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Cumpleaños


Pierre ROMERO

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Récit d’un gâchis annoncé : Tour 1959.

 

 

"Abondance de biens ne nuit pas" n'appartient pas au patrimoine des adages les plus représentatifs de notre vieille France. Pour s'en convaincre, il n'est qu'à citer les épisodes les plus retentissants de l'histoire de notre nation. J'abandonne, volontiers, les faits historiques ou récents où les érudits sont légions, pour me consacrer essentiellement à la réalité sportive, en général, et cycliste en particulier. Les années 50 pour la France en rédemption, à l'instar des années 70 pour nos voisins d'Outre Quiévrain, représentent une période d'embellie vélocipédique à nulle autre pareille. Le potentiel Français apparaît inépuisable et l'hégémonie hexagonale, imperturbable et implacable, exercée en ces temps immémoriaux, génère un réel complexe vis à vis de nos voisins, adversaires mais néanmoins amis. La prétention suprême, un soupçon inavouable car démagogue, serait d'affirmer sans aucune concession qu'entre l'ère prolifique et majestueuse du "Campionissimo" et la période dorée et "Pantagruélique" du "Cannibale", nos "Gaulois" nous ont offert, certainement, les plus belles et glorieuses pages de notre légende. Il n'est point irrévérencieux pour les autres nations d'affirmer que la suprématie, affichée par nos compatriotes à l'échelon planétaire, s'est avérée envahissante voir blasphémante à plus d'un titre pour les ressortissants de ceux-ci.

 

Cette oppressive domination n'a, d'ailleurs, jamais été démentie par les protagonistes des pays concernés. Le Tour de France, authentique et significative vitrine du cyclisme mondial, s'apparente à un révélateur de l'état de santé du seul sport, peut-être, où se mêle, sans restriction aucune, tous les traits de caractères inhérent à l'existence du commun des mortels. L'épreuve chère à Henri Desgrange, adorée ou diffamée, demeure, encore aujourd'hui, le baromètre de l'entité de la discipline reine du siècle dernier. Toutes les éditions qui se sont déroulées entre les deux courants, teint d'hégémonisme et un brun totalitaire, n'auraient jamais dû échapper aux héritiers de Molière et de Voltaire. Les raisons invoquées sont multiples et alimentent débats et ressentiments belliqueux, de la part des belligérants de l'époque, mais en aucun cas, celles-ci n'émanent d'un quelconque élan patriotique primaire et ringuard. Après le triptyque 'homérique' du "Boulanger de St Méen", le triomphe non usurpé de "Walko" et l'éclosion "cutané" de "Maître Jacques",  les trois Grande Boucle suivante représentent, de mémoire de suiveur, le plus bel exemple de suicide collectif de l'histoire du cyclisme.

 

En outre, la préméditation de ce 'crime" absurde, n'a d'égale que la manière prémonitoire avec laquelle il a été ébauché, peaufiné puis réalisé. Nous vivions une époque mirifique où l'amoncellement de champions charismatiques indisposait plus qu'il n’enchanta certains censeurs invétérés. Ces "icônes" respectées et adulées généraient souvent des manifestations d'enthousiasmes et parfois même d'"amour" platonique, bien évidemment, mais indéniablement sincère. Toute cette liesse affective que le citoyen lambda ou nanti d'aujourd'hui serait à mille lieux d'assimiler voir de rééditer et encore moins de comprendre. Ces Champions qui s'invitaient au sein de nos foyers, même inopportunément, par l'entremise du poste à galène ou de la petite lucarne, étaient conviés promptement par ces hôtes bienveillants très respectueux des us et coutumes de ces "Géants de la Route", pour devenir des familiers incontournables. Affublés de surnoms, plus sulfureux et plus caricaturaux les uns que les autres, ils incarnaient, réellement, la tendance "People" de notre ère. En l'an 58, Marcel Bidot, l'"Ane bâté" du "Grand Fusil", s'était fourvoyé en élaborant et érigeant une formation tricolore des plus hétéroclites. Hormis l'impulsif Raphaël Geminiani répudié pour son élocution par trop éruptive et décalée, ce qui valut au grand ponte Bidot l'offrande d'un âne de chair et d'os, tous les coureurs, susceptibles de triompher à Paris, se retrouvaient au sein de l'équipe dirigé et administré par le Champenois de Saint Lyé.

