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Trente ans déjà !


Michel CREPEL

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La cinquième levée du « Blaireau » : Tour 1985.

 

 

A l'aube de ce Tour 1985, le paysage du cyclisme ébauche une métamorphose qui s'avèrera avec le temps définitive car irréversible. L'arrivée de l'homme d'affaire, Bernard Tapie, dans le giron vélocipédique intrigue plus qu'il n'étonne ou agace. En fait, le futur patron de l'OM ne s'investit, nullement, en mécène assouvissant une quelconque passion de toujours, encore moins avec le farouche désir de contribuer à la glorieuse incertitude du sport. Absolument pas. Comme tout chef d'entreprise qui se respecte, Tapie enrôle, avec tambours et trompettes, les coureurs les plus emblématiques et les plus charismatiques du moment à savoir, Bernard Hinault et Greg Lemond et tel un gestionnaire voir un haut responsable de budgets prévisionnels, il programme leurs éventuels et futurs succès. Ainsi, s'est-il déjà autoproclamé, très officieusement cependant, directeur sportif de la Vie Claire, et en tant que tel, définit les contours et les destinées de la Grande Boucle 1985, trônant derrière son bureau directorial. Le "boss" ambitionne, alors, plus qu'il ne suggère une cinquième victoire du Breton avec le soutien inconditionnel de son plus dangereux adversaire mais néanmoins coéquipier Américain.

 

Il va sans dire, bien évidemment, que les rôles édictés, bien arbitrairement toutefois, s’inverseront, sereinement espère-t-il, lors du Tour 1986. Les états d'âmes légitimes, au demeurant, manifestés de Greg Lemond, suite à ces décisions, trouveront une énergique fin de non-recevoir. Tout ce sulfureux galimatias, orchestré de main de maître par ce nouveau "roi de l'entourloupe", n'aurait pu être envisagé sans la désaffection providentielle et "bénie" du Francilien Laurent Fignon, lauréat implacable et outrancier de l'édition précédente. Victime d'une tendinite récalcitrante de la cheville gauche depuis le début de la saison, l'"Intello", boitant bas, est contraint bien malgré lui de passer, incessamment, sur la table d'opération. Opéré au lendemain du Giro remporté âprement par le "Blaireau", son indisponibilité pourrait avoisinée les six mois, selon l'interprétation des chirurgiens. Ce malheureux et regrettable contre temps rend, par la même occasion, obsolète tout idée de revanche entre Bernard Hinault et son bourreau alité.

 

Une revanche rêvé, espéré et attendu par tout un peuple, en vain. Elle n'aura jamais lieu. Enfin, pour clore le chapitre, le pacte de non-agression défini par Tapie à l'attention des deux protagonistes de la Vie Claire s'avèrerait caduque si d'aventure le coureur favorisé, en l'occurrence le "Blaireau", fléchissait dangereusement voir inexorablement, lors des étapes montagneuses, par exemple. On peut en douter. Pour tenter d'asseoir, rapidement à défaut de définitivement, le rôle majeur prôné par le "Boss" à son intention, Bernard Hinault s'impose une entame de Tour tonitruante. Le frais émoulu vainqueur du Tour d'Italie, dégaine d'entrée, chez lui dans son Armorique natale à Plumelec, plus précisément, en s'adjugeant le prologue. Le "Blaireau" insatiable récidive, de manière plus ample cette fois, lors du long contre la montre Sarrebourg - Strasbourg, terme de la huitième étape. Ce jour-là, le Breton, intraitable et démoniaque, atomise l'adversité. Sur soixante-quinze bornes, les dégâts sont conséquents et n'engendre pas la mélancolie. L'Irlandais Stephen Roche, second et orfèvre de la discipline s'il en est, débourse la bagatelle de deux minutes et vingt seconde au lauréat du jour, ajoutez six secondes pour Charly Mottet, autre spécialiste de l'effort solitaire et quatorze secondes au compteur du jovial yankee Greg Lemond et vous aurez un aperçu de l'étendue et de l'onde de choc du séisme.

