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Paris Tours la sixième merveille en décrépitude.


Michel CREPEL

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Conception et naissance et Tour de France 1903.

 

 

La naissance du Tour de France, il y a eu cent ans en 2003, fait partie intégrante des grands chantiers et défis du XXème siècle. A l'instar des "Grands Aventuriers" qui ont sillonné le globe de long en large et que les nouvelles technologies vont encore sublimer, le monde sportif, balbutiant en cette époque agitée, va s'ouvrir au renouveau des disciplines mythologiques ancestrales. L'exemple le plus notoire, car le plus emblématique, de cette nouvelle réalité en marche est le réveil, suite à des siècles d'hibernation, des prestigieux Jeux Olympiques. Le mouvement Olympique mondialisé et remis aux goûts du jour par le "Baron" Pierre de Coubertin, va imprégner, au sein d'une mouvance et d'une spirale irréversible, et ainsi engendrer des émules. Cette manne providentielle encensera les imaginations les plus fertiles, les plus audacieuses.

 

A l'orée du siècle dernier, le vélocipède, devenu bicyclette, est sur le point de subir une mutation à nulle autre pareille. Moyen de locomotion touchant toutes les couches sociales (Facteurs, médecins, prêtres, ouvriers, notables ...), ce nouvel artifice d'évolution et de déplacement est sur le point d’entraîner, pour ces précurseurs de l'"Embellie sportive», une réflexion et une attention de tous les instants. Profitant allègrement de l’énorme enthousiasme suscité par la renaissance des « Jeux », la « Petite Reine » va s’engouffrer dans la brèche béante afin d’opérer sa mue. De moyen de transport lambda, la bicyclette va dorénavant se transformer puis, après moult tergiversations, s’épanouir en formidable objet de compétition. Partout en France, on peut voir alors éclore les premières épreuves, dont certaines sont encore bien réelles aujourd’hui.

Toutes ces courses précaires voir austères, mais énormément prisées, souffraient, néanmoins, de leur brièveté.

 

Celles-ci étaient régentées et administrées par un journal, «L’Auto », qui avait à sa tête un fervent esthète des « missions nouvelles et impossibles ». Un jour de novembre 1902, un conciliabule eut lieu dans les locaux du quotidien entre le directeur, Henri Desgrange et son chef de rubrique « cyclisme » le bien nommé Géo Lefèvre. Ce bref échange donna ceci : « Aurais tu une idée ? … Pourquoi pas un Tour de la France cycliste ! … Une course de plusieurs jours, longue et plus dure que toutes celles qui existent déjà. Quelque chose comme les « Six Jours », mais sur route ! Pourtant, il est à noter qu’à cette époque « L’Auto » ne revendiquait aucunement le monopole de la bicyclette, le journal « Le Vélo », son grand rival, couvrait, en effet, pratiquement toutes les épreuves du calendrier. Affublé d’un tel « paquetage », l’inénarrable Henri Desgrange fomentait sa revanche. 

 

Cette dernière s’avérera, par la suite, éclatante car légendaire. Effectivement, l’idée qui avait germé puis éclos dans le crâne de Géo Lefèvre, devint, après maintes et maintes péripéties inhérentes à ce genre d’évènement, réalité en apparaissant à la « Une » dans la rubrique « Vélo » du quotidien « L’Auto ». Le Tour de France était né et ce même si toutes les conditions n’étaient pas encore réunies afin que la grande caravane s’ébranle sur les routes de France et de Navarre. Les grandes lignes trônaient, toutefois, en bonne place dans le journal et résumaient assez bien à quoi ressemblerait la future plus grande épreuve cycliste planétaire. L’épreuve se déroulerait sans l’assistance d’entraîneur et par addition des temps. Le lauréat de la course empocherait la coquette somme de 3000 Francs. Le peloton serait scindé en deux catégories bien distinctes : la première représentée par les coureurs effectuant tout le parcours qui seraient alors dignes de figurer au sein d’un classement général, la seconde comprendrait les « partiels » ou coureurs se contentant de participer aux étapes de leur choix.

 

Il était stipulé, d’autre part, que l’épreuve serait estivale et se déroulerait du 1er au 19 juillet. Les six étapes du parcours se disputeraient sur deux jours pour un total de 2428 kilomètres. Il était enfin hautement recommandé aux participants de « Vérifier les freins, veillez à ne pas faire trop de bruit lors de la traversée des villes ou villages, la nuit ». Chaque étape serait suivie d’une période de repos de plusieurs jours. L’idée avait germé, donc, puis mûrie, le décor était planté, restait désormais à définir quand l’épreuve allait avoir lieu. Les contemporains de cette glorieuse époque n’eurent pas longtemps à patienter puisque le départ de la première édition du Tour de France fut décrété pour le 1er juillet 1903.

Dès le baissé de fanion opéré par l’altier moustachu Georges Abran, secrétaire du journal « L’Auto » à l’occasion, les favoris se portent résolument en tête de peloton.

 

On peut à loisir reconnaître Léon Georget, surnommé le « Père Bol d’Or » voir « Gros Rouge » ou « Le Brutal » spécialiste émérite de la piste, Jean-Baptiste Fischer, « Le Montagnard » vainqueur de Paris Tours 1901,  Hyppolite Aucouturier, dit « Le Terrible » lauréat de Paris Roubaix et du « Derby » 1903 mais également l’incontournable vedette de la « Petite Reine », Maurice Garin. Ce dernier, natif de Arvier dans la Vallée d’Aoste et naturalisé en 1892 est le premier « fuoriclasse » du cyclisme. Surnommé le « Petit Ramoneur », en rapport au métier qu’il exerçait avant d’enfourcher un vélocipède, Maurice Garin se verra également affublé de pseudos tels « Le Petit Matelot » ou bien encore « Le Bouledogue Blanc ». Ses 162 centimètres et ses 60 kg expliquant sans doute cela. Mais Garin, c’est avant tout deux Paris Roubaix, un Bordeaux Paris, un Paris Brest Paris et nombres d’épreuves importantes ne figurant plus au calendrier aujourd’hui mais qui, au crépuscule du XIXème et à l’aube du XXème siècle, s’avéraient incontournables pour tous ceux qui espéraient, un jour, faire carrière et par voie de conséquence, être présent sur le Tour de France.

 

Le peloton, qui s’achemine à vive allure en direction de Melun, a depuis un moment déjà oublié le « Réveil Matin », Villeneuve St Georges et tous les falbalas inhérents à cette grande première pour ne se concentrer que sur la course et seulement sur elle. La poussière est omniprésente, lors du passage de ces guerriers des temps modernes, et le spectateur doit écarquiller les yeux pour, ne serait-ce, qu’apercevoir le veston blanc, le collant noir et la large casquette dont sont accoutrés les « cracks » du peloton qui caracolent, désormais, à l’avant de la course. Déjà, dans la côte de Draveil, « Le Boule Dogue Blanc » et « Gros Rouge » dans sa roue, étirent vigoureusement le peloton. Celui-ci est déjà passablement réduit à Fontainebleau lorsque les premiers abordent la côte de Saint Herem, lieu de contrôle, où une foule en liesse s’est entassée. Léon Georget est le premier à basculer au somment bientôt suivit d’Hyppolite Aucouturier, Maurice Garin, Louis Barbrel, l’italien Rodolfo Muller, Marcel Kerff, Jean Fischer et quelques autres. Au passage à Montargis, après 100 bornes de course, la sélection s’est opérée. On note déjà de nombreux abandons et une mise hors course.

 

En effet, sur le coup de 21h00 on apprend avec une certaine stupéfaction l’éviction de Fischer pour s’être volontairement abrité derrière un véhicule. A Nevers, seuls Maurice Garin et Emile Pagie, un adepte de Paris Roubaix, ouvrent la route. Nous sommes à mi-course, la nuit est bien avancée et pourtant le spectacle se situe dans la rue. Drapeaux, banderoles, guirlandes, lumignons à l’huile cadencent à l’unisson le passage des « saute ruisseau » fourbus. Georget passe douze minutes plus tard au contrôle puis Catteau dix minutes après, le trou est fait et c’est inexorable tant Garin apparaît serein et certain de son fait, de sa supériorité. Une heure du matin, Moulins, près de trois cent bornes ont été parcourues par le duo de tête qui franchit le point de contrôle où un ravitaillement frugal est à la disposition des coureurs. Georget accuse, désormais, un débours frisant le quart d’heure quant à Aucouturier, il navigue à une heure des fuyards.

 

Epuisé, le Commentryen s’affale in extenso sur une chaise, la tête blottie entre ses mains et pleure, victime d’un estomac à l’agonie. Après un s’être alimenté tant bien que mal, Hyppolite tentera de reprendre sa progression mais bâchera à Lapalisse, terrassé par la douleur. A quelques encablures de l’ancienne capitale des Gaules, Garin distance enfin son jeune compagnon de galère, le Tourquennois, Pagie. Sur le coup de neuf heures, quai de Vaise à Lyon, le clairon retentit et annonce l’arrivée de Maurice Garin. La viabilité du chronométrage voir du kilométrage n’étant pas ce qu’elle est aujourd’hui, la précision des données sera parfois sujet à polémiques surtout dans les cas de mise hors course. Toujours est-il que si Pagie terminera à une minute du héros du jour, Georget accusera, lui, un retard de 35 minutes et pour Pothier et Augereau, arrivé dans cet ordre, la punition avoisinera l’heure. « Le Petit Ramoneur » aura parcouru les 467 km de cette première étape à la moyenne de 26,450 km/h, soit environ 18 heures en selle. On notera dès cette première étape que les écarts, enregistrés à l’arrivée, sont stratosphériques. François Beaugendre, dixième à Lyon arrive plus de deux heures après Garin, René Salais, vingtième à six heures et Eugène Brange, bon dernier termine à vingt et une heure du Valdôtain.

