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L'"Enfer (1) 1995 de La Balle"


Michel CREPEL

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Hommage à « La Balle »

 

 

La malchance, Franco Ballerini en avait fait un moteur lorsqu'il était coureur à la lisière des années 80-90. Elle le rendait malheureux et chagrin et c'est souvent dépité et meurtri qu'il quittait la scène où celle-ci l'avait frappé malencontreusement ou bien insidieusement. Comme en cette année 1993 quand, les bras levés vers le ciel, on lui signifiait quelques instants plus tard que "Gibus" lui avait "volé" son rêve, son "Graal". Dominateur comme rarement tout au long de leur chevauchée en duo, Gilbert Duclos Lasalle n'avait du son salut qu'à cette hargne, cette abnégation qui caractérisait si bien le Béarnais. Dix fois, cent fois, il avait failli lâcher prise derrière la "grosse cylindrée" monstrueuse de puissance du Toscan qui avalait et digérait les "pavetons" nanti d'un appétit et d'une boulimie non feinte. Depuis le "Gitan", jamais je n'avais assisté à pareille domination que celle exercée par Franco Ballerini lors de tous les "Enfer du Nord" auxquels il participait. Sans cette malchance récalcitrante et les combines d'équipes auxquelles il appartenait, nul doute que son palmarès dans la "Reine des Classiques" aurait été tout autre. Cela vaut, également, pour Roger de Vlaeminck, bien évidemment. "Je ne reviendrai jamais !" Tels furent ses mots à sa descente de vélo.

Deux ans plus tard pourtant, en 1995, Franco Ballerini croit enfin connaître la forme de sa vie et tous, suiveurs, journalistes et coureurs en font leur favori au même titre qu'Andrei Tchmil, impérial l'année précédente sous l'apocalypse. En guise d'épreuve préparatoire, l'Italien de la formation Mapei, s'adjuge le Het Volk avec maestria et autorité rejetant ses futurs adversaires du week end Pascal, Edwig Van Hooydonck, Andrei Tchmil, Johan Museeuw et autres Wilfried Nelissen ou Peter Van Petegem aux rôles de comparses. Or, quatre jours avant la date fatidique, lors de Gand Wevelgem remportée par le Danois Lars Michaelsen, Franco Ballerini est victime, en compagnie de Johan Museeuw et du Canadien Steve Bauer, d'une lourde chute qui le laissera l'épaule très endolorie. Appréhender les pavés dans un tel état relève de l'utopie, entendons nous ici ou là. Museeuw, quant à lui, souffre du genou et se retrouve, bien malgré lui, sensiblement dans la même galère que l'Italien. Patrick Lefévère, qui se veut optimiste, le sait mieux que quiconque, "il n'y a que  trente pour cent de chances de le voir au départ de Compiègne. Cependant, mieux vaut pour nous un demi-ballerini que pas de Ballerini du tout !". C'est dire si le "boss" des Mapei avait foi en son coureur. Les favoris ou présumés tels pour la victoire sur le vélodrome sont peu ou prou les mêmes depuis l'aube des années 90. Seule la forme et la condition physique des uns et des autres permettent d'établir, bien arbitrairement toutefois, une hiérarchie. Si Andrei Tchmil apparaît encore plus costaud que lors de la dernière édition, où il s'était déjà montré impressionnant de puissance, Museeuw, lauréat du "Ronde" une semaine plus tôt et qui rêvait du doublé réalisé par le seul "Gitan" en 77, est dans l'expectative. Demeure les éternels "bouffeurs de pavés" que sont les Belges Johan Capiot, Wilfried Peeters, Jo Planckaert, Eric Vanderaerden, la cohorte Italienne, Fabio Baldato, Andrea Tafi, Stefano Zanini, Maximilian Sciandri ou Gianluca Bortolami, le Russe Vjatcheslav Ekimov, l'Allemand Olaf Ludwig voir les hexagonaux "Gibus" ou Frédéric Moncassin.

Après une sortie de cent trente bornes du côté de Courtrai, la veille du départ de Compiègne, France Ballerini se déclare apte, de même que le "Lion des Flandres". Lefévère peut enfin dormir. Ce "Paris Roubaix" 1996 fut limpide comme rarement. Une centaine de coureur s'extirpe en tête à la sortie de la "Trouée d'Arenberg". Celle-ci rendue rapide, mais pas moins dangereuse, du fait de conditions climatiques favorables a été appréhendée et franchie tout en puissance. Sur les longs bouts droits qui mènent à Templeuve, l'Allemand Bert Dietz fausse compagnie à la meute. Le Telekom se voit bientôt adjoindre Ekimov, le revenant Vanderaerden et le Mapei de service Tafi. Alors que la formation de Patrick Lefévère, en tête de peloton, accélère l'allure, Capiot, en vieux filou leur file sous le nez au lieu dit Seclin. Pas pour très longtemps, néanmoins. Le Belge se voit, en effet repris, par la patrouille composée de Bortolami et Ballerini, en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire. A Templeuve Johan Capiot chute et doit se contraindre à laisser filer le "baracchi" Transalpin lancé à toute vapeur. Le duo ne tarde pas à tomber sur le râble des quatre fuyards. Six coureurs en tête donc à ce moment de la course dont trois Italiens de la Mapei et quarante cinq secondes d'avance sur le gros de la troupe. A trente deux bornes du vélodrome, sur une anodine portion de pavés succédant à l'abominable laminoir de Templeuve, "La Balle" place une mine et s'envole. Bien protégé par Tafi et Bortolami, le Toscan avale le macadam à la manière d'un requin ses proies à savoir, un appétit " gargantuesque". Le festival Ballerini est en marche et personne, même pas la malchance, ne viendra contrarier la belle machine virevoltant de pavé en pavé à la manière de son idole, le "Cecco". Depuis Francesco Moser, effectivement,  rares ont été ceux ayant laissé une telle impression de puissance et de virtuosité et déjoué de manière cynique les pièges et rets de l'"Enfer".

Après six heures trente d'une course rondement menée, Franco Ballerini peut désormais donner libre cours à une joie non dissimulée. Il tenait enfin son "Graal" ! Tchmil et Museeuw, arrivés deux minutes après le héros du jour, complèteront un podium du plus bel effet. "C'est le plus beau jour de ma vie. Jamais jusqu'à aujourd'hui je n'ai oublié ma cruelle déception de 1993. J'aime Paris Roubaix et cette entrée sur le vélodrome est magique. C'est une chose réellement incroyable !" "Franco le Maudit" entrait de plein pied au Paradis.

Le Toscan remettra le couvert de façon encore plus "arrogante" en 1998, puis qu'il laissera son second Andrea Tafi à plus de quatre minutes, puis arrêtera la compétition pour devenir bientôt sélectionneur de la Squadra Azura. A l'image d'une "Joconde" bien née, Alfredo Binda, il se montrera aussi réaliste et pugnace que sur sa monture puisqu'il mènera au maillot irisé des "fluoriclasse" tels le "Roi Lion" Mario Cipolinni, le "Grillon" Paolo Bettini, deux fois et Alessandro Ballan.

Je le subodorai enfin épargné à jamais par la malchance .........................

 

Michel Crepel

 

 

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