 

Ce dernier, un soupçon amnésique, ce qui est des plus préjudiciables pour un meneur d'homme, a certainement oublié, mais le doute est permis, qu'avant d'être un sport d'équipe le vélo était, avant tout, une discipline individuelle et qu'affranchir ou associer des personnalités aussi disparates que le "Boulanger de St Méen", "Maîtres Jacques" et le "Surdoué" relève de la gageure voir de l'hérésie. Après le camouflet retentissant et prévisible essuyé lors de ce Tour 58, il récidivera, pourtant, la saison suivante et comme si cela ne suffisait pas, comme si son esprit embrumé n'avait pas encore saisi la méprise d'une telle ineptie, il adjoindra au trio, déjà convulsif, le goguenard et inénarrable "Grand Fusil" et sa gouaille caverneuse et entêtée. Un beau gâchis, en perspective, que ce Tour estampillé 1959. Les premières étapes sont pourtant rondement menées et les Tricolores trustent victoires d'étapes et maillots distinctifs. Des plaines d'Alsace aux contreforts Pyrénéens, le serpentin multicolore a séjourné dans le Nord, du côté de Roubaix, puis descendu, soudain, effleurant les côtes de la Manche pour une escale à Rouen, en l'honneur du maître de ces lieux, Jacques Anquetil. Après un bref survol de la Bretagne, le peloton longera dans sa totalité la côte Atlantique de Vendée à la frontière Ibérique.

 

Le "Basque Bondissant", Jean Graczyck et Robert Cazala se sont montrer à leur avantage et irrésistible, lors d'arrivées dans des cités aussi emblématiques et célèbres que Metz, Rennes et Roubaix. Le maillot jaune endimanche les épaules de Cazala et le vert se marie, à merveille, avec la pointe de vitesse de Darrigade. Quant à nos quatre mousquetaires, ils évoluent, à fleurets mouchetés, dans le confort ouaté et suave d'un peloton en goguette. Ayant banni, depuis belle lurette, la phrase devenu célèbre et "proverbiale" des personnages d'Alexandre Dumas, "Un pour tous, tous pour un", Anquetil, Bobet, Geminiani et Rivière s'épient sournoisement afin de démasquer le futur et providentiel D'Artagnan. Le 3 juillet, Bordeaux - Bayonne, est une journée particulière et festive, espère-t-il, pour le maillot vert, André Darrigade. "Dédé", en régional de l'étape, sort d’un peloton apathique à la poursuite de l'échappée matinale où figure le seul Marcel Queheuille de la formation régionale Ouest Sud-Ouest. Bientôt rejoint par son équiper Jean Graczyck, le "Basque Bondissant" est alors victime d'une terrible et soudaine défaillance qui l'irradie pour le compte. Attablé à la terrasse bondée d'un estaminet ventripotent, Darrigade reprendra doucettement ses esprits en attendant de se fondre discrètement dans le peloton qui file bon train, environ cinq minutes plus tard. Frustré et dépité, le Basque laissera les honneurs à son compatriote mais néanmoins adversaire du jour Marcel Queheuille, fêté, comme il se doit, en son antre Bayonnaise.

 

Nous abordons, maintenant, la quinzième étape alors que les positions au classement général demeure désespérément figées et que les favoris se toisent du regard mais ne se défient nullement à la «socquette" de peur d'y abandonner le duveteux, à défaut de plumes, capital confiance qui les habite encore. Pourtant, aujourd'hui, au pied de l'abominable, de l'exécrable, de l'implacable monstre Auvergnat, les masques vont nécessairement et inéluctablement choir. Le Puy de Dôme escaladé, à la pédale et en solitaire, atrophie, depuis un moment déjà, les panses noueuses des plus blindés. La "Sorcière aux dents vertes" rôde et frétille d'aise à l'idée de pouvoir enfin déverser sa chape de plomb empli d'angoisse sur l'incrédulité ambiante. Au petit matin, les coursiers pétrifiés entrevoient plus qu'ils ne contemplent le Volcan qui sommeille encore. Bientôt, celui-ci, libérera sa colère, longtemps refoulée, en inondant de sa lave brûlante et rougeoyante les plus tendres d'entre eux. C'est dans ce contexte d'effroi que nos coriaces guerriers se lancent à l'assaut de l'innommable. A ce jeu, l'"Aigle de Tolède" se montrera intraitable. A l'instar du "Campionissimo", ici même en 1952, le "Picador" atomisera la concurrence.

 

Fidèle à son déhanchement aérien, Federico Bahamontès, évolue dans des sphères rarement atteintes. Seuls avant lui, Fausto Coppi, donc, et peut être Charly Gaul ont dégagé autant d'aisance et de félicité lors d'une ascension aussi impitoyable que celle du Puy de Dôme. En état de grâce l'Espagnol rejette en douze bornes le pourtant voltigeur "Ange de la Montagne" à une minute et vingt-six secondes. Les autres, tous les autres sont logés à la portion congrue à trois minutes et plus du rapace des hautes cimes. La montagne d'Auvergne, toujours aussi élitiste venait d'accoucher d'un prétendant des plus sérieux et pour le moins fringuant à la victoire finale à Paris. Au général, l'Espagnol talonnait le maillot jaune, le Belge Jos Hoevenaers de quatre miséreuses secondes. Anquetil, le moins carbonisé des quatre, pointait à plus de cinq minutes et Rivière errait à sept minutes et trente secondes de l'"Homme de la Mancha". Quant à Bobet et "Gem", certainement atteint par la limite d'âge, tous deux végétaient dans le ventre mou d'un peloton soumis et éreinté. La journée, caniculaire en outre, avait occasionné des dégâts considérables au sein du peloton.

