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Eddy Merckx !


Michel CREPEL

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Ce soir Ă  19h15 sur http://www.radio51.tk/

 

 Eddy Merckx, un mythe est né : « Ronde Van Vlaanderen » 1969.


Ce dimanche de mars 1969, l'atmosphĂšre est Ă  la morositĂ©. Les conditions climatiques exĂ©crables laissent augurer, si ce n'est une journĂ©e de dupes, tout le moins une course des plus sĂ©lectives, Ăąpre et pour tout dire, contraignante Ă  souhait. La bise du Nord, glaciale et revĂȘche, tourbillonne aux faĂźtes des grands bouleaux qui ploient dangereusement. Le feuillage naissant frissonne ajoutant Ă  l'austĂ©ritĂ© ambiante une touche macabre. En outre, une pluie ininterrompue, mĂȘlĂ©e de neige fondue balaie l’assistance emmitouflĂ©e et promet, secrĂštement, aux flahutes un nivellement dĂ©mentiel par Ă©limination rĂ©dhibitoire. C'est dans ce climat de fin du monde que va s'Ă©lancer le Ronde Van Vlaanderen. Tous les artistes de la "petite reine" ont, nĂ©anmoins, rĂ©pondu prĂ©sent Ă  la grande kermesse Flandrienne, notoriĂ©tĂ© oblige.
Le jeune Eddy Merckx a tout juste vingt quatre ans lorsqu'il se présente au départ de l'épreuve mais tous ses adversaires présumés connaissent, déjà, sa boulimie de succÚs et son appétit de victoires à venir. Il est vrai que, nanti, à cet age, d'un titre de Champion du Monde (1967), d'un Giro (1968), d'un Paris Roubaix (1968), de trois "Primavera" (1966,67 et 69), d'une FlÚche Wallonne (1967) et d'un Gand Wevelgem (1967), le jouvenceau de Meensel-Kiezegem est, non seulement, en train d'ébaucher la saison la plus accomplie de sa jeune carriÚre, mais pire, d'inspirer une trouille innommable, insidieuse et irréversible à un peloton proche de la soumission.
La course, en fait, s'est dĂ©roulĂ©e en trois actes distincts. A l'approche de Rudderwoorde, tout d'abord, Ă  deux encablures de Courtrai, une chute dĂ©concertante dans son dĂ©roulement Ă©limine, prĂ©maturĂ©ment, un favori dĂ©clarĂ©, en la personne de Walter Godefroot. Le "Finisseur", pourtant rompu Ă  ce genre d'exercice, se trouvait, malencontreusement, Ă  ce moment lĂ , au beau milieu du peloton. La punition est immĂ©diate pour le Belge de Flandria. Elle se dessine sous la forme d’une vive accĂ©lĂ©ration, lĂ©gitime, des adversaires dĂ©clarĂ©s du futur ex-patron des T-Mobile. Un groupe d’une trentaine d’hommes se retrouvent, ainsi, au commandement d’une course qui est loin, trĂšs loin, d’avoir rendu son verdict. Tous les favoris, peu ou prou, figurent au sein de ce peloton rĂ©duit. Eddy Merckx, entourĂ© de sa garde rapprochĂ©e, Spruyt, Stevens et Van de Kerckhove, n’est pas le dernier, loin s’en faut, Ă  « visser la poignĂ©e ». Les compagnons d’échappĂ©e du futur « Cannibale » ne sont pas en reste et l’énoncĂ© de leur nom laisse subodorer, aux suiveurs de tout poil, que nul ne les reverra avant le final de Meerbeke. En effet, sont prĂ©sents, les Transalpins Gimondi, Bitossi, Basso, Adorni et Zilioli et les Français, Poulidor, Cadiou et Crepel (Philippe). Merckx n’a pas attendu le secteur des Monts pour jauger ses adversaires potentiels et c’est dans son style caractĂ©ristique, arc boutĂ© sur sa monture, que le Wallon se porte en tĂȘte du groupe afin d’imprimer un train d’enfer dans le but d’opĂ©rer un Ă©crĂ©mage en rĂšgle. S’ensuit une accalmie salvatrice pour une partie du groupe des fuyards qui, toutefois, n’inspire rien de positif aux membres prĂ©sents de la Faema. Le train de sĂ©nateur qui s’est instaurĂ©, depuis un moment dĂ©jĂ , rend les desseins vellĂ©itaires de Merckx plus qu’alĂ©atoires. Bravant la torpeur de l’assemblĂ©e prĂ©sente, le futur mythe de la « petite reine » porte une attaque du cĂŽtĂ© de Renaix, plus prĂ©cisĂ©ment au mont Cruche. Au Mur de Grammont le Belge voltige et n’aperçoit plus Ăąme qui vive dans sa roue, si ce n’est le coureur au « cƓur fou » Franco Bitossi dĂ©ambulant, dans un rictus cadavĂ©rique, Ă  une poignĂ©e de seconde au sommet du cauchemardesque « raidar Flandrien ». Dans le faux plat descendant, un regroupement partiel s’opĂšre, nĂ©anmoins. Outre, Bitossi, la colonie Italienne est prĂ©sente dans son ensemble ou presque. Le « Bergamasque » entraĂźne dans son sillage ses compĂšres Basso et Zilioli, le « Show man » fermant la marche. Cette situation nouvelle et inespĂ©rĂ©e gĂ©nĂšre une suave dĂ©lectation voir un soupçon de jouissance dans le camp, hilare pour la circonstance, Transalpin. Pensez donc, un Belge, fusse t’il Merckx, pris en tenaille au sein d’une squadra de feu 