 

Les étapes de plaine de ce début de Tour échappèrent bizarrement aux cadors de l'emballage tels l'Irlandais Sean Kelly, le Belge Éric Vanderaerden et l'Italien Guido Bontempi, toujours placés, certes, mais jamais triomphants. Seuls le Belge Rudy Matthijs, par deux fois, et, à un degré moindre, le Français Francis Castaing réussirent à tirer leur épingle du jeu. Au soir de ce coup de force du "Blaireau" asséné avec maîtrise et autorité et à la veille de tutoyer les massifs Vosgiens et Jurassiens, ce dernier se prélasse sur un matelas conséquent de secondes. Nanti de plus de deux minutes et trente secondes d’avance sur son lieutenant « préféré », Greg Lemond, près de trois sur Sean Kelly et plus de trois minutes sur l'autre "diable vert" Stephen Roche, le fougueux gamin d'Yffiniac s'arroge le droit d'appréhender la suite des évènements avec une sérénité décuplée. Il est vrai que son appréhension légitime à la haute montagne s'était vue quelque peu atténuer par un pacte des plus naturels avec les Colombiens. Cet accord tacite, dont "Lucho" Herrera, Rafael Acevedo et Fabio Parra étaient les principaux protagonistes et "bénéficiaires", stipulait qu'aucun d'entre eux ne viendrait perturber les projets ambitieux du leader de la Vie Claire, en contrepartie, ce dernier promettait de favoriser les desseins des "Sud-Américain", concernant les victoires d'étape et le maillot à pois du meilleur grimpeur.

 

Finalement, tous les grimpeurs patentés furent logés à la même enseigne, y compris certains Espagnols. C'est ainsi que l'on pu assister à des "chevauchées" solitaires dignes des plus grands raids d'antan sans que cela nuise, le moins du monde, à la démarche et à la quête finale du "Blaireau". 

La traversée des Alpes se déroule comme l'avait prévu le rusé Breton et roublard Tapie. C'est un festival Colombien orchestré par le duo Herrera - Parra. "Lucho" à Morzine Avoriaz et "Fabio" à Lans en Vercors se sont mis à l'honneur et ont obtenu enfin les faveurs de communiqués "encensoirs" à la grande joie de radio- reporters exubérants dont l’enthousiasme communicatif faisait plaisir à voir. En outre, "Lucho" Herrera, se retrouve paré du maillot à pois comme prévu initialement. Tout baigne donc pour Bernard Hinault et ce n'est pas l'étape transitaire qui mène le peloton, par les monts du Forez, jusqu'à Saint Etienne, qui pourrait inverser une tendance des plus favorables pour lui. Hors, si l'attaque de Herrera, désireux d'asseoir un peu plus sa place en haut de la hiérarchie des escaladeurs, aurait pu et dû passer pour un fait de course des plus anodins, les conséquences qu'elle engendrera, auront une incidence certaine sur le suite des évènements.

 

Lors de la descente du Col de la Croix de Chabouret, l'enfant de Fusagasuga, englué dans son entreprise à consolider son maillot à pois, s'implique tellement imprudemment et impudemment qu'il est victime d'une chute spectaculaire. Le visage sanguinolent, le "poids plume" Colombien réussira, néanmoins, à remonter sur sa monture puis à terminer en solitaire. Le groupe des favoris où figure le maillot jaune se présente alors sur le cours Fauriel pour un sprint purement honorifique. La chute du "Blaireau" n'en sera que plus stupide. Le visage maculé de sang, le nez "éclaté", Bernard Hinault mettra quatre bonnes minutes à recouvrer ses esprits et franchir la ligne en compagnie des retardataires. Plus de peur que de mal, néanmoins. Classé dans le même temps que le groupe des favoris dont il faisait partie (la chute s'étant produit dans le dernier kilomètre), le Breton en fut quitte pour une grosse frayeur agrémentée de quelques contusions et ecchymoses superficielles. Luis Herrera, quant à lui, tout au bonheur d'avoir joué un tour pendable à ses adversaires montagnards, jouera les amnésiques invétérés. La victoire estompe tous les maux quel qu’ils soient, c'est bien connu. Pourtant, le lendemain, c'est avec une authentique fracture du nez que le "Blaireau" devra, dorénavant, composer. Des soucis respiratoires en haute altitude peuvent s'avérer rédhibitoires pour le Breton si d'aventure ses adversaires décèlent en lui le plus petit indice de fléchissement. Bernard Hinault en est conscient.

 

Après le "one man show" de l'Espagnol de service, Eduardo Chozas, auteur d'un raid majestueux aux confins du Massif Central, qui le verra arriver dix minutes devant le peloton à Aurillac, les rescapés de ce Tour 1985 se présentent, maintenant et pour trois jours interminables, devant le copieux massif Pyrénéen. Cette traversée sera un réel et véritable cauchemar pour le "Blaireau". L'étape de Luz Ardiden aurait pu lui être fatale si Paul Koechli en avait décidé autrement. En effet, derrière un Pedro Delgado des grands jours, le peloton a explosé tel un fruit mûr. Souffrant le martyr, Bernard Hinault voit s'enfuir des garçons aussi redoutables que Roche, Kelly, Chozas et Herrera entres autres. Ce dernier, longtemps au chevet du malade, l'abandonnera à son triste sort pour s'en aller titiller Delgado pour une victoire d'étape qu'il aurait sans problème acquise, abstraction faîte de son sens du devoir, envers le Français. Greg Lemond, pour sa part, dans les mêmes dispositions que le Colombien, à quitter le giron du "Blaireau" en difficulté et se situe quelque lacets plus haut en compagnie de Roche et Chozas qu'il surveille tel un équipier modèle et fidèle. Ceint d'une brume épaisse qui embaume les monts alentours, l'Américain gravit la pente à sa main en rongeant son frein une minute devant le maillot jaune.

