d'Huelgoat, de Bréhat, Roscoff, Paimpol, des forêts de Brocéliande ou de Paimpont. C'est au sein de ce pantagruélique, ce gargantuesque réservoir de "besogneux", d'hommes providentiels que va éclore le joyau qui allait éclabousser de sa classe une génération de "sautes ruisseau" et émerveiller une caste d'aficionados en mal de héros. Issu du septentrion de cette Armorique éternelle, royaume privilégié des Fest Noz et Pardon échevelés, Yffiniac, plus précisément, Bernard Hinault va générer un engouement, susciter une admiration que seuls nos "aïeux" peuvent se targuer, se vanter même, d'avoir éprouvé.
Le but, aujourd'hui, n'est nullement de narrer sa carrière légendaire, ni même de conter la maestria et l'insolence dont fit preuve l'Yffiniacais lors de ses triomphes les plus emblématiques telles la "Doyenne 80", la "Lombardie 79", l'"Enfer 81" ou bien à l'occasion de ses cinq Grande Boucle, de ses trois Giro voir de ses deux Vuelta, non, ma démarche, et elle n'en est que plus atypique, est de m'attacher à la course, le chef d'oeuvre qui demeure et demeurera à jamais dans la mémoire collective à savoir, le Championnat du Monde sur route de Sallanches en 1980. Il s'avère rare, très rare dans l'histoire de ce sport qu'une course ait été autant maîtrisée, techniquement et tactiquement, qu'elle ait été, en outre, à ce point accomplie, aboutie. Ce fut une sorte de perfection linéaire au gré de son entière circonvolution. L'adaptation aux conditions climatiques déplorables, du début de course, fut également appréhendée à la fois sereinement et façonnée d'une manière frisant l'anecdotique. Si j'use d'une ébauche en règle de l'épreuve qui va suivre c'est uniquement pour avaliser la limpidité du cheminement de son évolution dans le temps. Les péripéties qui vont suivre, la stratégie mise en place, concoctée, mitonnée et réalisée tel un art sont l'oeuvre d'un seul et même homme. En effet, je ne suis pas loin de subodorer que seul le "Blaireau" possède l'ingéniosité d'esprit et de caractère, la volonté pour concrétiser dans les faits tout un plan de bataille savamment organisé en préambule de la course. Ajoutons que de mémoire de suiveurs, journalistes, inconditionnels de tous bords et champions de toutes générations, jamais peut être, un Championnat du Monde sur route n'avait et n'a, jusqu'alors, présenté un parcours aussi difficultueux, sélectif et piégeux que le parcours Haut Savoyard.
La participation s'avère être à la hauteur du challenge à relever à savoir, royale. Egratigné, bafoué voir humilié par nombre de "journaleux" amnésiques, Bernard Hinault, dont le genou, en juillet du côté de Pau, s'est révélé être aussi médiatique et universel que le nez de Cléopâtre, ronge son frein depuis cette date et rumine en silence une vengeance qu'il subodore et espère secrètement éclatante et implacable. Lorsque l'on connaît un tant soit peu le "bonhomme", confronté qu'il est à l'adversité et à l'injustice, nul doute que l'on est en droit de s'attendre de sa part à un spectacle à la hauteur du préjudice subit à savoir, cauchemardesque pour ses détracteurs et adversaires. Le Colonel Richard Marillier n'en a pas pour autant opter pour une hégémonie Renault pourtant chère à Cyril Guimard, se contentant simplement d'adjoindre au "Blaireau" ses plus fidèles lieutenants tels Jean René Bernaudeau, André Chalmel et Pierre Raymond Villemiane. La Redoute Motobecane avec Robert Alban, Mariano Martinez et Bernard Vallet ainsi que les Miko Mercier de Raymond Martin et Christian Seznec seront les autres formations représentées en nombre au sein du groupe