 

Cette première étape fournira à Desgrange et Lefèvre des enseignements qu’ils n’imaginaient, bien évidemment, pas au départ de Paris. Ainsi, ils s’aperçurent que la moyenne de la course s’était avérée plus élevée que les prévisions les moins optimistes ce qui altéra tout naturellement la notion de fête à l’arrivée à Lyon sachant que Garin se présenta au bout de la dernière ligne droite en milieu de matinée. Après moult palabres, les organisateurs, hommes de consensus devant l’éternel, décidèrent après concertation que les coureurs quitteraient la cité Rhodanienne à 2h30, dans la nuit du 4 au 5 juillet pour arriver dans la ville Phocéenne à 16h30, 17h30 soit quatorze heures en selle voir plus.

Après deux jours et demi d’un repos salutaire, amplement mérité, les rescapés se présentaient sur la place Bellecour, lieu de départ de cette deuxième étape. Etape qui, après un crochet vers Saint Etienne et les monts du Forez, conduirait le peloton, par une chaleur caniculaire, le long de la vallée du Rhône sur des routes poudreuses à souhait. Pas de grands changements allaient intervenir lors de cette seconde levée. Aucouturier, qui avait abandonné à Moulins et qui ne figurera donc pas au classement général de cette première édition, mais qui était autorisé à participer à la suite de l’épreuve, remportera, à l’issue d’un sprint échevelé de toute beauté au cours duquel il prit le meilleur sur Georget, cette seconde étape.

 

Maurice Garin, en fin stratège, terminera quatrième à Marseille et conservera sa place de leader. Belle remontée de Georget, dorénavant dauphin à moins de neuf minutes du franco-italien. Henri Desgrange, de son bureau rue du faubourg Montmartre, avait délégué les pleins pouvoirs à Géo Lefèvre qui chaque jour résumait les situations de course à son patron. Les partiels à savoir, ceux qui avaient été éliminés au cours de l’épreuve, faussaient outrageusement la course, selon Desgrange. Cette situation avait le don d’ulcérer au plus haut point le « patron ». En effet, Aucouturier, débarrassé de toute pression, pouvait en toute quiétude et à loisir profiter d’un Georget, par exemple, pour remporter un succès de prestige à Marseille tout en favorisant les desseins de son comparse-complice fortement intéressé par une place au sommet de la hiérarchie du général. Lefèvre se retrouvait, durant les deux jours de repos dans la cité Phocéenne, abreuvé de réclamations plus légitimes les unes que les autres. Mettre sur pieds une telle entreprise n’est pas de tout repos, décidemment. Desgrange, de son côté, ne s’embarrassa pas de considérations superflues et tailla dans le vif les doléances intempestives des uns et des autres.

 

Il intima l’ordre de décaler l’ordre des départs à savoir, les partiels s’élanceraient une heure après les coursiers couvrant toute l’épreuve. Cela indisposa fortement, bien évidemment, les adversaires de Garin même si le propre frère de ce dernier, Ambroise, appartenait aux partiels. Henri Desgrange décida alors de faire ses valises afin d’assister à l’arrivée de Toulouse, terme de la troisième étape. Cette décision n’est pas étrangère au fait d’avoir changé de manière impromptue les règles édictées initialement. Il se donnait le droit de revenir à de meilleurs sentiments au cas où les nouvelles donnes soulèveraient des élans de mutinerie.

Le mercredi 8 juillet à 10h30 et 11h30, donc, la caravane de coureurs s’élance avec en point de mire la « Ville Rose ». Arles, Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne, Carcassonne et Castelnaudary seront les passages obligés pour espérer pouvoir poursuivre l’aventure. Aucouturier désabusé, dépité, mais l’est-il réellement, clame haut et fort, à qui veut l’entendre, qu’on ne l’y reprendrait plus et que s’il prenait finalement le départ de cette troisième étape, c’était uniquement pour ne pas être définitivement éliminé.

 

Garin, qui en a vu et connu d’autres, renifle l’intox à cent lieux et déclare au jeune Pothier qui s’interrogeait sur la situation qu’il fallait se méfier du « Terrible » qui tentait d’endormir l’adversité afin qu’on le laissa s’approprier une heure sans donner un coup de pédale superflus. Garin dirige de main de maître le groupe des « Tour complet » en direction de Nîmes. Derrière, Aucouturier épaulé par quatre compagnons seulement dont Pagie, complètement cuit, file bon train à tel point qu’il éparpille bientôt tout son monde aux quatre coins de la chaussée pour se retrouver seul. A l’avant, aux abords de la cité Cévenole, Jean Dargassies, l’enfant du pays, évalue mal un embranchement et emmène tout son monde, dont Garin, sur une mauvaise voie. Le « Forgeron de Grisolles », pour qui Garin vouait une confiance aveugle car étant de la région, constata bientôt son erreur et vociféra, à l’attention de l’ensemble du groupe, l’ordre à peine voilé de faire demi-tour. Ce qui fut fait prestement sous les jurons des coureurs lésés. Un quart d’heure de perdu bêtement pour le « Petit Matelot » sur « Le Terrible » qui, toute voile dehors, s’était rapproché à vingt-cinq minutes du groupe des « Tour complet ».

 

Ce dernier perd bientôt Emile Georget. Le Bosséen qui connut son jour de gloire en étant le premier coureur au sommet du Galibier en 1911, fut pris soudain de maux d’estomac terribles. Les intestins en compote, une chute et trois crevaisons auront raisons de son courage et de sa volonté de monter sur le podium à Paris. L’aurore surprend bientôt les premiers coureurs dans les vignobles du côté de Lunel. Le contrôle de Béziers, Garin, Pothier, Brange et le Belge « Samson » signent de concert la feuille de pointage. Kerff suit de près mais omet d’apposer sa signature. Aucouturier fringant apparaît alors trente minutes après les premiers arrivants. Il a repris, à cet instant de la course, une demi-heure au « Tour complet ». C’est un Georget agonisant qui se pointe à son tour, une heure après le groupe auquel il appartenait il n’y a pas si longtemps. Le groupe, qui est devenu quatuor depuis peu, de Maurice Garin poursuit sa progression traversant Narbonne, Carcassonne, Castelnaudary puis Villefranche de Lauragais où Garin apprend nanti d’une certaine délectation que « Le Terrible » aurait abandonné onze minutes du côté de Montpellier.

 

En revanche, on est sans nouvelle de Georget. A Toulouse, Eugène Brange s’impose devant Julien « Samson » Lootens et Maurice Garin. Un Garin qui fulmine de ne pas avoir passé la ligne en premier, lui, qui ouvre la route les trois quart du temps. Néanmoins, clairvoyant, le Parisien ne s’apitoie que succinctement sur son sort préférant et de loin se féliciter des deux heures emmagasinées suite au naufrage de Georget. Aucouturier arrive à son tour vingt-huit minutes après Brange et est donc déclaré vainqueur de l’étape ce qui n’affecte pas le moins du monde un « Petit Ramoneur » contrôlant parfaitement la situation. Après dix-huit heures et demie de selle sans discontinuer, il faut posséder un sacré gros moral et surtout une énorme confiance en soi pour appréhender avec une telle philosophie l’analyse d’une journée de galère pareille.

A mi-parcours et à la veille de s’élancer à l’assaut de la Gironde, vingt-cinq coureurs demeurent désormais en lice au sein du groupe des « Tour complet ».

 

Les abandons et ceux qui, par désinvolture ou suffisance, ont omis de signer la feuille de contrôle à Toulouse se retrouvent de fait reverser chez les partiels. Apparemment, les journées les plus éprouvantes ont été négociées par le peloton. Les 265 bornes de routes, plus aisées à appréhender, en direction de Bordeaux, ne devraient pas trop terrifier les rescapés de l’apocalypse. Ensuite la remontée sur Nantes puis la prise des entraîneurs apporte, ne serait-ce qu’au simple fait d’y songer, un peu de baume au cœur aux plus meurtris, aux plus désemparés des « saute ruisseau » encore en course. Ce samedi 11 juillet à 3h00 du matin, le café Sion est en effervescence. Le contrôle de départ vient d’ouvrir et un projectionniste officie en passant et repassant à satiété, à l’aide d’un drap blanc tendu à l’extrême pour la circonstance, les images sautillantes de l’arrivée des « gueules sales montés sur leur drôle de bécane » dans la « Ville Rose ». Nous étions aux prémices du cinématographe et une foule délirante se pressait dans et aux abords de l’estaminet ouvert pour l’occasion. L’enfant du pays, Jean Dargassies, celui-là même qui avait failli ruiner les espoirs de Maurice Garin quelques jours plus tôt du côté de Nîmes, était acclamé comme jamais par un public au bord de l’hystérie.