 !
Les cinq roulent de concert et le Belge ne rechigne, nullement, Ă  la tĂąche et c’est un euphĂ©misme que de l’affirmer. Se prĂ©sente, alors, au lieu dit Vollezele, la bien nommĂ©e, un faux plat montant. Et alors, me direz vous, le Tour des Flandres regorge de ce genre de difficultĂ©s et ce n’est pas une rampe de plus 
exceptĂ© que le cap des deux cent bornes est depuis un moment, dĂ©jĂ , remisĂ© au profit et perte. HonnĂȘte joueur de ballon rond, Eddy Merckx, produit une accĂ©lĂ©ration anodine Ă  l’endroit mĂȘme, un stade municipal, oĂč des marmots galopent Ă  la poursuite d’un ballon capricieux. Tout un symbole. En rĂ©alitĂ©, le terme accĂ©lĂ©ration semble galvaudĂ©e, ici, changement de rythme serait plus appropriĂ© Ă  l’effet escomptĂ©. Toujours est il que celui-ci a pour consĂ©quence d’opĂ©rer un trou imperceptible, encore, mais inexorable, pour la suite. Les Italiens abasourdis par tant d’insolence se toisent, un instant, en « chien de faĂŻence » en maugrĂ©ant, dans leur patois latin, tout le mĂ©pris que leur inspirait le jeune prĂ©somptueux. Mal leur en prit, car au bout de cette interminable ligne droite, le jeune « pĂ©dant » pointait, dĂ©jĂ , avec vingt cinq secondes d’avance sans avoir, rĂ©ellement, donnĂ© l’impression d’ĂȘtre Ă  bloc. L’entreprise Ă©tait, tout de mĂȘme, osĂ©e. Le contre la montre par Ă©quipe qui s’ébranlait, tel un train en recherche dune vitesse de croisiĂšre, par les membres de la rĂ©sistance Italienne, aurait, Ă  un moment ou Ă  un autre, raison de pareille forfanterie. C’est en tout cas ce que Guillaume Driessens a subodorĂ© dans l’instant. Le « Directeur sportif - mentor - manager » du jeune Eddy, se porte, alors, Ă  sa hauteur au volant de sa 404 et se met, soudain, Ă  vilipender, vertement, l’insensĂ© coupable de ce coup de folie. La rĂ©ponse, de l’intĂ©ressĂ© fuse, tel un boomerang, Ă  l’encontre du jovial patron de la Faema, par l’entremise d’un bras d’honneur, du plus bel effet, que la dĂ©cence m’interdit de reproduire ici. Tant et si bien que Merckx poursuit son cavalier seul, faisant fi, par la mĂȘme occasion, des plus Ă©lĂ©mentaires rĂšgles de prudence.
Durant vingt cinq bornes, vent de face et malgrĂ© les averses incessantes qui perdurent et s’acharnent sur sa carcasse transie, le Bruxellois d’adoption, s’acharne Ă  maintenir l’écart Ă  une misĂ©rable minute. La qualitĂ© de l’opposition n’est, Ă©videmment, pas Ă©trangĂšre Ă  cet Ă©tat de fait. Enfin, passĂ© les longs bouts droits peu propices Ă  la dĂ©marche entreprise, la course bifurque Ă  Niederbrakel pour emprunter des portions de route plus favorables Ă  sa chevauchĂ©e suicidaire.
A ce moment lĂ , dĂ©chaĂźnĂ©, Eddy creuse un Ă©cart qui s’avĂ©rera, finalement, dĂ©terminant. En prenant connaissance des nouveaux Ă©carts, le train des « azzuris », passablement harassĂ©, prend, alors, un vĂ©ritable « coup de blues ».
La gamberge n’est pas bonne conseillĂšre et a pour effet de rendre irrĂ©mĂ©diable le simple vƓux ou le misĂ©rable espoir de revoir le maillot Faema avant Meerbeke.
Eddy Merckx, loin de toute cette philosophie latente, dominateur impitoyable, franchira la ligne d’arrivĂ©e plus de cinq minutes devant le « Bergamasque » qui avait faussĂ© compagnie, dans les derniers hectomĂštres, Ă  ses compagnons d’infortune. Ces derniers, afficheront un dĂ©bours de plus de huit minutes sur le hĂ©ros du jour. Pour la petite histoire, Marino Basso ne se formalisera pas en rĂ©glant Franco Bitossi au sprint.

