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15 kms à lire ...


Christophe MASSIE

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J’arrive enfin à ce virage tant attendu. Un virage plein de promesses, de sensations nouvelles et dépaysantes qui prendront possession de tout mon être pendant 15kms. Il faut dire que ces 15kms, je les prépare depuis un moment.


Voici 40 jours que je m’échine à des exercices de force 2 fois par semaine.


D’abord de la force pure, en endurance. Des gros braquets  emmenés à 40 de cadence dans des pentes entre 7 et 9% qui ne font aucun cadeau à mes cuisses. Mais à chaque fois, je m’accroche, j’avance, je vais de poteau en maison pour fractionner la longévité de l’effort, dans cette lenteur caractéristique et si décourageante des exercices de force. Jusqu’au sommet, que je n’affronte jamais du regard trop tôt pour ne pas rendre les armes au milieu du combat. A chaque séance, 10 ascensions répétées.


Ensuite, lorsque ma sortie du week-end m’a fait comprendre que je grimpai mieux, plus vite, plus longtemps, je suis passé aux exercices de puissance. A peine différents. Cette fois-ci, je rajoute 4 dents, 10 tours/mn de cadence et 2kmh. Histoire d’ajouter à l’effort des jambes, celui du cœur et de la respiration et d’extraire de ma volonté une dose de courage supplémentaire.


Voilà, j’ai enduré tout ça 6 semaines durant, et maintenant, il est temps de tester ces nouvelles jambes. Mais pas n’importe où, ni n’importe quand. Hier soir, j’ai étudié ça de près. Après un coup d’œil rapide mais précis à la météo, je me mets au travail avec ma souris et Openrunner. Juste après le dîner, entrain de digérer mon si gouteux panais … et la plume acérée de Jean qui, d’un trait impitoyable, renvoya tous mes calculs diététiques au rang des choses inutiles. Oui mais tu vas voir Jean en quoi mon panais m’aura fait du bien …


Ca y est, le parcours est bouclé, 30 kms pas trop vallonnés pour l’échauffement, juste de quoi réveiller le moindre capillaire de mes bielles toutes neuves. Puis un quart de tour à droite, et commence la zone de test. 15kms plein nord avec petites côtes, plats, faux plats, dans les 2 sens, le banc d’essai idéal ... Le reste sera un retour tranquille qui fera tourner le compteur du jour jusqu’à 90kms. En fait non, je sais qu’il ne sera pas tranquille, mais peu importe, je n’y vais pas pour ça. La seule chose qui m’intéresse, ce sont ces 15kms.


La nuit fût brève. Je me lève à 7h00 songeant déjà à ce petit virage qui m’attend, l’estomac léger (toujours grâce à mon triste panais Jean). Je suis la seule créature éveillée de la maison. La lumière du jour ne sera jamais plus courte qu’aujourd’hui (nous sommes le 21 décembre) et m’oblige à patienter 2h avant le départ. J’ai de quoi les occuper, ce n’est pas un problème.


Ce matin au p’tit dès, pas question de m’alourdir du fromage habituel. Ce sera tout en  biscuits (diététiques bien sûr, IG bas, farine semi-complète), pain bio maison, confitures maison et 2 unités de moins que d’habitude pour l’insuline. Pas question de laisser une hypo gâcher ma victoire. Je passe à la préparation du vélo, un dernier coup d’œil à la météo, à mon parcours. C’est bon, pas de mauvaise surprise, ça va se jouer comme prévu. Glycémie avant le départ : 1.03g/l. Un peu juste. Je reprogramme ma pompe, avale une tranche de pain d’épice, 2 pâtes de fruit. Veste thermique, tour de cou, bonnet, chaussures, petit équipement habituel. 7.2 bars dans chaque roue avant de me faufiler dehors avec mon vélo. C’est le moment que j’aime le moins. Tout juste sorti du confortable foyer, le temps hivernal (encore que ce matin, avec 6°C, je n’ai pas à me plaindre) est une agression pour l’organisme pas encore chaud, à peine réveillé.


Je m’élance sur la route. C’est de l’échauffement pendant 30kms, soit un peu plus d’1heure. Surtout ne pas forcer, rester sur des braquets souples, bien tourner les jambes. Parfois je pousse à 110 de cadence 50x24, sans jamais forcer au cardio. Je sens les sensations s’installer progressivement. Les pentes que j’aborde sont effacées dans la facilité, les relances rapides et sans effort, je monte de temps en temps en danseuse dans un rythme rapide, fluide. Je sens cette réserve là, prête à jaillir, encore maintenue par la bride que je lui impose. Il faut patienter. Les minutes, les quarts d’heure passent. Ma vitesse n’est pas rapide, mais elle est le berceau de ce feu que je vais déchaîner d’ici quelques kilomètres.


J’arrive au dernier bourg. C’est à droite que ça se passe. Dernier virage. Là, ça y est, je suis en vue de ce virage tant attendu.


Je tourne.