tricolore. Bernard Bourreau de Peugeot, Régis Ovion de Puch et Bernard Thevenet de Teka complèteront ce commando résolument tourné vers l'épreuve de force en haute altitude. Pour tenter de contrer cette armada avinée de revanche salvatrice les Italiens apparaissent alors comme les plus aptes à tirer leur épingle du jeu et ainsi contrecarrer les desseins de conquête du "Blaireau" et ses sbires. Giambattista GB Baronchelli omniprésent depuis le début de saison, Giovanni Battaglin troisième du dernier Giro remporté par Bernard Hinault, Mario Beccia lauréat du Tour de Suisse, Silvano Contini malheureux sur le Giro mais revanchard, Vladimiro Panizza dauphin du Breton en Italie, Giuseppe "Beppe" Saronni vainqueur au sommet d'Huy, Roberto Visentini, le "play boy" argenté et Francesco Moser auteur du triptyque lors de Paris Roubaix, seront à n'en pas douter à la hauteur de l'évènement. Les sélectionnés d'Outre Quiévrain présenteront une formation complète autour du vainqueur du "Ronde", Michel Pollentier. Claudy Criquelion, troisième de la Vuelta et toujours placé lors des "Ardennaises"et Johan de Muynck au pied du podium de la Grande Boucle et montagnard émérite qu'épauleront efficacement les jeunes loups Fons de Wolf et Daniel Willems devraient être d'une grande aide au coureur le moins esthétique du peloton depuis notre "Biquet" national. Côté Espagnol, Faustino Ruperez grand triomphateur de la Vuelta, Marino Lejarreta lauréat du Tour de Catalogne, Alberto Fernandez vainqueur, lui, du Tour du Pays Basque ainsi que son homonyme Juan ne manqueront pas, en excellents escaladeurs qu'ils sont, de s'immiscer au sein des échappées qui ne manqueront pas de se développer tout au long de ce tracé tumultueux. Enfin, les Pays Bas offriront une belle brochette de candidats potentiels au maillot irisé. A tout seigneur, tout honneur, Joop Zoetemelk, le tout frais émoulu lauréat de la Grande Boucle semble avoir retrouvé une seconde jeunesse sur les routes de juillet. Le résidant de Germiny l'Evêque sera entouré de belle manière par le vainqueur de Gand Wevelgem, le bouillonnant Henk Lubberding aidé, pour la circonstance, de son "frère siamois" Johan Van Der Velde impressionnant en juin lors du Dauphiné qu'il s'adjugea de toute sa classe. Ajouter au crédit des Néerlandais, l'expérience de baroudeurs tels Hennie Kuiper, véritable "4x4" de service, et de l'incontournable et inénarrable Jan Raas et vous aurez un aperçu des chances réelles des "Oranges Mécaniques". Demeurent les individualités des nations moins pourvues en nombre de coureurs compétitifs sur des terrains aussi escarpés et à ce petit jeu de chaises musicales d'un autre âge, certains possèdent de réelles chances de chambouler l'ordre établi. En vrac je citerai le teigneux et accrocheur Australien Phil Anderson, la "ballerine des cimes" l'Ecossais Robert MIllar, les Vikings rugueux et besogneux mais pétris de talent tels les Danois Kim Andersen et Jorgen Marcussen, le Suédois Sven Ake Nilsson ou le Norvégien Josten Wilmann et enfin les Helvètes Stefan Mutter, dauphin de "Gibus" sur la "Course au Soleil" et Ueli Sutter.