 

Une dizaine de coursiers arrivés hors délai avaient été repêchés par l'organisation, excepté René Privat qui, après le boulimique chasseur d'étapes, Roger Hassenforder et le "Taureau de Nay", la veille, rendait à son tour les armes.

La dix-septième étape entre St Etienne et Grenoble donnera lieu à un festival offensif de l'"Aigle" et de l'"Ange". En parfaite harmonie, le couple funambule des sommets s’hisse, alors, au firmament de l'extraordinaire. Jamais sans doute auparavant deux hommes n'étaient apparus aussi complices et assortis dans l'effort. Une communion de deux montagnards exceptionnels. Au soir de cette journée faste pour l'Espagnol, la messe était dite. Le Normand à plus de neuf minutes et le Stéphanois, toujours affectueusement couvé par le "Grand Fusil", "pays" oblige, plus loin encore, la stratégie de Marcel Bidot avait fait long feu.

L'inconcevable car irrationnel projet de réunir quatre "têtes de turc" pourtant du plus bel effet sous le même sceau atteindra le paroxysme du ridicule et du burlesque, le lendemain lors de l'escale en Italie. Cette dix-huitième étape, Lautaret - St Vincent est, en quelque sorte, l'étape de la consécration, pour le fier hidalgo, la marche triomphale, sans tapis rouge nuptial toutefois, direction, la capitale des Gaules. La fébrilité étreint, pourtant, le "Picador" ce matin-là. Tenace et insidieuse elle dégouline de tous les pores de sa peau devenue subitement et inexplicablement moite. La tension, inhabituelle pour lui, engendrée par un probable et inespéré couronnement, martèle le subconscient embrumé de l'"Aigle".

 

La veille les Français avaient entrepris de faire le dos rond et n'avaient pas bougé une oreille lors du show Gaul - Bahamontès. Démobilisés voir démoralisés, la hâte d'en finir au plus tôt les habitent depuis le Puy de Dôme, en fait. La correction infligée par le "Picador" ajouté à l'ambiance détestable qui règne, depuis le départ, au sein de la formation tricolore a anéanti toute possibilité et désir de rébellion chez nos représentants. En outre "Napoléon" membre du Centre Midi, leur vole la vedette. Homme autoritaire et hargneux, Henry Anglade, frais émoulu Champion de France, est connu et reconnu pour son instinct de chef et sa prédisposition à commander vertement ses camarades de classe. En outre la place de premier Français au sommet du Puy de Dôme, du gamin de Thionville, à tout juste trois minutes de l'Espagnol, a passablement agacé nos deux fleurons du chrono hexagonal. Après avoir escamoté le Galibier, les rescapés se dirigent, vers la deuxième difficulté de la journée, nantis de meilleures intentions. L'abandon de Louison Bobet survient lors de la montée de l'Iseran. La préméditation est de mise lorsque l'on apprend que "Gino le Pieux" a été aperçu au sommet de celui-ci.

 

Le "Boulanger de St Méen" et Gino Bartali, c'est une longue histoire d'"amour - haine" et les effusions sincères de ces retrouvailles rendront bouleversants et émouvants au possible les adieux définitifs au Tour de l'un de ces héros Breton les plus charismatiques. Lors de la plongée vertigineuse vers Val d'Isère, nos deux compères hispano-Luxembourgeois sublimes de volonté et de grâce la veille même, se retrouvent en très grandes difficultés. Piètres descendeurs, ils ont hérité du peu reluisant sobriquet de 'fer à repasser". Toujours est-il qu'ils sont décramponnés par un groupe de sept hommes où jouissent tous les autres favoris patentés. L'écart grandit à une vitesse astronomique pour atteindre bientôt les cinq minutes. Hors l'Auvergnat, le Stéphanois et le Normand, refusant obstinément la présence d'Anglade au sein du groupe, stoppe toute participation à l'échappée. C'est un enterrement en grande pompe, un sabordage en règle, un suicide collectif. Bahamontès et Gaul, soulagés, récupèrent les fuyards, un peu plus loin et tout ce beau monde s'attache, à présent, à escalader le Petit St Bernard au train. Après avoir basculés au sommet afin de rejoindre la vallée d'Aoste toute proche, le ciel s'est obscurci outrageusement et la pluie mêlée au vent tourbillonnant agresse les "sautes ruisseau" transi de froid.