Et me laisse emporter par cet élan soudain, mais que je décide de maîtriser encore un peu. 800m à 8% m’accueillent et je ne veux pas y laisser de plumes. J’y vais sur un train raisonnable. 16km/h … Oui, c’est raisonnable. Je viens de pénétrer dans ce monde nouveau. Hier encore, je courbais l’échine pour rester à 14km/h dans cette pente, et là, me voici plus rapide sans effort aucun, sur la réserve. Je pourrais accélérer sans difficulté, mais il faut que je garde de quoi m’amuser pour la suite. Je me souviens de cet été, montant l’Alpe d’Huez au terme d’une Marmotte épuisante, je calculais la vitesse de Pantani à ce même endroit que je gravissais moi-même à 8km/h. Lui était aux alentours des 23 km/h. et bien là, dans les conditions où je me trouve aujourd’hui, je pourrais le faire, j’en suis sûr.


En haut de cette côte, je quitte la départementale pour une autre plus étroite, moins fréquentée. La pente abandonne la partie. J’accélère. Grand plateau, puis 50x17, 50x15, 50x14. Ma cadence se met naturellement aux alentours de 90. Je passe les 40km/h au compteur. J’en ai encore sous le pied. Je vois arriver le premier faux plat montant. Pour les 400m qu’il me présente, je crois que je ne vais pas changer de rythme ni de braquet, ce ne sera pas utile. Je monte sur les pédales et maintient mon effort. 40km/h dans du 2 ou 3%. Je crois bien que je n’ai jamais connu ça. Le revêtement est bon, pas de résistance au roulement, les pneus filent sans bruit. J’efface en quelques dizaines de secondes ce caprice du relief.


Passé sous le pont en haut, une longue portion plate m’attend, droite. Cette fois-ci, je lâche un peu plus la bride. 100, 105 de cadence. Mieux vaut remettre du braquet. 50x13 puis 50x12. Je suis à 56 km/h. Je découvre les sensations d’évoluer à cette vitesse en rythme de croisière. Finalement, la difficulté en vélo, ce n’est pas d’accomplir une performance. C’est de s’en donner les moyens.


A cette vitesse, les villages se succèdent assez rapidement. J’ai le réflexe de vouloir ralentir à l’entrée de chacun, mais au fait, pourquoi ? Conditionnement d’automobiliste sûrement. Dans l’un d’entre eux, la patrouille est là. Elle me voit passer à cette vitesse prohibée l’œil sceptique. Le radar juste après affiche 55km/h et clignote au rouge. C’est bien, comme ça, je pourrais dire que je l’ai fait.


De nouveau une petite côte, plus sérieuse cette fois. J’aborde ces 6% 50x19 sur une cadence plus raisonnable. 28km/h quand même. Je regarde 2 fois pour vérifier, oui, 28km/h, c’est bien ça. Peut-être mes jambes vont-elles piquer en haut … mais non, même pas. Je passe le sommet frais comme un gardon et reviens assez rapidement sur mes braquets d’extra-terrestre, entre 55 et60 km/h. Les voitures me doublent lentement. 30km/h de vitesse relative par rapport à mon déplacement, c’est finalement assez peu. Ca donne la sensation curieuse que chaque voiture ralentit pour savoir qui propulse ce vélo qu’on aurait presque du mal à doubler.


Un peu plus loin, l’horizon du bitume s’efface. C’est le signe que l’on plonge vers la vallée. C’est aussi le signe que la fin approche. Il doit me rester un peu plus de 2 kms à parcourir. La griserie a totalement effacé ma perception du temps. J’ai l’impression que si je me retournais, je verrais encore cette côte de 8% au départ. Et en même temps, j’ai le sentiment d’avoir eu le temps d’explorer d’innombrables sensations nouvelles … Allez, il faut terminer quelque chose d’encore inhabituel. La réponse vient spontanément sous la pédale, après avoir entamé ma descente vers la vallée. Je me couche sur le guidon, les fesses relevées le plus possible sur la selle, j’accélère ma cadence tout en mettant mon dernier braquet, 50x11. Peut-être vais-je découvrir que Polar a bien prévu 3 chiffres pour l’affichage des vitesses. La griserie est à son paroxysme. 62, 63, 65, 70. Mes jambes commencent à arriver à la limite de leurs possibilités de cadence. Je pourrais davantage, mais je crains pour mon, équilibre, ma stabilité. Ah, je le savais. Je le savais que ce compact était trop court pour moi. Depuis le temps que je lis les uns et les autres sur V101 parler de leur 52, j’en ai maintenant la preuve. C’est un 52 voir un 54 qu’il me faudrait aujourd’hui. Ma vitesse ne dépassera pas les72 km/h. Je tiens à rester dans le monde des vivants.


Au loin je perçois la départementale 211 qui coupe la mienne et qui marque la fin de cet instant de grâce. Il va falloir songer au freinage, car je ne me souviens pas avoir eu jusqu’alors à gérer un ralentissement de 60km/h dans ma vie de cycliste. Au croisement, je prendrai à droite. Un autre monde m’attend. Je sais que j’aurais à rembourser lourdement ces instants de bonheur empruntés au prix fort, mais peu importe. Je les aurais acquis bien plus cher si ç’avait été nécessaire.