Le plafond est bas, en ce dimanche 31 août au matin, le déluge s'est abattu toute la nuit et les séquelles de ces pluies diluviennes demeurent tenaces et ses effets insidieux augurent une entame de course des plus hasardeuse. La fraîcheur matinale ajoutée à l'atmosphère humide génère chez les coureurs une appréhension légitime et une prudence extrême dans l'optique et la manière d'appréhender la descente tourmentée et technique de "Domancy". Les coureurs scrutent de leurs regards déjà aiguisés l'horizon encore passablement embrumé et aux contours toujours incertains. Toutefois, la météorologie s'annonce optimiste et les risques inhérents aux ondées de la nuit devraient s'estomper et s'évaporer définitivement à mesure de l'évolution de la course. Ce sont donc cent sept courageux qui s'élancent ce matin- là pour ce qui sera l'un des, si ce n'est le, plus terrible et cruel Championnat du Monde sur route de l'histoire de la "Petite Reine". De par sa configuration, l'épouvantail "Domancy" effraie les hommes les plus rompus aux us et coutumes des dénivellations les plus insensées et la répétition de son ascension hante les esprits des plus aguerris. Il sera nécessaire d'être bougrement costaud pour parvenir sur la ligne d'arrivée sans encombre, soyons en certains.
Les premiers tours sont le théâtre d'une attaque franche quoique hasardeuse à ce moment de la course de l’énigmatique Johan De Muynck. Cette accélération intempestive et présomptueuse suggère alors au Breton de revenir sur le vétéran d'Outre Quiévrain afin de tester opportunément un des favoris de ce Mondial. En outre, le froid ajouté à la chaussée trempée pouvait très bien, et pour cause, s'avérer piégeuse lors de la descente de "Domancy". Aussi, n'hésitera t'il pas un seul instant lorsque la possibilité lui sera donné à très peu de frais de se familiariser avec cette descente, seul à l'avant, afin de reconnaître sereinement la fiabilité ainsi que la dangerosité de celle-ci. Un peu plus d'une trentaine de secondes d'avance permettra au duo de s'aérer l'esprit en mémorisant les courbes sinueuses avant d'être repris vers le vingtième kilomètre. A l'entame du troisième tour, trois hommes prenaient soudain la poudre d'escampette. Figuraient désormais à l'avant, le rugueux Suisse Ueli Sutter, le jeune espoir Danois Kim Andersen et bien évidemment le Français de service en la personne du fidèle parmi les fidèles, Mariano Martinez, l'éminent mouflon de La Redoute. Au huitième tout, les choses demeurent en l'état et les trois fuyards caracolent toujours devant. La montée de "Domancy" devient, cependant, de plus en plus compliquée à appréhender pour le trio de tête et lors de cette antépénultième ascensions, l'Helvète Ueli Sutter, éreinté, est inexorablement décramponné pour le compte par le protégé du « Gicleur aux damiers » Jean Pierre Danguillaume, Kim Andersen et par son compagnon d'échappée, le plus Français des Ibères, Mariano Martinez. Les deux hommes de tête sont à bloc, vautrés sur leur monture et marqués par la violence de l’effort. Devant, le Danois file grand train assis bien calé sur sa selle, tout en puissance. Dans sa roue, le Français, averti de la stratégie mise en place par son leader en personne, ne prend aucun relais et dans son style si particulier arpente la chaussée en danseuse, balançant son buste désarticulé de gauche à droite, donnant l'impression bizarre mais néanmoins angoissante de pouvoir choir à tout moment. Lors des prémisses de ce Mondial, au cours des premières révolutions de ce terrible circuit, les abandons prématurés du roublard Jan Raas, du Brestois Christian Seznec et du Bourguignon Bernard Thévenet démontrèrent, si besoin était, que pour aborder ce type de circuit démoniaque, il était nécessaire d'être à cent pour cent de ses capacités. Apparemment aucun de ces trois ô combien talentueux coursiers n’affichaient une condition irréprochable, loin s’en faut. En outre, les excédents de poids ainsi que les coursiers à la morphologie par trop charpentée ne trouvèrent guère, à mesure que la sélection s’opérait, loisir à échafauder des plans de conquête. Un petit rappel pour nous montrer que Sallanches est bien une terre de champions puisque qu'en 1964, sur un parcours beaucoup moins capricieux qu'aujourd'hui, le Batave à lunettes Jan Janssen était devenu Champion du Monde des professionnels tandis que l'ogre Eddy Merckx débutait, par une titre amateur, sa moisson apocalyptique de victoires.