 

Ces deux compagnons de route apparaissant, soudain, au bout du rouleau, le yankee ose une approche vers la voiture d'assistance de la Vie Claire. Lemond a des fourmis dans les guibolles et se sent apte à rejoindre la tête de course afin de s'adjuger l'étape à défaut d'autre chose. De cela, il en parle à Paul Koechli qui, furibard, lui adresse une fin de non-recevoir. Le conciliabule tourne court, le Suisse est sous les ordres, n'en déplaise au jeune présomptueux de Lakewood. "Je peux y aller ?" - "Non !". Le reste n'est que pure littérature. Pour la première fois, sans aucun doute, dans les annales du Tour de France un directeur sportif interdisait à un de ses coureurs de remporter le Tour à tout le moins de tenter de le gagner. A Luz Ardiden, Delgado parviendra à conserver un avantage substantiel sur un "Lucho" auteur d'un retour fulgurant. Greg Lemond résolu, contre son gré, à se fondre dans un groupe de poursuivants, franchira la banderole d'arrivée sur les talons de Sean Kelly à près de trois minutes de l'Espagnol de Ségovie. Le maillot jaune, dix-huitième, à plus de quatre minutes, s'en sortira à bon compte, finalement. Une réunion extraordinaire se tiendra, le soir même de cette étape, sous l'égide de Bernard Tapie en personne. Ce dernier louera alors le courage et l'abnégation du "Blaireau" dans l'adversité tout en songeant, intérieurement, que l'impact d'une cinquième victoire sur le Tour d'un Français serait plus porteur que l'hypothétique sacre d'un Américain. Convaincre le "Greg" ne fut certes pas chose aisée, mais lorsque l'on connaît le talent légendaire du "Boss" pour persuader un noir qu'il a les mêmes droits qu'un blanc ...

 

Les étapes suivantes truffées de cols et de montées assassines se dérouleront dans la plus parfaite duplicité. Stephen Roche, un moment dangereux, gagnera son étape au sommet de l'Aubisque et Luis Herrera veillera à ce que Bernard Hinault ne perde pas trop d'influx et de temps en l'accompagnant le plus loin possible. La boucle était bouclée. Même Greg Lemond, bredouille jusqu'ici, aura l'occasion de s'offrir un bouquet en s'adjugeant le dernier chrono de ce Tour, cinq misérables secondes devant le futur second quintuple vainqueur de la Grande Boucle. Bernard Tapie, parfait candide des choses du vélo mais homme de compromis hors pair, remportait son pari. La Vie Claire s'assurait la victoire par équipe et les deux premières places du classement général et les Colombiens, véritables régulateurs de la haute montagne, sortaient de ce Tour auréolés de trois succès d'étape et  affublés du maillot de meilleur grimpeur. Ce coup d'essai se transformait en coup de maître et à partir de ce jour le Cyclisme et le Tour de France enregistra les premières prémices d'une mutation inéluctable car irréversible. Le Tour 86 confirmera, ô combien, cette tendance.

Que serait-il advenu, si d'aventure Greg Lemond s'était vu autorisé à jouer sa carte personnelle au cours de l'étape de Luz Ardiden ainsi que lors des étapes Pyrénéennes suivantes ?

 

A l'inverse, le "Blaireau" aurait-il eu les moyens de lutter en haute montagne sans sa blessure survenue lors de la chute de Saint Etienne ?

Ce n'est, certes, pas en écoutant, l'avis subjectif, des deux protagonistes de l'époque que nous aurons la réponse, mais plus sûrement en se persuadant que le cyclisme en général et le Tour de France en particulier regorgent d'anecdotes et de péripéties qui font que la Légende existe et perdure grâce à ce genre de situation indicible, partisane et inextricable.

 

 

Michel Crepel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Punaise déjà 30 ans. Nous ne sommes pas prêts de voir un autre Français gagner le TDF, ni un autre grand tour d'ailleurs. Le cyclisme pro est devenu trop mondial et trop soumis aux sponsors (laboratoires) .

Quand on voit tous les sports ULTRA qui deviennent des labos d'essais des marques plus ou moins honnêtes ça fait peur parfois.

 

Vive le sport familiale et touristique.

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