Je repense à Jean. Il ne m’aurait jamais suivi aujourd’hui. Mon panais a gentiment complété mes réserves de glycogène hier. Lui, il a certainement eu son escalope milanaise accrochée à son estomac toute la nuit pendant que sa purée de pommes de terre se transformait en hideux triglycérides sous l’action maléfique de la fée insuline. Un cocktail assassin pour sa performance sur le vélo. Et ce n’est pas la motivation qu’il aurait eu de se régaler ce midi de son entrecôte frites qui aurait suffit.


A ce stade, je pense que tout le monde s’attend à entendre la sonnerie du réveil qui m’extirpe de mon sommeil agité … où le jingle de la pub qui m’arrache à la somnolence rêveuse dans laquelle m’aurait plongé la télé. Et bien non, je suis dans la vraie vie. J’ai vécu ça.


Non, aujourd’hui, j’étais intouchable.


Christophe


Le 21/12/2013 - Vent de dos 35-65 km/h pendant 15 kms.


Amitiés à Jean.

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Merci pour vos commentaires !

Tout ça est à prendre dans le contexte de la météo bien sûr. Habituellement, lorsqu'un tel vent est annoncé, je préfère ne pas sortir. Dans les portions où le vent vient de côté, c'est moyennement rassurant car la position d'équilibre n'est pas verticale, et elle est instable au gré des bourrasques et des passages de camions. Mais cette fois-ci, en plein mois de décembre, c'est soit vent soit pluie soit neige. Et donc j'ai décidé vendredi de ne pas renoncer malgré le vent.

Le parcours a été soigneusement traçé pour optimiser l'exposition au vent dans le dos et minimiser celle au vent de face. Je savais que ces 15kms se feraient à des allures inhabituelles car évidemment, c'est le vent qui m'a permis d'atteindre ces vitesses, plus que mes jambes. En plus, la Picardie est une succession de plateaux venteux et de vallées sèches ou humides, et sur les plateaux, ça souffle toujours très fort. Avec 50kmh vent de dos, on est très vite dans des vitesses surréalistes !

Mes exercices de force sont pourtant réels, mais en l’occurrence, ils ne m'ont pas servi à grand chose pour accomplir ce non exploit ! C'est plutôt lorsque j'ai tourné à droit à l'arrivée, puis encore à droit 3kms plus loin que là, j'ai eu besoin de mes jambes. Je me suis retrouvé sur une portion plus ou moins plate, mais avec vent dans le nez, couché sur mon guidon en train de besogner entre 15 et 19kmh selon la pente. C'était à peu près le même effort qu'en ascension, à part le coup de pédale qui n'est pas tout à fait identique ... Bref, une expérience inhabituelle et intéressante !

Sinon, pour la petite histoire (que connaît Philippe qui a été sur les 2 fils), pour comprendre qui est Jean et son escalope milanaise, il faut faire un tour sur le sujet "Comment être sec comme Bruce Lee" ...

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Oui, d'après Bernard, la vitesse donnée par météo France est celle en altitude et il la considère de moitié au niveau du sol. Mais c'est un peu schématique car cela dépend du relief local, des obstacles au sol, du type des courants d'airs, etc. C'est pour ça que j'ai fait le calcul à 40km/h au lieu des 65km/h de rafales données par Météo France ...

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Salut Gérald, comme je le disais, cette sortie n'a en rien testé le résultat de mes séances de force ! C'était simplement pour voir ce que ça donne sur le vélo, concrètement, d'atteindre les vitesses des pro. Un monde m'en sépare, symbolisé par cette petite "main" dans le dos qui s'agite à 60km/h et produit des miracles ...

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Cela ne te plaira certainement pas, mais ce n'est pas en faisant 20 séances de force qu'on passe d'un simple cyclo a un niveau pratiquement de pro, c'est en tout cas ce qui ressort pour moi en lisant ton récit, qui est d’ailleurs très plaisant à lire.

Tu as certainement toujours roulé en "sous régime" jusqu’à présent et là tu as découvert que tu peux "exploiter" ton vrai potentiel.  

A un moment le braquet ne suffit plus, il faut de la puissance, donc braquet et vélocité et c'est là que cela se "décante", pour rouler entre 55 et 60 km/h il faut emmener le 50/11 a plus de 100 rpm, il n'y a que ceux qui ont un "gros moteur" qui peuvent y accéder, moi en tout cas je n'en fait pas partie. 

Je ne dit pas que ce n'est pas possible, ceux qui ont envie de progresser peuvent essayer ta méthode, mais ils verront que cela n'est pas donné à tout le monde.

Cela fait trois ans que je m’entraîne à tirer plus gros, je suis passé d'un modeste 46 dents à un 50, voir 52 l'année prochaine, mais je n'ai pour l'instant pas réussi à tenir plus qu'un 45 km/h sur le plat et je ne crois pas que j'arriverais a plus avec le 52.

 

Bon vélo.  😉  

 

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