Au sommet de "Domancy" Andersen passe devant Martinez dans la roue. Plus rien n'interviendra avant le douzième passage si ce n'est l'absorption des trois fuyards par un peloton glouton. A cent sept bornes de la banderole d'arrivée, l’esthète Francesco Moser et le plus Français des Néerlandais Joop Zoetemelk ont, à leur tour, jeté l'éponge. Le "Ceco" pas vraiment à son aise sur des pourcentages aussi abruptes et répétitifs sombre corps et âme tout comme le vainqueur « usurpateur » de la Grande Boucle qui, pourtant, faisait figure de légitime épouvantail ce matin encore. A l'avant de la course, une trentaine de coursiers se sont isolés. Tous les clients ou presque à la victoire finale figurent, bien évidemment, en son sein. Pèle mêle, les Transalpins Giovanni Battaglin, Vladimiro Panizza, Roberto Visentini et "GB" Baronchelli, les Français Bernard Hinault, André Chalmel, Bernard Vallet et Jean René Bernaudeau, les Belges Michel Pollentier, Johan Van Der Velde et Johan de Muynck, le Suédois Sven Ake Nilsson, le Norvégien Josten Wilmann ou encore l'Ecossais Robert Millar. Le "Blaireau" emmène ce groupe à vive allure sans même quémander un seul instant une aide bienfaitrice à défaut d'être salvatrice, tant le Breton apparaît impressionnant et virevoltant. Dans les premiers lacets de "Domancy" Bernard Hinault, plus acariâtre que jamais, toujours en pôle, imprime un rythme endiablé. En danseuse, comme à son habitude lorsqu'il impose son tempo, le "Blaireau" déploie son énorme puissance à une cadence infernale. L'écrémage du groupe s'effectue alors avec une régularité chirurgicale et une densité invraisemblable. Le Breton insolent de facilité impose son autorité implacable sur l'ensemble du peloton tel un despote des temps anciens. Au deux tiers de la pente, le Breton n'est plus suivi que des seuls Pollentier, Baronchelli et Van Der Velde. Tous ses adversaires sont éparpillés. C'est l'hallali ! Alors que nous apprenons l'abandon du "Beppe", Hinault poursuit son travail de sape, ne déléguant aucun relais à ses compagnons de route, sans doute bien trop heureux de, ne serait ce, que demeurer dans son sillage. A l'approche du sommet, le Breton relance encore l'allure et derrière tous sont à l'agonie. Exceptionnel, inouï ce que réalise Bernard Hinault lors de cette montée. Au sommet de ce treizième passage le Français passe en tête devant Pollentier, seul coursier à parcourir plus de kilomètres que ses camarades, et Baronchelli. Van der Velde est à une cinquantaine de mètres derrière et Battaglin puis Panizza passent avec un débours d'une quinzaine de secondes. Suivent Nilsson à vingt secondes précédant Wilmann et Millar de cinq secondes. Le peloton emmené par un Visentini inénarrable « Adonis » de ses dames et où l'on reconnaît entres autres De Muinck et Kuiper basculent avec un retard de quarante cinq secondes. Le Français Bernard Vallet accompagné de l'Américain Jonathan Boyer, chercheur de serpent en Californie, à ses heures, membre de US Créteil, à l’occasion, passent au sommet à près d'une minute.