 

Cette notoriété nouvelle et les élans d’enthousiasme poussés à l’excès qu’elle engendrait, inquiétaient Lefèvre qui subodorait, à juste titre, la marge étroite qui existe entre enthousiasme et égarement. Peu avant les 100 bornes, du côté de Moissac, une chute se produisit dans le groupe de tête et jeta à terre, outre Garin, Georget, Pothier, Muller et Fischer. Ce malheureux contre temps, à défaut de geler et d’annihiler les velléités offensives des « Tour complet » eu, à l’inverse, le don de lancer la course. Ce sont précisément les cinq hommes sus cités qui parviendront à s’extraire du groupe pour s’envoler définitivement. Seul, « Samson » qui chassera longtemps derrière le quintette, rejoindra les audacieux cent bornes plus loin à La Réole. A l’arrière, chez les partiels, la même mésaventure se produisit. Mais les conséquences furent tout autres. En effet, après qu’un chien errant eu fauché le pauvre Maisonneuve, Aucouturier, qui n’avait toujours pas digéré l’épisode Marseillais et que le faisait savoir haut et fort, se retrouva à son tour affalé sur le macadam la jambe endolorie. Se relevant furax, il balança à l’intention du petit comité : « Et puis, merde ! J’en ai marre de toujours partir avec des culs de plomb ! ».

 

Il prit aussitôt le train pour Bordeaux. Bordeaux, le café du Petit Trianon attend ses héros. Il n’est pas loin de 14h00 et déjà le soleil au zénith crame les peaux les plus tendres. L’atmosphère est étouffante lorsque les six échappés se lancent dans un sprint débridé d’un autre âge. Un nuage de poussière embaume le groupe et bien malin celui qui désignera le vainqueur. Dans un premier temps, le chroniqueur Géo Lefèvre a cru apercevoir « Samson » franchir la ligne le premier. Or, certainement aveuglé par la poussière qui étendait son opacité sur toute la largeur de la chaussée et abusé par un angle de vue défavorable, le bras droit de Desgrange n’a pas vu ce roublard de Garin lui filer sous le nez, au grand désappointement d’un public qui, lui, avait assisté à toute la scène. Après avoir initialement déclaré la Belge vainqueur, il se ravisa sans tarder et rendit à « César-Garin » ce qui appartenait à Maurice à savoir, une deuxième victoire d’étape. Arrivé le 12 juillet, en début d’après-midi donc, le départ pour Nantes sera donné le lendemain 13, à 23h00. Aux abords de La Bastide, lieu où s’élancent bientôt les rescapés de cette première édition du Tour de France, les lampions et les illuminations diverses sont pléthores en ce 14 juillet 1903.

 

Garin relaxe se montre disert auprès d’Amigues, un officiel, adjoint de Lefèvre. L’enfant d’Arvier estime, avec raison, que cette étape longeant l’océan sera très sélective et que la progression des coursiers, en direction du nord, se fera péniblement à cause d’un vent tourbillonnant assassin. Il subodore sincèrement que cette quatrième levée sera sans conteste la plus cruelle pour des organismes déjà passablement entamés. Sitôt le baissé de fanion, Jean Fischer tente de prendre la poudre d’escampette. Pour se faire, L’allemand entreprend de fausser compagnie au peloton en négociant un sprint du plus bel effet. En pure perte, hélas, car après s’être, effectivement, isolé à l’avant de la course pendant un assez court instant, il se fit bientôt rejoindre puis happé par l’avant-garde du peloton dans laquelle Garin impérial, régentait les moindres faits et gestes de ses membres. Plus tard, la nuit est avancée et si noire qu’au détour d’une courbe le groupe, lancé à vive allure, ne peut qu’apercevoir un fardier niché au beau milieu de la route. La chute évitée de justesse déclenche toute fois les hostilités. Et c’est bien évidemment Garin qui s’y colle. Après une échauffourée plus qu’une estocade, le leader de l’épreuve emmène dans sa roue, Georget, Pothier, Muller, Augereau, Kerff, Fischer, Pasquier, Dargassies et l’immuable et bien nommé « Samson ». Tous les « cadors », donc.

 

Une attaque du Belge Kerff entame un peu plus la résistance de certains dont Georget, toujours en indélicatesse avec son estomac depuis Nîmes. « Samson » n’est pas au mieux. Pourtant, tout rentre dans l’ordre bientôt. A l’approche de Rochefort, lieu de contrôle, où une prime de 50 francs sera offerte lors d’un sprint intermédiaire, le groupe « Tour complet » est aux abois. En effet, tous sont intéressés et concentrés sur le gain de cette manne, cette offrande généreusement attribuée par l’organisation. Tous, excepté Garin qui, dans son coin, rumine un coup de Trafalgar dont il a le secret. L’emballage débute de manière tonitruante cinq bornes en amont de la ligne. Pure folie lorsqu’on imagine l’état de l’organisme des belligérants après autant d’heures de selle. Georget qui participe à l’opération dans un état second presque « comateux » réagit tel un automate. Au bout du rouleau le « Gros Rouge » qui laisse apparaître à la faveur d’un halo de lumière, une trogne aussi écarlate que son pseudo.

 

Augereau s’offre le sésame et Garin rentre en scène. Il se place alors en tête du groupe et  adopte un train d’enfer afin d’asphyxier ceux qui viennent de s’époumoner. A Rochefort, il fond sur la feuille de pointage, l’émarge, enfourche sa monture prestement et disparaît dans la nuit. Derrière, c’est la confusion. Tous s’arrachent le porte-plume ce qui génère un pugilat abracadabrantesque à la limite du burlesque. Finalement, seuls Pothier, la révélation, Augereau et Pasquier parviendront à rejoindre Garin au terme d’un « Barrachi » à trois qui laissera, néanmoins, des traces. Car devant, Maurice Garin, le nez dans le guidon, juché sur sa monture de 16 kg n’amuse pas le terrain, loin s’en faut.   Le quatuor constitué arrive à La Rochelle après 250 bornes de course. Il est huit heures à l’horloge de la mairie pavoisée pour la Fête Nationale. Pour l’occasion le Maire avait interdit le vélo en ville, ce jour-là. Sous une bronca assourdissante et après maintes palabres il se verra contraint de changer son fusil d’épaule et accepta finalement que la population puisse se rendre à bicyclette sur le passage du cortège poussiéreux et crotté des « Géants de la Route ».

 

Des dépêches émanant d’un peu partout dont Saintes annonçaient un Georget au bord de la rupture. On apprenait plus tard l’abandon définitif du « Père Bol d’Or » à Luçon. Georget, hors course, Pothier devient le dauphin de Garin. A l’avant, Augereau pioche et éprouve d’énormes difficultés à suivre l’allure soutenue de Garin, Pothier et Pasquier. Puis le Poitevin victime d’un nid-de-poule, décrochera définitivement. Sa paranoïa, ajouté à une grande lassitude, le rendant acariâtre, le futur lauréat du « Derby 1904 » s’en prendra nommément à ses trois compagnons de route, les accusant de s’être ligué contre lui. Dans un Nantes en folie, le trio se dispute une victoire emblématique sur la piste du vélodrome de la patrie de la Duchesse Anne de Bretagne. Maurice Garin manœuvre à merveille la concurrence et se joue de Pasquier dans le dernier virage pour s’adjuger son troisième bouquet. A sa descente de vélo, le Parisien se fend d’un : « A part Pothier, Pasquier, moi-même, plus Dargassies, Muller et Kerff, tous les autres sont vidés. Maintenant, c’est du tout cuit ! » Il n’est pas le seul à le penser.

 

Après quatre jours passés à l’hôtel « Les Voyageurs », les vingt rescapés du groupe « Tour complet » apprennent non sans stupéfaction la décision du « patron » de ne pas faire appel aux entraîneurs pour cette dernière étape. Décision, lu dans le journal « L’Auto » par les protagonistes de la course. Finalement, cela n’émeut personne ou presque. Maurice Garin à l’instar de ses congénères avait trouvé le temps long et avait hâte d’en terminer. Il mettait les quatre journées de repos forcé sur le compte d’une astuce malicieuse du « patron » Desgrange qui, fin stratège,  jubilerait si d’aventure son épreuve connaissait son épilogue, un dimanche dans la capitale. Sur la route d’Ancenis, le groupe restreint progresse à faible allure ce qui n’empêche aucunement les plus meurtris de déjà baisser pavillon. A 23h00, les premiers possèdent déjà une heure d’avance sur les premiers éclopés. A Tours, au lever du jour, puis Amboise, ils sont douze encore ensemble.

 

Tous les favoris sont présents excepté Dargassies qui traîne à l’arrière mais qui apparaît peu après frais comme un gardon. Les villes et villages sont traversés par un peloton bon enfant et Garin échange des courtoisies en compagnie de Pasquier ou Augereau. Rien à signaler lors du passage du groupe de douze à Chartres puis Rambouillet. A Versailles, Garin passe devant Augereau et « Samson ». A Ville d’Avray, la foule énorme a envahi tous les lieux propices à une bonne vision du  peloton. Il y en a partout, aux fenêtres, sur les toits, sur les arbres, les réverbères, ils sont venus en voiture, en train, à bicyclette, à cheval, c’est de la folie douce. Garin transporté par l’ambiance surréaliste fonce à corps perdu en direction de la banderole et la franchit, sous les « Allez Garin ! », dix seconde devant Augereau et « Samson ». Pendant ce temps lorsqu’au Parc des Princes on apprend par hauts parleurs la fuite en avant de Garin, un vrombissement empli l’enceinte copieusement garnie.