Ce jour de 69 est nĂ©, vĂ©ritablement, le mythe et la lĂ©gende du « Roi Eddy ». Non seulement il a dĂ©montrĂ© une supĂ©rioritĂ© insolente vis-Ă -vis d’une opposition de tout premier ordre mais, en outre, il a eu le bon goĂ»t d’y inclure un ingrĂ©dient dĂ©terminant et pour tout dire incontournable, dont tous les amoureux et passionnĂ©s de la « petite reine » sont friands et avares, Ă  savoir le panache !
Cette saison 1969 le verra de surcroĂźt, Ă©crire la premiĂšre de ses cinq pages Tour de France avec, au passage, un trust unique de tous les classements mis en jeu. Il triomphera, en outre, lors de la premiĂšre de ses cinq « Doyenne » et inscrira son deuxiĂšme Gand Wevelgem Ă  un palmarĂšs, dĂ©jĂ , exceptionnel. Eddy Merckx terminera la saison en tĂȘte du classement Super Prestige Pernod, vĂ©ritable Championnat du Monde par points.

MIchel Crepel

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Pas de ma gĂ©nĂ©ration non plus Eddy Merckx, mais quel rĂ©cit captivant ! Cela remet ces hommes Ă  leur juste place, Ă  une Ă©poque oĂč les progrĂšs techniques et technologiques de toutes parts, et qui participent aux performances des coureurs d'aujourd'hui, voudraient presque dĂ©moder les performances de ceux d'hier.

Je me suis un peu intĂ©ressĂ© Ă  ce coureur, Ă  son palmarĂšs, en essayant de comprendre en quoi il Ă©tait exceptionnel. Les explications que j'ai trouvĂ©es m'ont surprises et appris : un meilleur coeur ? non. De meilleures jambes ? non plus. Un meilleur vĂ©lo, un meilleur entrainement ? encore ratĂ©. Non, d’aprĂšs ses contemporains, ce en quoi il Ă©tait exceptionnel, c'Ă©tait dans son abnĂ©gation, sa dĂ©termination, sa capacitĂ© Ă  supporter la douleur de l'effort, il savait aller encore plus loin que ses adversaires. Les limites mentales sont atteintes bien avant celles du corps. Question de survie d'ailleurs. Quand on regarde ce qu'a Ă©tĂ© la vie de certains grands hommes, mĂȘme en dehors du sport, reviennent souvent ces caractĂ©ristiques de tempĂ©rament. C'est bien le 3Ăšme levier Ă  travailler lorsque l'on veut progresser Ă  vĂ©lo, en plus des jambes et du coeur.

Merci pour ce post, Michel.

 

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