Au bas de la descente les quatre hommes de tête, Hinault, Pollentier, Baronchelli et Van Der Velde se sont regroupés. Derrière la paire Battaglin et Panizza entame un véritable "Baracchi" pour tenter de rejoindre de quatuor de tête. Les deux Transalpins, profitant du relâchement coupable des fuyards rentrent au passage sur la ligne annonçant le quatorzième tour. Il y a, désormais, trois Italiens devant. Ce nouveau groupe de six unités passe sur la ligne nantis de dix secondes d'avance sur le groupe Visentini, Ruperez, Marcussen, Nilsson et MIllar revenus comme des avions dans les faubourgs de Sallanches. Un autre groupe comprenant Kuiper, Criquelion, De Muynck, « Monsieur Paris – Roubaix » Roger De Vlaeminck, Vallet et Boyer passe avec une quarantaine de secondes de retard. Jean René Bernaudeau pour sa part franchit seul la ligne d'arrivée une minute pile après son leader. Les six hommes de tête se sont relevés un instant pour se ravitailler avant de se présenter pour la énième fois au pied du mur. Ce petit contre temps frugal permettra au groupe Visentini de recoller, mais pour combien de temps, au groupe Hinault. Onze hommes à l'avant de la course désormais. Dans la foulée on apprend l'abandon de Mariano Martinez tout simplement héroïque et fantastique en début de course. A moins de trois tours de l'arrivée, HInault remet le couvert. Marcussen est le premier largué dès les premiers lacets. Puis c'est l'explosion, le groupe subit le souffle, les radiations des bielles du "Blaireau". Seuls Baronchelli à l'ouvrage et Millar au "casse croûte" parviennent difficilement à s'agripper au porte baguage du prédateur Armoricain en goguette. Vingt deux "saute ruisseau" demeurent encore en course à cet instant de la course. Plus haut, Robert Millar a irrémédiablement dégoupillé et s'écroule en vue du sommet. Derrière, Van de Velde victime d'une chute abandonne enfumé et asphyxié par le rythme imprimé par le Breton. Millar, jeune teigneux de vingt deux printemps, recolle, néanmoins, au début de la descente. Ils sont désormais trois en tête. Dans la roue du Français "GB" apparaît facile. Le contraste est d'ailleurs saisissant entre les deux champions, tout en puissance pour le Français, coulé et en souplesse pour l'Italien. Le groupe des poursuivants comprenant Fernandez, De Vlaeminck, Boyer, Nilsson, Pronk, Panizza et Marcussen se retrouvent à présent à plus d'une minute et quarante secondes. A deux tours de l'épilogue aucun changement n'intervient dans "Domancy", Hinault, "GB" et Millar dans cet ordre montent au train, roue dans roue, sans à coup. Baronchelli donne l'impression de "tricoter", de faire de la patinette dans l'essieu huilé du monstrueux menhir Breton. C'est ahurissant le labeur qu'effectue le "Blaireau" depuis le départ. Pourtant, on ne peut s'interdire d'imaginer l'Italien placer une mine aux entournures. Millar est largué, cette fois ci pour le compte, à mi-pente sous une antépénultième accélération du "Blaireau". "GB", lui, est en danseuse un peu moins pimpant que quelques kilomètres plus tôt. Au sommet le Français simule une attaque pour jauger son adversaire, en vain. Pas un seul relais n'est effectué par le Transalpin, bien calé dans la roue de l'homme qui ouvre la route depuis des bornes et des bornes. Le Français esquisse un clin d'oeil, aux cameramen qui accompagnent la course, qui en dit long sur sa motivation, ses certitudes et son assurance. Outre MIllar en chasse patate mais en perdition, le groupe des derniers poursuivants regroupant Boyer, De Vlaeminck, Pronk, Panizza, Nilsson et Fernandez se trouve maintenant à plus de trois minutes des deux coursiers qui s'apprêtent, sans aucun doute bientôt, à se jouer le titre de Champion du Monde. Marcussen, pour sa part, se situe encore un peu plus loin.