 

Des cris, des hurlements hystériques jonchent la route qui mène au Parc. Les gendarmes à cheval dressent des haies humaines afin de protéger la progression les coureurs. Du jamais vu, de mémoire de Parisien qui n’était évidemment pas nés en juillet 1789. Garin apparaît enfin sur la piste. Vêtu de son maillot blanc immaculé cerclé d’une écharpe tricolore. Des centaines de cyclistes l’escortent casquettes à la main agitant celles-ci avec frénésie. Ils hurlent à plein poumon des « Garin » de circonstance. Son fils s’est joint à cette manifestation d’allégresse et se tient désormais, cramponné à son vélo, derrière son héros de « papa ». C’est fini, Maurice Garin descend définitivement de sa monture. La foule a enfourché ou détruit les futiles barrières et s’est précipité en vociférant sur la piste en ciment entourant le « gladiateur » puis se refermant sur lui. Maurice Garin aura parcouru 2428 kms du tracé en 94 heures et 33 minutes et réalisé la moyenne de 26,450 km/h. Son dauphin René Pothier aura concédé 2 heures 49 minutes, Fernand Augereau, 4 heures 29 minutes, les autres bien plus loin.

 

En dehors de l’outrageante domination de Maurice Garin, on s’aperçoit, en parcourant le classement, que derrière les écarts entres les coureurs ne sont pas si abyssaux, ce qui amène à constater qu’outre le lauréat, tous les autres coureurs s’avèrent être très proches les uns des autres. C’est un gage de confiance et d’équité pour l’avenir. Le Tour de France est né et bien né, cela ne fait aucun doute dans l’esprit de Desgrange mais également des journalistes et du public. Des retouches seront nécessaires, bien évidemment, des règles beaucoup plus draconiennes  seront édictées à l’avenir, cela ne fait aucun doute mais l’ossature est plantée et les racines commencent imperceptiblement à pénétrer le terreau qui l’a vu naître ce 1 juillet 1903 pour devenir un siècle plus tard cet arbre robuste et fier aux branches feuillues et aux racines profondément ancrées dans notre sol.

 

 

 

Michel Crepel

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La révolution économique et industrielles qui battait son plein au crépuscule des années 1800 (1870) s'est prolongé à l'amorce du XXème et l'esprit des hommes, principalement à cette époque, était tourné vers la modernisation liée à la découverte de nouvelles technologies et de moyens de locomotions qui allaient, pour cette dernière, raccourcir de manière conséquente les distances et ranger définitivement au placard, ce bon vieux et fidèle "Dada" ! Ces utopistes aventuriers qui depuis 1896 bénéficiaient d'un engin en perpétuel gestation qui n'avait pas encore démontré toutes ses facettes de son pouvoir. Il existait bien depuis 1892 une épreuve outre  Quiévrain Liège Bastogne Liège ou bien encore Paris Roubaix et Paris Tours, depuis 1896, en France mais rien qui puisse donner un élan nouveau à cette découverte extraordinaire et révolutionner le monde, encore amorphe, du sport en général et du cyclisme par voie de conséquence. C'est de là, dans le crâne, de Géo Lefèvre qu'est né l'ébauche d'une idée qui allait devenir divine ! Rien à voir avec le fait de payer des coureurs pour alimenter les désirs de quelques milliardaires du pétrole en mal de reconnaissance ! Mais alors rien à voir, Alain ! 

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Je serai un menteur invétéré si je pensais que l'argent n'avait pas concrétisé cette lumineuse idée, mais le fric futur récolté découle d'une recherche fouillée et d'un accouchement souvent douloureux et non l'inverse. C'est cette esprit de compétition entres deux "canards" de l'époque qui a fait jaillir du cerveau d'un journaliste cette idée géniale pour l'époque, un peu à l'image d'un groupe de passionné qui, à la fin des années 40 sous la houlette d'un Pierre Sabbagh créait le premier journal télévisé juché dans une montgolfière qui chuta en cours de tournage. Pour l'anecdote, cette équipe de joyeux drilles se retrouva,suite à cette malencontreuse chute et l'incendie qui la provoqua, appréhendé par la maréchaussée. En effet, ces derniers accusèrent la mari de Catherine Langeais d'avoir volontairement mis le feu à la toile du ballon avec sa pipe pour faire le buzz ! Déjà !

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"Je serai un menteur invétéré si je pensais que l'argent n'avait pas concrétisé cette lumineuse idée, mais le fric futur récolté découle d'une recherche fouillée et d'un accouchement souvent douloureux et non l'inverse. C'est cette esprit de compétition entres deux "canards" de l'époque qui a fait jaillir du cerveau d'un journaliste cette idée géniale pour l'époque, un peu à l'image d'un groupe de passionné qui, à la fin des années 40 sous la houlette d'un Pierre Sabbagh créait le premier journal télévisé juché dans une montgolfière qui chuta en cours de tournage. Pour l'anecdote, cette équipe de joyeux drilles se retrouva,suite à cette malencontreuse chute et l'incendie qui la provoqua, appréhendé par la maréchaussée. En effet, ces derniers accusèrent la mari de Catherine Langeais d'avoir volontairement mis le feu à la toile du ballon avec sa pipe pour faire le buzz ! Déjà !"

Je sais tout ça, "Jojo", mais revient au but du post je te le réitère pour la millième fois ! D'ailleurs tu ne lis pas mes posts ou bien succinctement car les réponses à tes questions y figurent, il n'y a que toi pour ne pas les voir ! 

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L'idée, il l'avait, qu'importe dans quel canard il l'aurait exploité, c'est plutôt cela l'important, mon "Jojo" ! De tous temps des philanthropes ont aidé des gens qui possédaient un don inné pour la création et cela tout le fric du monde ne pourra pas l'acheter ! Géo ne l'aurait pas concrétisé avec Desgrange ? Il l'aurait offert sur un plateau à Pierre Giffard qui coulera son journal, cependant un an plus tard plus par le fait d'être un Dreyfusard invétéré qu'un réel danger pour son rival l'Auto !😉

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D'ailleurs, le fait même d'avoir créée  un tel "monstre" n'était pas gage de réussite pour autant car comme tu l'as précisé brièvement sans donner d'explication tangible, l'accouchement fut long et difficile et pas seulement lors des premières années.Il aura fallu à un Desgrange, par exemple, une sacré dose de courage, de motivation et d'abnégation pour amener son "bébé" de l'âge de la puberté à celui d'adulte. Ses (et non pas son concurrent) et bien d'autres instances, sans compter les "écolos" de l'époque, les mauvais coucheurs, les empêcheurs de tourner en rond, les Dreyfusards, les politiques ne se sont pas privés pour lui mettre des bâtons dans les roues ! A tel point que tous les ans il s'armait de l'adage "remettre l'ouvrage sur le métier" et repartait de plus belle au combat. Au diable entourloupe, clous et autres crevaisons intempestives et manifestations chocs, Desgrange usait de sa malice pour mettre à la raison tout ce petit monde de "pisse froid" et après sept longues années de galère, il eut un éclair de génie pas vraiment apprécié en son temps par les "saute ruisseau" ... et on les comprendra après ceci ...

 

Il était une fois ….. Il y a 100 ans ! Tour de France 1910

 

Tour de France 1910. Sept éditions se sont déjà déroulées et le moins que l'on puisse en dire, c'est qu'Henri Desgrange n'a cessé, tout au long de ces années écoulées, de tenter d'apporter des améliorations bonifiantes et de dénicher des nouveautés digne de cet évènement devenu, lors d'un laps de temps aussi restreint, incontournable. Il aura, néanmoins, été nécessaire au "boss" de faire étalage de toute sa force de caractère et d'une abnégation et d'une persuasion sans borne pour faire perdurer une œuvre que certains de ses détracteurs les plus féroces, malveillants de surcroît, ne se contentant plus de critiques loyales et constructives, prenaient un malin plaisir d'honorer de leurs bassesses les plus immondes. En effet, ces derniers n'hésitant plus à s'attaquer à l'épreuve elle-même, lors de son évolution. Chacun garde en mémoire les agressions à l'encontre de nombreux coureurs et les manifestations de Nîmes, dès 1904. Ces incidents (sic) génèreront in extenso l'abandon des inscriptions étape par étape. Lors de l'exercice 1905, des clous parsemaient le parcours et des sabotages ponctuels, souvent ciblés voir pervers donnaient à la course un air de "Chevauchée Héroïque", chère au régiment du 4ème Hussards, qui sévit en juin 1940. Pourtant, Desgrange et ses acolytes poursuivaient inlassablement mais non aveuglément leurs innovations en élargissant, tout d'abord, le périmètre de jeu de l'épreuve. Ainsi, les Vosges coiffées du Ballon d'Alsace, les Alpes agrémentés de la côte de Laffrey, terrain d'entraînement de l'"Aigle de Vizille", et le col de Bayard s'invitaient à la kermesse dès 1905. En 1906, la flamme rouge simulant le dernier kilomètre était créée, le premier départ différé, instauré (Lille à Douai), et enfin le premier passage du peloton hors de nos frontière, franchit (Metz en Allemagne). Suivra la Suisse, l'année suivante. En 1907, toujours, apparaît le premier véhicule de dépannage et l'escalade du col de Porte. Enfin, lors des deux dernières éditions, on assiste à une évolution des vélos tels les pneus démontables, à la créations des équipes (avec obligation d'user de la même monture du départ à l'arrivée) et pour la petite histoire, à la première victoire étrangère de l'histoire de la Grande Boucle à savoir, le Luxembourgeois François Fabert, lauréat en 1909. 1910 n'allait, sur ce point, nullement déroger à la règle surtout à l'orée d'une nouvelle décennie.