 

A la faveur, de cette nouvelle situation de course, Gaul, Anglade, Saint, Baldini et le Germain Reitz prennent la poudre d'escampette dans l'espoir de rejoindre Gismondi et Christian sorti en éclaireur dans les derniers hectomètres du Petit St Bernard. Malgré la chaussée mouillée et glissante, notre quintette dévalent la pente à un train d'enfer et semblent ignorer les risques insensés qu'ils consentent à prendre, frisant par moment la limite de l'inconscience. Bahamontès, à l'arrière, isolé et perplexe s'escrime à ne pas perdre pied, la victoire est à ce prix. Anglade se retrouve même virtuellement maillot jaune à cet instant de la course alors qu'au départ le matin il accusait un retard de près de cinq minutes. Le "maillot Amarillo" apparaît fataliste et un poil résigné lorsque, soudain, surgit, comme par enchantement un train piloté par Jacques Anquetil, en personne, suivit comme son ombre de Roger Rivière, bien entendu. Les deux Français sont, en outre, accompagnés de Mahé, Branckart et Adrianssens. Le maillot jaune, un moment blanc comme un linceul, reprend, par la même occasion, couleurs, espoir et hargne. Ce nouveau groupe constitué écorne fortement l'écart précédent pour le réduire à l'état de misère.

 

Devant Baldini est revenu, telle une balle, sur les deux hommes de tête pour, finalement, les coiffer au poteau et remporter une étape rondement menée malgré le dédain du peloton à flatter, comme il se doit, un mythe tel le Galibier. Quarante-sept secondes plus tard, entouré de sa garde Prétorienne, le maillot jaune apparaît revigoré, un timide sourire aux lèvres et tout à la joie d'en avoir enfin terminé. Il faut bien avouer que notre "Picador" était passé par toutes les couleurs de l'arc en ciel durant cette étape piégeuse à souhait. Au soir de cette journée de dupes, Federico Bahamontès possède, dorénavant, quatre minutes d'avance sur Anglade, sept sur Mahé et neuf sur Anquetil. Quatre jours plus tard, et malgré une démonstration époustouflante de Roger Rivière, à Dijon, lors de l'ultime chrono où il laissera le Normand à plus d'une minute et trente secondes, l'Espagnol inscrira pour la première mais aussi la dernière fois son nom au palmarès d'une épreuve qu'il s'est évertué, tout au long de sa carrière, à honorer de sa présence, assortie d'exploits d'anthologie. Les quatre mousquetaires dépourvus du Gascon qui les auraient hissé au sommet de la hiérarchie de cette Grande Boucle, termineront l'épreuve, l'esprit empreint d'allégorie. Le gâchis enregistré et perpétré par un coutumier du fait a, toutefois, énormément amusé nos voisins. La fourberie à ses limites mais les Français, sur ce Tour 59, nous ont prouvé le contraire.

 

Le Tour de France, qui inaugurait les années "sixties", se préparait à consacrer par un succès garanti, comme il se doit, l'avènement inexorable, et souhaité par tous, de Roger Rivière. Hélas, le 10 juillet 1960, lors de la descente abrupte du Perjuret ... Les Tour de France des années 65 et 68 ont été remportés, haut la main, par ... Raymond Poulidor, dit "Poupou". Mais ce dernier, bon prince, a toujours été d'un altruisme rare et peu banal, tout au long de son interminable mais néanmoins glorieuse carrière. Aussi, s'est-il permis le luxe d'offrir gracieusement et sur un plateau d'argent, par-dessus le marché, ces deux éditions au "Bergamasque" et au "Batave à lunettes".

 

Michel Crepel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Merci Michel pour ce CR très pertinent sur la victoire de Federico cette année là. Tu fais état de grandes abondances des qualités françaises qui nous font cruellement défauts actuellement. Tu peux cependant comprendre que pour nous, alors jeunes españolitos déracinés et amoureux du vélo, tout cela nous apportait beaucoup de joie et de fierté.

Bonne continuation à toi.

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Mais non Michel je ne suis surtout pas de haute Corrèze Chiraquienne, je suis de la Haute-Vienne, les monts d'Ambazac , comme tu peux voir dans mon mini blog, je suis au pied de la côte la plus célèbre : Le Bois des Echelles

http://naturerandomontagne.blog4ever***/

et chez nous , à Limoges est née la CGT en 1895 http://www.boursedutravail-paris.fr/node/280

là aussi ça a bien changé, le syndicalisme est mort en France

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