Avant dernier tour, Hinault et GB passe roue dans roue. Le Français mène depuis le départ ou presque de la course près de deux cent cinquante bornes et vingt ascensions en tête sans presque avoir aperçu le fessier d'un adversaire, c'est absolument phénoménal ! "Domancy mon Amour" pour l'avant dernière ascension. Bernard HInault devant toujours en danseuse, toujours en puissance, toujours devant tel un métronome têtu et viscéralement teigneux progresse toujours courageusement, inlassablement dans sa quête de revanche, "GB" inexorablement et imperturbablement dans la roue. Jamais, le "Blaireau" n'est apparu en difficulté, jamais, il n'a éprouvé le besoin pourtant légitime de souffler, jamais, il n'a, ne serait ce, que quémander un relais, jamais enfin, il n'est apparu aussi extraordinairement fort qu'aujourd'hui. Pas un regard du Français à l'arrière. Tout en puissance Bernard poursuit son one man show, Baronchelli toujours dans son sillage mais relativement moins "seigneur", moins aérien, moins tout, que précédemment. Alors que suiveurs et médias commencent à étaler leurs supputations à deux sous marocains et à ébaucher des plans foireux sur une explication finale à l'emballage, nous, les passionnés, nous nous intéressons aux sensations des deux hommes à leurs coups de pédales révélateurs. A ce petit jeu, on en arrive à soupçonner l'Italien au bout du rouleau. Malgré son port altier et sa pédalée oindée à l'extrême, les hochements intempestifs de son crâne suggèrent une lassitude inattendue bien que toutefois compréhensive. Le Transalpin tente pourtant de cacher, de terrer son désarroi en feignant des grimaces de circonstance et des rictus de souffrance digne de la Commedia Del Arte. Mais comme on n’apprend pas à un "Blaireau" à faire la grimace .... l'Italien en sera pour une bonne séance d'acuponcture sitôt sa course, son chemin de croix achevée. Le faciès des deux hommes démontrent, néanmoins, la souffrance endurée depuis le matin. La difficulté du parcours ajouté aux conditions climatiques déplorables a tôt fait de ravager les visages les plus burinés. La dernière montée de l'abominable raidar se présente, maintenant, sous les boyaux de nos deux héros. Seul le plus costaud brisera son adversaire et s’en ira quérir le « Graal ». Comme de coutume, Bernard Hinault décolle dès les premiers pourcentages et imprime une cadence de damné à GB Baronchelli. Le "Blaireau" toute hargne dehors, le visage déformé par la rage de vaincre se met en danseuse et appuie, appuie, appuie encore et encore et toujours sur les pédales sans aucun regard pour son adversaire. La foule en transe hurle et vocifère des "Hinault, Hinault ! " qui accompagnent et portent littéralement le Français vers le sommet de "Domancy". L'Italien fait encore illusion mais on subodore la saturation tant son aisance s'effrite. Changement soudain de braquet du "Blaireau" qui tombe deux dents pour une attaque tranchante mais feinte. Surpris, "GB" sursaute puis recolle. C'est à ce moment là, sans aucun doute, que Bernard Hinault a pris la décision d'en finir et d'achever le gibier. Pourtant, dans un dernier zeste de survie et d'orgueil, le Transalpin parvient à se hisser à la hauteur du Breton comme pour lui suggérer "Tu vois, je suis encore et toujours là !". Vexé, fouetté dans son amour propre, le "Blaireau" pose alors une mine incandescent et séismique du feu de dieu qui arrache littéralement le macadam. Ahuri, l'Italien est sur les fesses, dépité, cassé, planté sur place. Les yeux hagards fixés sur les hauteurs de l'horrible montagne, il aperçoit plus qu'il ne voit l'ombre du vautour géant qui s'envole irrésistiblement et définitivement vers les sommets de la gloire irisée. Bernard HInault pugnace et volontaire poursuit son travail de démolition en appuyant encore un peu plus fort sur les pédales. L'écart est impressionnant en si peu d'hectomètres. Au sommet, trente trois secondes séparent le Français de l'Italien qui s'est, tout de même, refait une petite mais vaine santé. La descente vertigineuse, appréhendée avec prudence et sérénité n'est plus qu'une formalité pour un funambule de la trempe du "Blaireau". La chevauchée triomphale du Breton en direction de Sallanches et de l'arrivée sera rythmée par l'enthousiasme communicatif d'une foule en délire scandant le patronyme du héros de tout un peuple à l'unisson. Tous ceux présents sur le parcours ce jour là, conservent à n'en pas douter l'émotion à fleur de peau dès qu'on leur remémore ces instants d'anthologie. L’émotion affichée par un Bernard Vallet en sanglots, qui abandonnera lors du dernier tour à seul fin de suivre l’arrivée triomphale de son leader, commentant l’arrivée du « Blaireau » en direct restera une image forte de cette journée unique pour tous les amoureux du cyclisme de l’hexagone.