L'idée saugrenue à l'époque de s'attaquer au massif Pyrénéen trotte dans l'esprit de certains collaborateurs du "Boss" mais l'aventure paraît tellement rocambolesque que le seul fait de ruminer cette burlesque entreprise taraude et finit par se noyer dans l'imaginaire de ces derniers. En réalité tous excepté un, Alphonse Steines. L'avantage de Steines se situe dans sa fonction au journal "L'Auto". Plus proche de Desgrange que ses condisciples, il s'avère être le seul à pouvoir peaufiner, élaborer et réaliser pareil galère ébouriffante. Surtout le seul à parvenir à le faire admettre au patron du Tour de France. La première réaction de celui-ci fut un "Steines, vous devenez fou !" des plus sibyllins. Enigmatique s'il en est, l'exclamation de Desgrange pousse, néanmoins, Steines à organiser quelques jours plus tard une reconnaissance en bonne et due forme des Pyrénées. A peine arrivé dans le Béarn, il soudoie le responsable des Ponts et chaussées Palois en lui promettant, monts et merveilles si d'aventure ce dernier remettait en état la route conduisant au sommet du col d'Aubisque. Nullement dépité, Steines, devenu pour l'occasion politicard de bas étage, s'entêta à vouloir  maintenant entreprendre une reconnaissance du Tourmalet. Acheminé de Ste Marie de Campan en voiture avec chauffeur, tous deux sont bientôt surpris par la nuit. A quatre bornes du sommet, un blizzard naissant enrobe les cimes voisines. Aucunement découragé et malgré les supplications d'un chauffeur empreint de couardise refusant catégoriquement de poursuivre, Alphonse Steines s'offrit alors une randonnée pédestre du plus bel effet. Intrépide et un soupçon suicidaire, inconscient de la réalité de l'instant, Steines frigorifié franchit le Tourmalet  tel un fantôme déraciné et parvient non sans peine à rejoindre Barèges quelques lieues en aval du sommet. Il est alors trois heures du matin. Le lendemain, il adresse un télégramme à Henri Desgrange : "Passé Tourmalet. Très bonne route. Parfaitement praticable. Steines". Après que le "Boss" eu dévoilé les tours et contours de cette huitième édition, nombre de coursiers partis en reconnaissance des nouveautés revinrent effarés et même horrifiés à la vue de ce qu'ils venaient de découvrir. La conséquence d'une telle démarche s'avèrera cinglante pour Desgrange et compagnie. Effectivement, une quarantaine de ces éclaireurs consciencieux mais dépités renoncèrent à s'aligner au départ sur la place de la Concorde, trois mois plus tard.

En l'absence de Maurice Garin, atteint par la limite d'âge et de René Pottier disparu prématurément peu après son triomphe de 1906, victime d'un geste insensé et demeuré inexpliqué (on le retrouvera, un matin de janvier 1907 pendu au crochet sur lequel le Morétains suspendait sa monture), tous les favoris seront présent en cette nuit du 3 juillet 2010. Malgré les défections des répulsifs "Steinistes", Henri Desgrange dispose, toutefois, d'un plateau de choix. Trois formations nommées les "groupés" regrouperont vingt-neuf "saute ruisseau", Alcyon, Le Globe et Legnano. Quatre-vingt-un coursiers, les "isolés" seront sous la férule d'Henri Menchon, soigneur en chef de la course s'il en est, et supervisés par ses soins. Tous les anciens lauréats de l'épreuve chère à Géo Lefèvre sont présents même Lucien Petit Breton qui, nanti d'une conviction de forcené en mal de liberté, vociférait à qui voulait l'entendre qu'on ne l'y reprendrait plus. L'homogénéité et le talent de l'équipe Alcyon inspire le respect et plus qu'un anxiogène, elle fait manifestement peur au reste du peloton. Le Luxembourgeois François Faber, Les Français Octave Lapize, Louis Trousselier et Gustave Garrigou ou le Belge Cyriel Van Hauwaert à laquelle appartiennent tous ces "cadors" y évoluent tels des poissons dans l'eau. Seule, sans doute, à pouvoir infléchir la tendance générale qui se dégage en faveur des "Alcyon", la puissance et l'expérience des "Legnano". Emmenés par un Lucien Petit Breton revanchard, un Emile Georget souvent placés rarement gagnant et un Jean Baptiste Dortignacq dont la fidélité et l'altruisme ne sont plus à louer, les "Italiens" ne seront certainement pas des proies aisées à maîtriser, amadouer à défaut de dompter voir d'asservir. Pour sa part, la formation "Le Globe" au sein de laquelle Henri Cornet, lauréat en 1904 fait figure d'ancêtre malgré ses 26 printemps, les espoirs reposeront, néanmoins, sur les frêles épaules de l'ambitieux Nordiste Charles Crupelandt. Enfin, au sein du conséquent groupe des "isolés", Jean Alavoine fait figure d'électron libre. Doté d'une machine poly multipliée, pédalier Tilhet conçu pour l'escalade des cols Pyrénéens, ce jeune Roubaisien de 22 ans, surnommé "Gars Jean", possède le talent inné d'un potentiel vainqueur du Tour de France. La firme Peugeot toujours en délicatesse avec la Grande Boucle perdure dans son entêtement à la snober. En revanche, le cyclisme est loin de s'endormir sur des lauriers chèrement acquis et poursuit sa quête d'embellissement en étendant son aura hors de nos frontières. Ainsi l'Algérie sera représentée par L'éminent Emile Godard, la Corse par l'affable Pierre Bordigoni et enfin l'Espagne par le Basque de la province de Biscaye, Vicente Blanco.

Le favori de cette 8ème édition, Octave Lapize sort de deux Paris Roubaix remportés avec classe et autorité. "Le Frisé", a tout juste 21 ans, apparaît tel un roc, trapu et musculeux. Petit par la taille, il compense cette relative faiblesse par une énergie irradiante. Sa déconvenue lors de l'exercice précédent qui l'avait vu bâché aux pieds des Alpes, victime d'un souci à la selle, n'est plus qu'un mauvais souvenir. A la veille du départ, il transpire la confiance et le clame haut et fort faisant fi des mauvais coucheurs l'adjurant à plus d'humilité. Et pour cause, "Tatave" était sourd. Dès l'entame de la course, l'enfant de Wattrelos, Charles Crupelandt, régional de l'étape en quelque sorte, s'offre une chevauchée solitaire digne des plus grands. Arrivé à Roubaix, vingt minutes devant le trio maître des Alcyon, Cyriel Van Hauwaert, Octave Lapize et François Faber, classe son homme. Après une journée de détente, le peloton prend la direction de Metz accompagné, tout au long de sa progression, par une pluie diluvienne. Toujours à son aise lorsque le sol boueux et collants ne fait qu'un avec sa monture, le "Géant de Colombe" virevolte. C'est un Faber ruisselant de la tête aux pieds que l'on voit apparaître au bout de la dernière ligne droite et franchir la ligne d'arrivée, sept minutes devant l'avant garde d'un peloton clairsemé où figurent Garrigou, Lapize et Hauwaert. A ce moment de la course, Faber (5 pts) occupe la première place au général devant ses compagnons de route et d'équipe, Lapize et Hauwaert (tous deux 6 pts). Les "Legnano", sous l'éteignoir depuis le départ de Roubaix, dont les velléités offensives sont systématiquement annihilées de manière despotique par des "Alcyon" en pleine réussite, vont enfin sortir de leur réserve par l'entremise du plus entêté de leur représentant mais le plus aguerri aussi à ce genre de joute, le "vieux guerrier" Bosséen Emile Georget. Adepte du "Derby" Georget se paie le luxe de devancer à Belfort, après l'ascension du Ballon d'Alsace, des hommes de la trempe du "Géant de Colombe", leader de l'épreuve et de l'"Homme Pendule", l'inénarrable Garrigou. François Faber, toujours aux aguets et un soupçon revanchard, s'impose au sprint à Lyon et conforte sa position au sommet de la hiérarchie de l'épreuve. La traversée des Alpes, agrémentée de l'ascension du col de Porte au sommet duquel Crupelandt passera en tête, sera un tantinet escamotée et Octave Lapize s'imposera à Grenoble devant Charles Crupelandt. Sur la route de Nice, la côte de Laffrey et le col de Bayard qui faisaient office de juge de paix ne seront pas mieux appréhendés que le col de Porte, l'avant-veille. Julien Maitron, de la formation "Le Globe" devancera finalement l'incontournable Crupelandt, toujours à son aise lorsque les pourcentages s'élèvent. Après que François Faber eu ajouté un troisième bouquet à son escarcelle de victoires d'étape, du côté de Nîmes et que Georges Paulmier de la formation "Le Globe" eu, pour sa part, ouvert son compte de succès à Perpignan, les rescapés fourbus de la nouvelle décennie s'apprêtent à vivre désormais l'apocalypse. En effet, les futurs "Forçats de la Route" incrédules, sceptiques, perplexes à l'extrême se trouvent désormais en position inconfortable de s'élancer corps et âme dans l'inconnu, dans la "quatrième dimension". Et ce sera l'enfer ! L'Enfer avec un grand E, de celui dont on ne revient jamais exempt de maux tel un pantin hagard, exsangue de tout son être.