De mémoire de passionné, je n'ai jamais assisté, à ce jour, à pareille démonstration de puissance, de persévérance et de sérénité. Jamais, non plus, je n'ai connu un coureur armé d'autant de certitudes et de confiance en soi, en son potentiel physique et mentale, que le "Blaireau". En une année, entre la "Doyenne" 80 et l'"Enfer" 81, Bernard Hinault aura montré toutes les facettes d'un talent à nul autre pareil. J'ajouterai les "Nations 84" pour clore le chapitre des succès du "Blaireau" qui, pour moi, demeureront à jamais gravés dans ma mémoire.

Pou la petite histoire, Giambattista Baronchelli terminera second à un peu plus d’une minute du Breton, l’Espagnol Juan Fernandez s’adjugeant, pour sa part, la médaille de bronze à plus de quatre minutes du nouveau Champion du Monde. Quinze rescapés franchiront, finalement, la ligne d’arrivée, exténués mais heureux et fiers d’avoir eu l’opportunité de dompter un tel circuit.

Michel Crepel

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Exact François, merci ! Le problème avec moi c'est que j'ai un mal fou à me relire et je ne trouve personne (je ne cherche pas non plus, d'ailleurs) pour le faire. Car comme tu le sais, parfois on peut se relire cent fois et ne pas s'apercevoir des fautes orthographiques ou de synthaxe que l'on fait. C'est comme les "bouquins", les "gus" te prennent 7euros la page. Imagines mon dernier livre faisait Plus de 500 pages ! 😉

 

Que deviens tu, à propos !

 

Amitiés

 

Michel 

 

 

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on te pardonne Michel,tant la plume est riche.Je crois que cette journée restera pour moi le plus beau souvenir jour cycliste de ma vie.Dire de Sallanches;j'y etais;donne un e petite idée du spectacle grandiose auquel les présents ont assisté;et quand on aime le cyclisme on se rend vite compte que l exploit de ce jour là marque une des plus belles pages que le cyclisme nous ai donné

Hinault afait plus que rentrer dans la legende;il est devenu la legende meme alors qu'il est toujours vivant et bien portant.Je n'aimais pas trop l'homme qui avait le langage de bois quand sa tactique ne se realisait pas;mais j ai adoré le champion hors du commun que nous ayons eu la chance d'avoir et de voir.Ayant vécu l'apogée de MERCKX juste avant celle de HINAULT,je pense que toute notre generation a été sublimée par ces 2 champions hors normes

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En effet, "Claudio" même si pour mapart j'ai connu le crépuscule du "Campionissimo", du "Boulanger de St Méen", l'avènement du prodige "Maître Jacques" et de son "farfadet", "Poupou" ainsi que celle du "Bergamasque" et de l'Espagnol de Mont de Marsan" sans omettre le "Lilliputien Belge" ...... Quelle époque !😉

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bien sur ;Louison BOBET était mon idole quand j avais 10 ans et meme apres et comme je l ai ecrit sur le forum,j ai eu l occasion de bavarder une vingtaine de minutes avec lui a quelques du championnat du monde a Reims je crois bien,ou seuml BALDINI finit de vant lui et apres arriva maitre Jacques et poupou.Nous avons vecu une epoque formidable et pas que dans le velo;ah les années 60!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Salut Michel,

Effectivement, on a beau se relire 100 fois et on laisse toujours passer des erreurs. Me concernant, lorsque je lis une version tirée sur papier, j'arrive à éliminer 95% des fautes que les relectures sur écran avaient laissé passer. Je crois que l'oeil ne perçoit pas la faute lorsque, au moment où on rédigeait, la concentration était focalisée sur autre chose. Comme si une sorte d'écho mémoriel désactivait l'attention au moment où l'oeil repasse dessus.

A part ça, c'est toujours compliqué pour moi : blessé depuis décembre 2012, j'ai fait 4 mois de vélo tranquille en 2013, et là je suis blessé à nouveau depuis novembre. Toutefois, ces derniers temps j'arrive à nouveau à rouler : 500 kms en avril, c'est byzance !!

Continue à nous régaler de tes récits !

Cordialement, FB.

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