Au soir de l'étape de Perpignan, le "Géant de Colombes" caracole toujours en tête de l'épreuve. Mais ses quinze points d'avance sur le "Frisé" ne le met nullement à l'abri, loin s'en faut, d'un retour musclé de ce dernier, autrement plus efficace lorsque les déclivités font rages. Maintenant, le plongeon dans l'inconnu relativise les données initiales et insinue le doute dans les esprits des plus audacieux. Pour la petite histoire, Lucien Petit Breton, le maître à tous, deux fois lauréat de la "Kermesse de Juillet", accidenté sur la route de Grenoble, a renoncé à poursuivre l'aventure. Il officie désormais pour le compte d'un quotidien où ses commentaires et analyses toujours pertinents feront, n'en doutons pas un seul instant, merveilles. Pour sa part, Gustave Garrigou, victime d'un déséquilibré notoire, s'est vautré assez sévèrement sur une route au revêtement des plus austères. Victimes de plaies et contusions multiples, l'"Homme Pendule" promène dorénavant son âme en peine au sein d'un peloton d'attardés. L'individu coupable de la détresse communicative du Vendéen s'était escrimé, nanti d'une dextérité frisant l'inconscience, à desserrer les contre-écrous de sa roue avant. Le résultat, ne faisait, bien évidemment et malheureusement, aucun doute quant à son issu.

La voiture balai avait fait son office tout au long de cette première partie d'épreuve, elle allait se montrer déterminante et bientôt indispensable désormais. Toutefois, Desgrange s'était  fait un plaisir de lui adjoindre un véhicule Peugeot qui évoluerait au sein du peloton afin d'y soustraire tous les resquilleurs et tricheurs invétérés, inhérents aux Tours et épreuves d'autrefois. Cette épée de Damoclès qui rôdait et était orchestré de main de maître par un certain J.C Sels, plus communément surnommé "Jules César", s'était avérée d'une efficacité absolument implacable, d'un pouvoir de dissuasion collégiale inouï. Les "Brûleurs de durs" à savoir, ceux qui, démotivés prenaient un malin plaisir à terminer l'étape confortablement lovés dans les sièges d'un train, avaient vécu. Quarante-huit coureurs ont à ce jour rendu les armes, soixante-trois demeurent donc aptes à poursuivre l'aventure et le long chemin de croix semé d'embûches qui les mènera en terre inconnue. Le malheureux Breton Georges Hélière, lui, n'aura pas cette chance de choisir cette option. Lors du repos à Noce, le Rennais fut victime d'une hydrocution alors qu'il prenait un bain sur la plage en face de l'Opéra. L'étape Perpignan Luchon, première étape Pyrénéenne empruntera les cols de Portel, de Port, de Portet d'Aspet et des Ares. Corsés mais pas rédhibitoires, elle fera office d'hors d'œuvre  au plat Gargantuesque, Pantagruélique qui attend de pieds fermes les "saute ruisseau" lors de la 10ème étape. Cette étape démontre, si besoin était, la supériorité indiscutable et indiscutée de "Tatave" dès que les pentes s'élèvent. Nanti d'une facilité déconcertante voir insolente, "Le Frisé" éparpille tout son monde au gré des virages et lacets les plus exigeants à appréhender. A Luchon, Lapize franchit la ligne dix-huit minutes devant Emile Georget, pourtant loin d'être un faire-valoir dans cette discipline atypique qu'est la montagne et ses chemins de chèvres. François Faber limite la casse avec un débours de vingt minutes, tout de même. Cela promet !

21 juillet 1910, à 3h30 du matin, les "Géants de la Route" se présentent, sous les ordres du stater, livides et paralysés par l'angoisse qui étreint tout homme au moment d'affronter le néant. La peur, l'anxiété que nombre d'autochtones, présents ce jour-là, eurent la divine chance de décrypter sur l'ingrat faciès de ces "gladiateurs des temps modernes", cette peur inavouable et insidieuse, née des reconnaissances, pour les uns, des commentaires peu engageants dispensés par les suiveurs ou journalistes de tous poils, pour les autres s'estompera, pensaient on, lors des premières rampes. Que nenni ! Déjà, durant la journée  de repos qui précède cette journée d'anthologie, cette journée où seront escaladés les quatre "géants" Pyrénéens, une énorme appréhension règne au sein même de la caravane. Desgrange et ses acolytes ne sont pas les moins angoissés d'entre eux, d'ailleurs. Le "boss" illustre adepte du "deus ex machina" bénéficiera de l'occasion unique d'avaliser cette maxime. Pourtant,  sujet à des angoisses chroniques, Desgrange est soudain pris d'une grande lassitude. Sans doute éreinté par son implication quasi perpétuelle depuis le départ de Paris ajouté à sa hantise d'un lendemain qui, de l’aveu de tous, s'avèrent des plus incertains, il n'en faut pas nécessairement plus pour que le "boss" craque. Il joint alors par téléphone, Victor Breyer, issu de son état-major demeuré à Paris et le prie instamment de venir le remplacer. Le "patron" prendra finalement quelques jours de repos à Luchon puis regagnera la capitale d'où il assistera à l'arrivée. Cette volte-face peu coutumière du personnage dénonce en fait un personnage assez énigmatique sur lequel je reviendrai par ailleurs. L'étrangeté du comportement dont il fait preuve à l'orée d'inaugurer l'un des monuments de sa carrière ainsi que du Tour de France à savoir, la première traversée des Pyrénées, laissera dubitatif, votre serviteur mais également nombre de témoins de l'époque. Contrairement à un Goddet, par exemple, véritable symbole du baroudeur acariâtre et opiniâtre qui précédaient sans cesse, animé d'une conviction peu commune, l'évènement qu'ils avaient érigé, souvent à la seule force de sa foi en la réussite et tout cela la plupart du temps contre vents et marées, Desgrange, pour sa part, avait tendance à le subir. Le premier tenait plus le rôle du pacha, proche de ses troupes, le second s'octroyant volontiers celui plus obscur de l'Amiral.

Peyresourde (1545 m), Aspin (1497 m), Tourmalet (2122 m) et Aubisque (1918 m), ces quatre "géants" sommeillent encore à cette heure avancée de la nuit.  Pourtant, quelque part on les subodore aux aguets tels des chats épiant et scrutant leurs proies avant de surgir et de les engloutir à jamais. Toujours est-il que la route qui s'élève en longs serpentins, Octave Lapize a pris la poudre d'escampette dès les premiers contreforts de Peyresourde. "Tatave" en pleine confiance s'est, en effet, extrait dès les premières pentes, abandonnant à leur triste sort ses compagnons de galère encore valides. Gustave Garrigou, tout juste remis de sa malencontreuse mésaventure provençale, résiste bon gré mal gré au prédateur Lapize, mieux même, l'Aveyronnais semble tenir la dragée haute à son leader déchaîné, quelques lacets en amont. Derrière, en revanche, c'est l'hallali. Le "Frisé", d'une efficacité implacable doublée d'une aisance frisant l'insolence, parviens à franchir les sommets de Peyresourde et d'Aspin seul en tête et plonge à la manière d'un funambule vers la vallée qui précède l'ascension de l'"ogre", synonyme de Tourmalet. Bientôt pourtant, « l’Homme Pendule », auteur d'une descente insensée souvent à la limite des trajectoires, parvient à rejoindre Lapize dans les premiers lacets du Tourmalet. On assiste alors à un mano a mano de grande classe entres deux phénomènes de la nature. Tout au long de la montée, chacun prend les commandes de la course à tour de rôle. Les pourcentages sont si impressionnants que le "Frisé" doit alterner course à pieds et séance de pédalage. C'est insoutenable. De son côté, l'ami Gustave, arc bouté sur sa monture s'est fait un devoir d'atteindre le sommet sans avoir été obligé de mettre pieds à terre. Une prime de 100 Francs lui sera octroyée pour cet exploit des plus singuliers. Son entêtement à vouloir demeurer sur sa "bécane" le handicapera aux abords du sommet où les pourcentages ahurissants le pénaliseront. Lapize passera seul au sommet du Tourmalet environ cinq cent mètres devant Garrigou. Le soleil est désormais à son zénith lorsque l'Aubisque apparaît majestueux. La chaleur accablante étreint maintenant les corps endoloris et la progression des coursiers devient de moins en moins efficace.

L'étape semble alors promise à l'un de ces deux hommes qui ouvrent la route et caracolent en tête depuis Peyresourde. Pourtant à mi pente de l'Aubisque, au détour d'un lacet, un homme débouche, seul au monde, pareil à un fantôme des Highlands de Stonehaven. Le coureur à l'aspect lourd et mastoc brutalise sa monture en ahanant puissamment au rythme de sa lourde pédalée. Il progresse très lentement et de guingois mais il progresse. Allongé de tout son long, pour ne pas dire couché sur sa bécane, l'homme a les yeux rivés sur la route et rien ni personne ne parviendra à le sortir de sa torpeur. Bientôt, il disparaîtra à la faveur d'un lacet. On apprendra, bien plus tard que le "zombie" en question n'est autre que le Bayonnais des "isolés", François Lafourcade. Ce dernier, surgit du "Diable Vauvert" s'était offert le luxe, dans un premier temps, de rejoindre Garrigou puis Lapize et dans un second temps, de les déposer sans autre forme de procès. Du bel ouvrage. Un quart d'heure plus tard, Lapize apparaît furax. A pied, affalé sur son vélo qui le maintien encore debout, Lapize vocifère à l'unisson : "Vous êtes des assassins ! Oui, des assassins !". "Tatave" est remonté comme une horloge Helvète et menace de tout laisser tomber dès son passage à Eaux-Bonnes. Gustave Garrigou occupe toujours une flatteuse troisième place, malgré les stigmates de sa chute qui se rappellent à son bon souvenir mais à des années-lumière de la tête de course. A Eaux-Bonnes, devenue point stratégique de l'étape en rapport aux humeurs belliqueuses du "Frisé", Lafourcade possède toujours un gros quart d'heure d'avance. Toutefois, emprunt à une grosse fatigue, il s'autorise un repos salvateur au cours duquel il abandonnera une partie de son pécule. La descente semble avoir ragaillardi le Montrougien de telle sorte qu'il ne tarde pas à rejoindre un Lafourcade défaillant. A Mauléon, la bien nommée, le "Frisé" abandonne le Basque à son triste sort et s'envole vers la cité de l'Adour. Entre temps, l'Italien Pierino Albini venant d'on ne sait trop où s'est joint au trio avant d'accompagner Lapize dans sa folle chevauchée. Alors que le duo de tête cravache en parfaite harmonie en direction de Bayonne, Lafourcade à l'agonie est bientôt rejoint par Trousselier et Fabert. Celui-ci, déjà victime de trois crevaisons s'en offrira encore deux autres aux abords des faubourgs de Bayonne. Bayonne, le fief, la ville de Lafourcade au cœur de laquelle, l'inconnu qui franchit seul le sommet de l'Aubisque au nez et à la barbe de tous les "cadors", recevra l'hommage du à son exploit insensé car nullement envisagé le matin, au départ de l'étape. A Bayonne, Lapize règle son compagnon d'échappée Albini lors d'une parodie de sprint qu'il domine outrageusement. Il faudra patienter dix minutes pour voir enfin Faber franchir la ligne devant Trousselier et un Lafourcade liquéfié. Charles Crupelandt, sixième, déboursera la bagatelle de trente-cinq minutes, Gustave Garrigou en pleine déroute, huitième, cinquante-six minutes. Un océan ! Puis défile Cyriel Van Hauwaert et Ernest Paul à une heure et vingt minutes, le premier, les freins cassés, le second, la fourche brisée. Emile Georget apparaît alors vingt minutes plus tard, six crevaisons à son actif alors qu'Henri Cornet, 36 piges et lauréat en 1904 pointera à quatre heures et trente minutes du héros de jour, Octave Lapize. Pendant que Lapize et consorts festoient et s'accordent un repos bien mérité, nombre de leurs congénères arpentent encore les flancs abrupts de l'Aubisque à la nuit tombée. Ils ne seront que quarante-six à franchir la ligne d'arrivée de Bayonne dont dix, les dix premiers arrivants donc, dans les délais impartis. Victor Breyer décidera de ne disqualifier aucun concurrent, même ceux qui ont rejoint la ligne d'arrivée en voiture. Toujours aussi furieux, Octave Lapize réitérera à l'infini son, devenu célèbre "Desgrange est bien un assassin !".

Au classement général, François Faber occupe toujours la première place, dix points devant Octave Lapize. Suivent, Hauwaert, Garrigou et Cruchon, ce dernier toujours leader des "isolés". Deux incidents vinrent perturbés et assombrir l'étape des Landes, Bayonne - Bordeaux. Tour d'abords, le vainqueur de l'étape, l'omniprésent Charles Crupelandt fut déclassé au profit de son dauphin, Ernest Paul. Les commissaires ayant jugé que le représentant de la formation "Le Globe" avait involontairement gêné celui des "isolés". Le second incident venait du fait qu'une grosse partie du peloton, dont les deux favoris Faber et Lapize, furent la proie d'énergumènes méprisables qui s'étaient ingéniés de parsemer la chaussée de clous et pointes de toutes natures. Entre Saint Vincent de Tyrosse et Dax les suiveurs assistèrent alors à un ballet effréné et échevelé de crevaisons à répétition. A Bordeaux, le "Frisé" avait tout de même réussit à grappiller trois points au "Géant de Colombes". Louis Trousselier s'adjugeait le sprint à Nantes devant Van Hauwaert, Garrigou et Lapize. Faber, renversé par un chien à la sortie de Marans abandonnera dans l'aventure onze minutes et des points précieux. A la veille du départ pour Brest, Faber ne dispose plus que d'un seul et misérable point d'avance sur Lapize. Garrigou gagnait à Brest, Lapize cinquième précédait encore un Faber mal en point depuis sa chute de Marans. Le "Frisé" passait le "Géant de Colombes" au classement général pour un malheureux point. Les deux étapes qui restaient à couvrir promettaient du spectacle. Il y en eu !

Brest - Caen, 424 kilomètres à parcourir, pas un de moins. IL est minuit lorsque Victor Breyer donne l'ordre aux rescapés de s'élancer dans la nuit. Profitant de cette dernière, Faber fausse compagnie au peloton et s'échappe sans demander son reste. La nuit est si noire qu'il faudra un certain moment aux protagonistes de la course pour s'apercevoir du subterfuge du Luxembourgeois. Parti pour, l'espère-t-il, un long raid, le "Grand" n'a jamais semblé aussi à l'aise sur sa monture et aussi résolu dans son esprit. Il fonce à travers la lande Bretonne dans le seul but de déboulonné Lapize de son piédestal provisoire. Son baroud d'honneur est désespéré mais pas nécessairement vain. A Morlaix franchit à vive allure vers deux heures du matin, Faber dispose d'un confortable matelas de dix minutes d'avance sur Lapize, Garrigou, Paul, Van Hauwaert, Albini et Saillot. Se relayant parfaitement, le groupe de poursuivants n'amuse pas le terrain, loin s'en faut. Pourtant, Faber à l'avant ne cède pas un pouce de terrain si ce n'est une minute à l'entrée de Guingamp. Malgré une poursuite effrénée, au paroxysme de l'effort, l'écart demeure inchangé lors de la traversée de Saint Brieuc. Faber peut encore rêvé légitimement à un renversement de situation. Hélas, peu après Lamballe, le groupe Lapize aperçoit soudain sur le bord de la route le malheureux Luxembourgeois dépité la chambre à air encore à la main, victime expiatoire d'une antépénultième crevaison. Deux cent bornes pour se voir ainsi rejoint, sans combattre, c'est affligeant, frustrant doit il marmonner en silence. A la sortie de Dinan c'est bientôt au tour de Van Hauwaert, le "poissard" de crever bientôt imiter par un Albini aux amples gestes communicatifs dénués de tout équivoque. Désormais, Lapize aidé, pour la circonstance de Garrigou, va tout faire pour décramponner Faber définitivement. Pour ce faire, les deux Français vont prendre un malin plaisir à harceler sans cesse le Luxembourgeois qui, démoralisé, éprouve de grandes difficultés à suivre le rythme endiablé et infernal de ses deux équipiers chez Alcyon. Faber plie mais ne rompt pas. Pourtant, à la faveur du raidard qui précède le lieu-dit Lartelly, Garrigou dépose une mine irradiante dont on ne se relève que rarement. Lapize se hisse dans la roue de l'Aveyronnais suivit un peu plus loin du courageux mais limité Ernest Paul, le propre demi-frère de Faber. Ce dernier, les yeux embués de larmes se cramponne tant bien que mal mais submergé par l'immense déception qui l'étreint de plus en plus finit par rendre les armes. Douze minutes à Granville, 23 à St Lô, l'inexorable est proche, la punition s'élèvera finalement à plus de 40 minutes à Caen.

A l'arrivée, le "Géant de Colombes" ne décolérait pas. Plus que la victoire de Lapize, le "Grand François" ne supportait la manière avec laquelle sa défaite fut précipitée. L'ingérence de ses deux équipiers Van Hauwaert et Carrigou dans le duel d'hommes que Faber, en personne, avait ébauché, l'insupportait au plus haut point. Il éprouvait une grande amertume qu'Alcyon ait favorisé les desseins tricolores plutôt que la déontologie à savoir, l'esprit d'équipe. Une grande frustration, en outre, car il demeurait persuadé qu'à armes égales, il aurait fini par terrasser le "Frisé". Il est évident que sans cette crevaison inopportune et malencontreuse, survenue au pire moment de sa progression, que serait advenu, alors, des chances de Lapize de rejoindre son adversaire du jour ? La réponse restera à jamais en suspens, sans aucun doute. Malgré sa déception, bien légitime, François Faber remet le couvert dans l'ultime étape, Caen - Paris. Trois bornes après le départ et le Luxembourgeois se projette à l'avant. Il emmène sur son porte bagage son "Frérot" Ernest Paul, le seul des trois à ne pas avoir roulé et précipité sa perte l'avant-veille, l'Italien Ernesto Azzini et Constant Menager. Le "Frangin" se donne sans compter à tel point qu'hormis Faber, le reste du groupe éprouve les pires difficultés à demeurer dans les roues. A ce moment de la course, personne, vraiment personne ne peut affirmer avec certitude qui, de Lapize ou de Faber triomphera à Paris. C'est une situation incroyable, irréelle dans ce qu'elle a d'insupportable pour les formations des protagonistes et de magique pour les suiveurs, organisateurs et spectateurs de tous bords. Le train d'enfer imprimé par Paul se poursuit mais les écarts stagnent. On subodore volontiers que le quatuor de tête se situe à la limite. A Saint Nom la Bretèche, Ernst Paul perce de l'avant et tous les minces espoirs insensés qui tenaient la patrie en haleine depuis le matin se dégonflent à l'image du pneu du "Frangin" puis s'envolent immuablement et définitivement. La messe est dite !

Ernesto Azzini remportera cette dernière étape devant Paul, Ménager, Faber terminera en roue libre à une minute et cinquante secondes de ses compagnons de galère. Lapize franchira l'ultime ligne en sixième position à un quart d'heure du "Grand François". Octave Lapize s'adjuge cette 8ème édition du Tour de France, aux forceps. Il terminera quatre points devant François Faber et Gustave Garrigou, ce bon Gustave qui, sans sa mésaventure Marseillaise nous aurait certainement gratifié d'un sprint à trois, se hisse sur la troisième marche du podium à vingt-trois points du "Frisé".

Une semaine plus tard, le 7 août, sera donné le départ du Tour de France réservé aux "indépendants". Quatorze étapes pour deux cents concurrents. La victoire reviendra au coureur de Chalon sur Marne, Guenot devant le Levalloisien Valotton. Le troisième a pour nom ............... Henri Pélissier.

 

Michel Crepel

 

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Mais personne n'était contre l'idée, d'ailleurs personne ô grand jamais n'est contre une idée lumineuse ! Non, ils la combattent avec acharnement, certes mais pour la bonne, la simple et la seule et unique raison qui soit à savoir, que l'idée, vois tu et bien elle ne provient pas de leur propre cerveau et ça, tu vois, c'est la pire chose qui puisse arriver à un ambitieux récalcitrant dépourvu d'idée ! Un peu comme les Qatari. Mais eux ne cherchent pas à avoir des idées, c'est fatiguant. Le pétrole ? Ce n'est même pas eux qui l'ont déniché, l'or noir, non eux ont profité que cette manne d'oseilles jaillissent du sol où ils sont nés et ça leur suffit pour ensuite acheter les idées d'autrui ! Elémentaire mon cher "Jojo" !😉

 

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Bonjour Michel, sur ton sujet initial, patrick chasse en aborde très bien les raisons et surtout vers quoi certains (VELON) veulent voir le cyclisme allé. Dans le TVELOBS N°6 (visible via facebook), il est abordé ce sujet et surtout pourquoi il y a eut aussi la remise des trophées après le tour d'abu dhabi. 

Pour résumé très rapidement et surtout sur ce sujet : on apprend que le tour d'abu dhabi est organisé par l'organisateur du tour d'italie (RCS SPORT), que cet organisateur est adoubé actuellement par VELON (union de 11 équipes pro qui veulent une ligue fermé). Que l'uci suit ce mouvement comme d'hab pour essayer de garder la main et qu'il y a une lutte qui se passe contre ASO et aussi la France qui ne veulent pas perdre leur pouvoir actuel.

Dernier point laché et qui fait flipper et abordé par tous le intervenants, c'est l'influence sur VELON qu'aurait Yohan Bruyneel. Je passe les présentations du monsieur.

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En effet, Yannick, ceci pourrait expliquer cela ! Merci, c'est fou ça, car Patrick se trouve dans mes amis Facebook et je l'ai zappé ! Concernant la Ligue fermée, évidemment, il en a été question et ce fut même un fil rouge durant des années, toutefois, ces rumeurs avaient tendance à s'estomper à l'instar de celles que certains dans le monde professionnel du football désiraient mettre en place avec les clubs les plus huppés à l'échelle Européenne. Mais maintenant que tu m'en parles, toutes les technologies qui apparaissent dans le peloton telles les caméras embarquées, les oreillettes maintenues etc ... tendent à confirmer que ces nouveautés ne sont pas créées pour amuser le lambda, ce serait une première mais à mon avis pour bénéficier, un jour ou l'autre, d'un retour sur investissement. Quelle manne de "blé", effectivement, pourrait rapporter un consortium d'une douzaine de formations cyclistes à gros budget, par exemple, aux mains d'individus qui en auraient le monopole et qui organiseraient au travers de la planète entière des épreuves dans lesquelles les dites équipes seraient en représentation pour la plus grande joie de milliers d'autocthones imperméables à la dépense à la manière d'un Barnum cher à Phineas Taylor aux "States". 😉

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En général quand une rumeur s'estompe ce n'est pas bon signe. C'est que les gens travaillent en sous main. Tinkoff qui parle beaucoup a commencé à lâcher pendant le TDF. Tu vas voir fleurir ses courses dans ses nouveaux pays. Comme par enchentement ce ne sont pas des pays à faible moyen mais ou l'argent est roi actuellement. Regarde la F1 ou le foot et tous ses mannes financières viennent du même endroit. Le vélo va vouloir des retombées rapides, ce que peut offrir ses nouveaux eldorado.

A ce rythme là les paris tour et consort vont avoir du mal. En plus d'attirer un second plateau, les complications administratives vont encore rajouté des difficultés aux organisateurs. C'est bien tistre

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Et pourquoi pas une demi-saison, durant l'hiver Européen sur ces continents tels l'Océanie, l'Afrique (Afrique du Sud) ainsi que le Moyen et Proche Orient et une autre correspondant à l'été Européen avec les trois Tours ! On remiserait, alors, les classiques dans le tiroir aux souvenirs pour les "gâteux" que nous sommes. 😉😃

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On va peut être y arriver. Pour l'instant beaucoup de classiques sont encore des monuments du cyclisme. Les équipes ne oeuvent pas s'en passer et surtout les coureurs. Quand tu gagnes milan san remo, les belges ou paris roubaix ça a vraiment de la gueule. Et beaucoup de monde le garde en mémoire. Espérons  qu'elles perdurent. 

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Je tente de me garder un peu d'espoir dans ce monde. C'est quand même excitant quand débute la campagne des classiques. L'arrivée de la période belge et de cette ambiance. J'espère que dans ce jeux de massacre d'histoire, tout ne passe pas à la trappe. En plus que d'histoire et de rebondissements avec ses courses.

Pour leur nouveau format exotique, tout se joue sur une bordure. Ce qui me fait peur c'est que le modèle choisi est la F1. Quand on voit ce qu'est devenue la F1 actuellement, c'est d'un ennuie. Tout se joue dans les stands. Tu me diras, les courses pro se joue dans les derniers km de plus en plus. Une échappée depuis le début de la course et à quelques km de la fin elle est mangée pour soit une attaque ou un sprint. Mais on a quelques rebondissements encore quand même.

Que d'espoir. Mais c'est sur qu'avec le temps, tes mythes ne seront pas les seuls au panthéon des courses ayant disparu. bien dommage.

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En effet, la F1 est devenue soporifique, un Senna doit faire des bonds de cabri dans son cercueil. Meilleure écurie synonyme de meilleure voiture, pôle et victoire au bout, aucunement nécessaire de détenir le meilleur pilote. La NBA fonctionne un peu comme cela mais en circuit fermé. Concernant, les "Légendes" du printemps, évidemment que je n'attends que cela pour m'enthousiasmer et ce même si les oreillettes sont une des causes et non des moindres de tous les maux actuels du cyclisme sur route, et non les épreuves de janvier, mois qui permettait, jadis, aux coursiers de préparer sereinement les échéances à venir, afin d'enchaîner une saison entière et non des bribes de celle-ci. En outre, cela permettait aux plus studieux d'entres eux de parfaire leur comportement sur la bécane en s'essayant parfois avec succès, aux "Six Jours" et au cyclocross, deux écoles pour funambules du macadam (Et accessoirement utile pour éviter les chutes en peloton). Mais comme dirait l'autre, il faut vivre avec son époque. Ben voyons, comme si nous ne le savions pas, nous baignons dedans ! Il y a vivre avec son temps et ne pas nécessairement en accepter tous les rouages, surtout lorsque ceux-ci nous conduisent tout droit dans le mur à l'image d'un bon nombre d'aspects de l'existence autre que le sport, bien atteint, cependant ! Souvent je me remémore cette citation, devenu maxime, de Charles Perrault dans "La Barbe Bleue", "Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ?" (Après qui se souvient de Charles Perrault ? C'est une autre histoire).😉

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